Le général Soleimani et les milices chrétiennes en Syrie

Le général Soleimani et les milices chrétiennes en Syrie

par Daniele Perra.

Dans une récente interview parue dans les colonnes du site d’information russe Sputnik, Monseigneur George Abu Khazen, évêque latin d’Alep, a lancé un appel sincère dans lequel, en plus de souligner l’essence criminelle du régime de sanctions imposé à la Syrie par le Caesar Act américain, il demande expressément aux Européens de cesser de suivre Washington sur la voie de l’agression économico-militaire contre le pays levantin.

En effet, selon Abu Khazen, le régime de sanctions, en affectant en premier lieu les couches les plus pauvres de la population et les minorités, a créé un désastre pire que l’occupation de la ville par des groupes terroristes à leur tour alimentés par « l’Occident ». Le prélat, d’ailleurs, dans la même interview, déclare avec une grande franchise que la Syrie n’a pas spécialement besoin d’aide. En Syrie, il y a assez de céréales et d’huile pour tout le monde. Cependant, l’occupation nord-américaine du nord-est du pays (la région la plus riche en ressources) empêche toute véritable reconstruction.

À l’appel sincère contre le régime des sanctions, l’évêque d’Alep a ajouté une dénonciation des conditions des populations chrétiennes qui restent encore otages des groupes terroristes (sous protection turque) dans la région d’Idlib : une communauté qui vit depuis près de deux millénaires près du fleuve Oronte, maintenant réduite à quelques centaines de personnes qui sont systématiquement empêchées non seulement de pratiquer leur foi mais aussi de travailler dans les champs.

L’appel de Monseigneur Abu Khazen appelle à deux types de réflexion. La première est liée au fait que, malgré la rhétorique de propagande clownesque de « l’administration pacifiste » et du « non-interventionniste », la présidence Trump, en termes géopolitiques (sans entrer dans la question de la lutte entre les appareils de pouvoir qui fait rage à Washington), a évolué sur différents théâtres dans une continuité substantielle avec celle de son prédécesseur Barack Obama. Et cela parce que les processus géopolitiques se déroulent souvent de manière autonome par rapport au locataire de la Maison Blanche lui-même qui, dans le cas de Trump, n’a pas fait grand-chose pour entraver le cercle vicieux généré par le complexe militaro-industriel et par ce « syndrome de privation d’ennemi » qui afflige l’OTAN depuis l’effondrement de l’URSS.

Il est même superflu de devoir rappeler, une fois de plus, comment l’agression économique, de Thucydide à Carl Schmitt, est considérée à toutes fins utiles comme un « acte de guerre ». Une pratique à laquelle nous avons dû assister à d’innombrables reprises au cours des quatre dernières années (outre la Syrie, on peut citer les cas de l’Iran, de la Chine, ainsi que la prolongation et le renforcement du régime de sanctions à l’égard de la Russie et du Venezuela) et qui était largement prévue dans le célèbre discours de Barack Obama devant les cadets à West Point en 2014. À cette occasion, l’ancien président nord-américain a affirmé la nécessité de la réduction des interventions militaires directes de la part des États-Unis (trop coûteuses) et du recours en cas de menace non directe à des actions multilatérales, à l’isolement et à des sanctions contre « l’ennemi ».

Il est également superflu de rappeler que le retrait tant vanté de la Syrie n’a jamais eu lieu. On sait maintenant que le Pentagone, sous l’administration Trump, a sciemment dissimulé les nombres réel de la présence militaire américaine en Syrie ainsi qu’en Irak et en Afghanistan, à la fois pour poursuivre la rhétorique de la « fin des guerres sans fin » et pour empêcher que cela ne se produise réellement. S’il est vrai (peut-être) que le nombre réel d’unités militaires a probablement été caché au président lui-même (ce qui en soi n’est pas particulièrement choquant pour ceux qui connaissent les mécanismes qui activent l’appareil de la puissance américaine) : il est tout aussi vrai que c’est Donald J. Trump qui a autorisé les incursions dans les pays en question (dont celle qui a assassiné le général Qassem Soleimani) et les actes de guerre économique susmentionnés. Sans compter que, données en main, dans les cas de l’Afghanistan et du Yémen, l’administration Trump a largué encore plus de bombes que celles qui l’ont précédée, avec le pic de 7 423 engins nord-américains largués sur l’Afghanistan seul en 2019.

Il va sans dire que, pour l’instant, il ne semble pas y avoir de place du tout à l’intérieur de laquelle la nouvelle administration puisse évoluer dans une direction différente de celle de ses prédécesseurs. Si l’administration Trump a pris des positions extrêmes qui avaient été configurées sous Barack Obama (par exemple, l’endiguement de la Chine), il semble clair que l’administration Biden-Harris s’inspirera des précédentes.

La deuxième réflexion qui inspire l’appel de l’évêque d’Alep, outre la référence à une Europe soumise à la volonté des États-Unis, est liée à des aspects plus purement historico-idéologiques et religieux. Et c’est là que la figure du général martyr Qassem Soleimani entre en jeu.

Le président Bachar al-Asad a souvent fait référence à l’importance de la communauté chrétienne pour l’essence et le caractère souverain de la Syrie. En effet, le territoire qui correspond aujourd’hui au pays levantin, outre qu’il est depuis l’Antiquité un centre d’irradiation culturelle et religieuse de premier ordre, comme pour la diffusion du culte du soleil (« intervention providentielle de l’Orient » pour René Guénon) dans l’Empire romain, a influencé, avec ses théologiens, de manière décisive l’évolution de la doctrine chrétienne elle-même ; il suffit de penser à l’œuvre de Saint Jean Damascène, expression parfaite d’un christianisme véritablement oriental et riche en influences eurasiennes.

Au cours des siècles, le pays a notamment connu un développement important du culte marial. Un culte dont fait preuve la présence d’innombrables sanctuaires dédiés à la Mère de Jésus et qui ont survécu aux années de conflit, de pillage et de destruction. L’un des plus importants est sans aucun doute le monastère de Saidnaya (Dame de la Chasse en syriaque), appartenant au patriarcat orthodoxe d’Antioche et lieu de pèlerinage également pour les musulmans. L’histoire de ce monastère est emblématique du caractère sacré et traditionnel de la présence chrétienne en Syrie. La légende raconte que l’empereur byzantin Justinien Ier, alors qu’il était en voyage de chasse dans la région, s’était perdu près de Damas et risquait de mourir de déshydratation. Sa soif fut étanchée grâce à l’aide d’une gazelle, que Justinien identifia plus tard comme un messager angélique marial, qui le conduisit à une source d’eau sur le même rocher sur lequel l’empereur fit plus tard construire le sanctuaire. Et à l’entrée du sanctuaire étaient inscrits les mots tirés du Livre de l’Exode : « ôte les chaussures de tes pieds, car le lieu où tu es est une terre sainte ».

Maintenant, pour revenir au concept selon lequel la géographie sacrée et la géopolitique se chevauchent souvent, il convient de souligner que la région dans laquelle se trouvent les principaux centres de culte chrétien en Syrie (de Saïdnaya à Maaloula) a également une valeur géostratégique d’une importance considérable. En observant une carte du Levant, on remarquera facilement que cette région correspond aux montagnes du Qalamoun, le long de la frontière entre la Syrie et le Liban, au-delà desquelles se trouve la vallée de la Bek’a, qui constitue (historiquement) l’un des principaux centres d’activité du Hezbollah. Cette région, point de connexion entre le Liban et la Syrie (et donc aussi point de ravitaillement entre Beyrouth et Damas), est depuis longtemps disputé entre les groupes terroristes qui ont mis la Syrie à feu et à sang et les forces loyalistes (l’armée arabe syrienne et ses milices associées) et leurs alliés (le Hezbollah et les forces d »al Quds commandées par Qassem Soleimani). Damas et ses alliés ont lancé au moins trois opérations militaires différentes pour libérer cette région fondamentale, infligeant de graves défaites tant à l’autoproclamé « État islamique » qu’aux forces liées à a-Qaïda. En particulier, l’offensive d’août 2017 a conduit à la première grande défaite de « l’État islamique » sur le sol syrien, à la reddition d’un nombre important de miliciens de l’entité terroriste et à la libération d’une large tranche de territoire le long de la frontière syro-libanaise.

Nombre des milices chrétiennes qui ont participé aux opérations militaires dans la région pour soutenir le gouvernement légitime de Damas (par exemple, les « Gardiens de l’Aurore », qui ont uni divers groupes chrétiens tels que les « Lions des Chérubins » – en référence au nom d’un important monastère de Saidnaya – ou les « Soldats du Christ ») ont été constituées sur le modèle du Hezbollah et des milices chiites irakiennes, avec l’aide des forces d’al Quds de Soleimani et du Hezbollah lui-même. Soleimani a également joué un rôle majeur dans la formation d’une autre milice chrétienne, les « Forces de la Rage », dans la ville à majorité grecque orthodoxe de Suqaylabiyah, entre Hama et Latakia.

Il est important de souligner que les militants de ces groupes se considèrent comme des « moudjahidin de la Croix ». L’une des devises des « Lions des chérubins » déclare : « Nous n’avons pas été créés pour mourir mais pour la vie éternelle. Nous sommes les descendants de Saint-Georges ». Leur action visait principalement à défendre les lieux de culte chrétiens contre les ravages des miliciens Takfiri. Cependant, beaucoup de ces groupes ont également participé à des opérations militaires en dehors des zones où vit la majorité de la communauté chrétienne syrienne. En fait, ils se sont battus et se battent en tant que chrétiens contre « l’Occident » et une vision du monde qui leur est totalement étrangère.

Dans une certaine mesure, on pourrait dire que l’agression contre la Syrie a contribué (selon les termes de Michel ‘Aflaq, le père fondateur chrétien-orthodoxe du Ba’ath syrien) à « réveiller le nationalisme des Arabes chrétiens » : c’est-à-dire le sentiment qui « les conduit à sacrifier leur fierté et leurs privilèges personnels, dont aucun ne peut égaler la fierté arabe et l’honneur d’en faire partie ».

Face à ce scénario, il semble évident que le secrétaire d’État américain Mike Pompeo a déclaré en 2018, avec le style de gangster caractéristique de la politique étrangère nord-américaine, que le général Soleimani créait des problèmes à la fois en Syrie et en Irak et que les États-Unis devaient faire tout leur possible pour augmenter le prix à payer pour lui personnellement et pour les forces d’Al-Quds des gardiens de la révolution.

Outre l’aspect purement géopolitique (lié au fait que les travaux de Soleimani ont contribué au développement de forces militaires non conventionnelles capables de saper la stratégie américaine et sioniste en Syrie et en Irak et ont créé des ceintures de sécurité aux frontières de l’Iran tout en étendant son influence dans la région), les « problèmes » dont parle Pompeo sont également liés à un aspect plus purement « idéologique ». En fait, il est bien connu que la superstructure idéologique de « l’Occident », au cours des vingt dernières années, s’est construite autour du soi-disant « choc des civilisations », théorisé par Samuel P. Huntington et Bernard Lewis, entre le judéo-christianisme et l’islam (ou entre « l’Occident libéral » et l’axe islamo-confucianiste) dans le seul but de fournir un « ennemi » auquel s’opposer. En même temps, outre la fragmentation selon des critères ethniques et sectoriels des principaux adversaires régionaux (stratégie que l’on tente d’appliquer également à l’Iran), le sionisme a toujours eu à cœur d’éliminer les communautés chrétiennes du Levant afin de réaffirmer l’un des mythes fondateurs de « l’État juif » : son rôle de « mur contre la barbarie orientale ».

Le général Soleimani et les milices qui lui sont liées, opèrent également dans le respect des préceptes théologiques plus encore que militaires et défendent les communautés religieuses opprimées contre les groupes terroristes soutenus par « l’Occident » (tant en Syrie qu’en Irak) également par le biais d’une coopération interconfessionnelle qui se situe aux antipodes du principe impérialiste traditionnel du « diviser pour régner » ; ce faisant, ils ont démasqué le mensonge de base inhérent au modèle idéologique du « choc des civilisations » et ont montré que l’entité sioniste, loin d’être un mur contre la barbarie, est elle-même barbare.

Dépassant le modèle idéologique du choc des civilisations par une action qui (en termes purement traditionnels) est une rencontre entre la Voie de l’Action et la Voie de la Contemplation (il n’y a pas de jhad mineur sans jhad majeur et l’Action est inséparable de la méditation), la figure du Général Soleimani assume le rôle de « héros civilisateur ». Dans un monde en ruines, où l’individualisme domine et où la contrefaçon idéologique à de nombreux niveaux a détruit toute sorte de principe et d’attitude sacrés, la vie de Soleimani est un exemple révolutionnaire. L’action, chez ce membre de la caste des guerriers, devient un sacrifice de soi vers un but plus élevé. Et, avec lui, le conflit revient à se placer dans une dimension théologique (étudiée par Heidegger et Schmitt dans la première moitié du XXe siècle sur la base de fragments héraclitéens), celle qui dans le monde « occidental » a été noyée dans le moralisme de la matrice protestante anglo-américaine.

Soleimani a été tué pour le simple fait d’avoir représenté un modèle humain aux antipodes de l’homme occidental moderne qui ignore le Sacré et dont la connaissance est réduite à la simple accumulation et assimilation de données empiriques. Paraphrasant l’Iman Khomeini, Soleimani était un véritable être humain au sens traditionnel et spirituel de cette idée. Et c’est pour cela qu’il a été tué. « Ils ont peur des êtres humains authentiques », écrivait le père de la Révolution islamique ; s’ils rencontrent un homme digne de ce nom, ils le craignent […] C’est pourquoi, chaque fois qu’ils ont trouvé un vrai homme devant eux, ils l’ont tué, l’ont emprisonné, l’ont exilé ou ont entaché sa réputation ».

source : https://www.eurasia-rivista.com/il-gen-soleimani-e-le-milizie-cristiane-in-siria/

traduit par Maria Poumier

via https://plumenclume.org

Source : Lire l'article complet par Réseau International

Source: Lire l'article complet de Réseau International

À propos de l'auteur Réseau International

Site de réflexion et de ré-information.Aujourd’hui nous assistons, à travers le monde, à une émancipation des masses vis à vis de l’information produite par les médias dits “mainstream”, et surtout vis à vis de la communication officielle, l’une et l’autre se confondant le plus souvent. Bien sûr, c’est Internet qui a permis cette émancipation. Mais pas seulement. S’il n’y avait pas eu un certain 11 Septembre, s’il n’y avait pas eu toutes ces guerres qui ont découlé de cet évènement, les choses auraient pu être bien différentes. Quelques jours après le 11 Septembre 2001, Marc-Edouard Nabe avait écrit un livre intitulé : “Une lueur d’espoir”. J’avais aimé ce titre. Il s’agissait bien d’une lueur, comme l’aube d’un jour nouveau. La lumière, progressivement, inexorablement se répandait sur la terre. Peu à peu, l’humanité sort des ténèbres. Nous n’en sommes encore qu’au début, mais cette dynamique semble irréversible. Le monde ne remerciera jamais assez Monsieur Thierry Meyssan pour avoir été à l’origine de la prise de conscience mondiale de la manipulation de l’information sur cet évènement que fut le 11 Septembre. Bien sûr, si ce n’était lui, quelqu’un d’autre l’aurait fait tôt ou tard. Mais l’Histoire est ainsi faite : la rencontre d’un homme et d’un évènement.Cette aube qui point, c’est la naissance de la vérité, en lutte contre le mensonge. Lumière contre ténèbres. J’ai espoir que la vérité triomphera car il n’existe d’ombre que par absence de lumière. L’échange d’informations à travers les blogs et forums permettra d’y parvenir. C’est la raison d’être de ce blog. Je souhaitais apporter ma modeste contribution à cette grande aventure, à travers mes réflexions, mon vécu et les divers échanges personnels que j’ai eu ici ou là. Il se veut sans prétentions, et n’a comme orientation que la recherche de la vérité, si elle existe.Chercher la vérité c’est, bien sûr, lutter contre le mensonge où qu’il se niche, mais c’est surtout une recherche éperdue de Justice.

Laisser un commentaire

Votre adresse courriel ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Recommended For You