Abattage rituel : la liberté religieuse saignée à blanc ?

Abattage rituel : la liberté religieuse saignée à blanc ?

Dans la lignée des nouvelles internationales qui passent incognito, il y en une qui a particulièrement attiré mon attention ces dernières semaines. Le 17 décembre, on apprenait que la Cour de Justice de l’Union européenne tranchait (s’cusez-la) en faveur d’un décret belge limitant les abattages rituels au nom du bienêtre animal. 

Pour être précis, les deux grandes régions de la Belgique ont unanimement voté pour que l’étourdissement (rendre inconscient) des bêtes soit obligatoire avant leur mise à mort.

Pour les Juifs et les musulmans belges, cette nouvelle norme viendrait à l’encontre de leur rituel d’abattage exigeant que la bête soit vivante jusqu’à l’égorgement. Ces derniers sont d’ailleurs montés aux barricades des plus hautes instances législatives du pays pour contester ces décrets. En France, un débat semblable fait polémique depuis dix ans.

Qu’est-ce qu’on a à battre (encore désolé) ici au Québec du droit des animaux et de la liberté religieuse en Belgique ? Eh bien, je parie que ce cas finira par faire jurisprudence jusqu’ici et qu’on se retrouvera à débattre des mêmes enjeux ; aussi bien aiguiser nos lames !

La boite de Pandore est déjà ouverte depuis que la loi 54 concernant l’amélioration de la situation juridique de l’animal a été adoptée en 2015 par l’Assemblée nationale. Certains, comme cette juriste, ont regretté que cette loi n’ait pas proposé de changements concernant les abattages rituels. Jusqu’à présent, l’étourdissement de l’animal n’est pas obligatoire au Québec ni au Canada. 

Le problème se résume donc à deux questions : les abattages rituels causent-ils vraiment plus de souffrances aux animaux ? Est-ce que l’obligation d’étourdissement limite réellement la liberté religieuse juive et islamique ?

Cœurs sensibles s’étourdir !

Depuis une vingtaine d’années, en Occident, l’intérêt pour le bienêtre animal gagne en popularité. Au Québec, la loi 54 affirme que les animaux ne sont « pas des biens », mais « des êtres doués de sensibilités » qui ont des « impératifs biologiques ».

C’est dans cet esprit que plusieurs pays (Danemark, Suède, Suisse, Slovénie…) interdisent l’abattage sans étourdissement. D’ailleurs, dans l’Union européenne, la loi impose un étourdissement préalable… avec exception pour les abattages rituels. Les décrets belges ­­­­­­­­­­­­­­­­­– à défaut de le dire autrement – ont mis la hache dans cette exception au niveau national. 

Il y a véritable débat au sujet de la douleur infligée par les abattages rituels.

D’un côté, certains spécialistes affirment que l’étourdissement diminue la douleur chez l’animal, alors que plusieurs autres (dont l’Agence canadienne d’inspection des aliments) défendent que les abattages rituels réalisés par des experts dans des conditions optimales équivalent à ceux de l’abattage industriel.

Le problème étant que plusieurs communautés juives et musulmanes ne procèdent pas toujours de manière professionnelle ; il n’y a pas d’uniformisation dans les pratiques tout autant que dans la formation. 

Attention toutefois aux fausses accusations : les représentants des communautés juives comme musulmanes affirment veiller au bienêtre animal (c’est même inscrit comme un devoir dans la loi religieuse) et vouloir trouver des moyens pour améliorer les conditions d’abattage. Seulement, ces considérations sont pour eux à hiérarchiser avec leurs droits religieux.

Est-ce à dire que les abattoirs industriels sont irréprochables en ce qui a trait au bienêtre animal ? Loin de là. Il y existe nombre d’étourdissements ratés, sans parler des conditions générales et des sévices vécus, de la contention jusqu’à l’abattage.

Bref, c’est pas simple.

Étourdissement cachère ou halal ?

Si le rituel juif (shehita) et musulman (dhabiha) exige que la bête soit vivante lors de la saignée, il y a lieu de se demander quel est le problème avec l’étourdissement. En effet, si l’animal demeure vivant, mais qu’il est étourdi, en quoi est-ce non orthodoxe ?

La certification halale ou cachère de plusieurs pays, dont la France et la Belgique, ne permet pas que l’animal soit étourdi. Pourtant, des pays majoritairement musulmans comme l’Indonésie, voire officiellement comme la Jordanie, acceptent non seulement l’importation de viandes étourdies, mais font de l’étourdissement la seule technique autorisée pour l’abattage. 

Il semble donc que ce ne soit pas un problème universel pour ces communautés religieuses. On dit même que « 50 % des musulmans belges ont une attitude neutre ou positive envers l’étourdissement des animaux avant l’abattage ». Comment expliquer alors qu’en Occident les représentants de ces communautés tiennent à exclure l’étourdissement, qu’ils qualifient d’incompatible avec leur interprétation des textes ?

En fait, les minorités religieuses directement touchées par les décrets belges craignent qu’ils s’agissent de discrimination implicite ou de haine déguisée. Au fond, la question pour eux n’est pas de savoir si l’étourdissement est théologiquement envisageable, mais plutôt si leur pays respecte le choix de ne pas le considérer. Autrement dit, que leur liberté religieuse 1soit respectée.

Akeda contemporain

Comme chrétien, j’éprouve une solidarité spontanée à l’égard de mes frères en Abraham : je n’aimerais pas que l’État brime ma liberté religieuse. D’un autre côté, je ne suis pas insensible au bienêtre des animaux qui nous sont confiés comme intendants de la création. Si le concept des droits animaliers m’apparait bancal sur le plan philosophique et anthropologique, il est sage d’affirmer «qu’il est contraire à la dignité humaine de faire souffrir inutilement les animaux et de gaspiller leurs vies » 2.

Pour les chrétiens, chez qui toute prescription alimentaire ou hygiénique est devenue surannée avec le Christ, ces rituels alimentaires scrupuleux peuvent sembler absurdes (et à fortiori pour les athées ou areligieux).

Cette situation où le droit religieux et la conscience moderne s’affrontent est toutefois le lieu propice à certaines questions : bien que tout soit permis, est-ce que tout est profitable ? Jusqu’où puis-je tenir à mes droits sans scandaliser le reste de la société (1 Co 8, 1-13) ?

Dans ce cas bien précis des abattages rituels, ce profond récit de l’Akeda 3 pourrait sans doute apporter un peu de consolation aux Juifs et musulmans… Qui sait si Dieu ne pourvoira pas à l’abandon de leurs sacrifices ?


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  1. Article 10 de la Chartre des droits fondamentaux de l’Union européenne : « Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion. Ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l’enseignement, les pratiques et l’accomplissement des rites.
  2. Catéchisme de l’Église Catholique, n. 2418.
  3. Mot hébreu faisant référence à la ligature d’Isaac, épisode où Abraham, à l’invitation de Dieu, veut sacrifier son fils Isaac pour prouver son obéissance, mais où un ange intervient pour l’en empêcher et lui enseigner une forme d’abandon supérieure : la foi.

Source: Lire l'article complet de Le Verbe

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