Rattachement de la Crimée à la Russie – Quand la CEDH ne peut se permettre de ne pas sortir de sa compétence

Rattachement de la Crimée à la Russie – Quand la CEDH ne peut se permettre de ne pas sortir de sa compétence

par Karine Bechet-Golovko.

La CEDH, dans une décision intermédiaire, qui vient d’être publiée, s’est prononcée sur la recevabilité des requêtes interétatiques déposées par l’Ukraine en mars 2014 et en août 2015, puis regroupées en 2018, en soulignant qu’elle ne peut examiner la question juridique du rattachement de la Crimée à la Russie, mais simplement la violation des droits de l’homme imputée aux autorités russes pour la période allant du 27 février 2014 au 26 août 2015. Elle le répète d’ailleurs plusieurs fois, même si, in fine, elle base toute son analyse sur le refus de reconnaissance du rattachement de la Crimée. Ce qui s’inscrit parfaitement dans le mouvement lancé par la communauté internationale à travers la Grande-Bretagne et son ambassade à Kiev pour soutenir des ONG à œuvrer à la réintégration de la péninsule et à documenter les violations des droits de l’homme qui seront attribuées à la Russie.

Au-delà des questions concrètes de violations régulièrement invoquées par l’Ukraine au sujet de la langue ukrainienne, de la persécution des opposants, minorités, médias et journalistes, transposant manifestement ses pêchers sur son voisin, et au sujet desquelles, comme le souligne le Ministère russe de la Justice, la CEDH demande à l’Ukraine de fournir des preuves, la décision intermédiaire du 16 décembre 2020 (en français ici), qui vient seulement d’être publiée le 14 janvier 2021, est intéressante principalement sur deux points : en ce qui concerne sa conception du contrôle effectif imputant la responsabilité à un État de ce qui se passe sur ce territoire et surtout en ce qui concerne la question de la légalité du rattachement de la Crimée à la Russie, qui ne ressort pas de la compétence de la Cour, mais qu’elle règle indirectement, quand même, pour ne pas avoir à rejeter sa compétence.

Le « contrôle effectif » comme critère de juridictions : que pour la Crimée ou pour Kiev aussi ?

La manière dont la CEDH manipule la notion de contrôle effectif pour assurer la responsabilité de la Russie quant aux événements en Crimée lors du Maidan est à retenir, car il serait intéressant de l’appliquer à la manière dont Kiev a été pris en main lors du Maidan et ouvertement dans les premiers gouvernements « étrangers » de cette Ukraine « pro-occidentale », sans oublier la présence militaire étrangère qui continue. En effet, la CEDH a estimé qu’au regard du contrôle effectif exercé par la Russie à compter du 27 février 2014, quand suite aux mouvements de résistance locale, des drapeaux russes ont été hissés sur les bâtiments administratifs de la ville et que les bus venant de Kiev avec les extrémistes, ayant déjà semé la terreur dans le pays, n’ont pu terroriser la population, rassurée par la présence des militaires russes. Comme l’a déclarée la Russie :

« Pendant la période comprise entre le 1er et le 17 mars 2014, ces forces armées s’étaient tenues prêtes « à aider la population de Crimée à résister aux attaques de l’armée ukrainienne », que la présence russe a permis de veiller « à ce que la population criméenne puisse faire un choix démocratique en toute sécurité sans crainte de représailles d’extrémistes », et à ce « que les habitants de Crimée puissent exprimer normalement leur volonté », et/ou a permis de « garantir la protection des forces militaires et des biens russes ».

Pour cela, la CEDH prend en compte principalement deux éléments : la présence militaire russe et les déclarations du président russe Vladimir Poutine. Or, comme l’a rappelée la Russie, et que la Cour a reconnu malgré les allégations ukrainiennes, la présence militaire russe était antérieure au Maidan. Mais, la Cour a pris en compte l’augmentation des effectifs (de 10 000 à 20 000) en mars, en refusant de considérer l’organisation du Maidan, événement duquel a découlé le Printemps de Crimée, comme un élément pertinent entrant dans le champ de la décision, ce qui a permis d’affirmer sans rougir que la Russie n’a pu justifier sa position :

« Les événements relatifs aux manifestations de Maïdan à Kyiv (…) ne sont pas pertinents pour l’examen de l’affaire par la Cour. Ces questions n’ont d’ailleurs pas été portées devant la Cour et elles sortent du champ d’examen de l’affaire. (…) Le gouvernement russe n’a justifié le renforcement de la présence militaire russe en Crimée par aucun élément concret qui indiquerait qu’une menace pesait sur les forces militaires russes postées en Crimée à l’époque ».

Et pour cause, sinon il faudrait s’interroger sur la manière dont le pouvoir légitime a été renversé à Kiev, au lieu de suivre l’argumentation considérée comme « cohérente » présentée par l’Ukraine sur la prise de pouvoir en Crimée. En sortant l’événement de son contexte, la CEDH prend déjà une position politique, qui lui permet d’affirmer avec l’Ukraine que les militaires russes n’étaient pas passifs, observateurs, mais actifs. Et de cela déduire le fameux contrôle efficace – manifestement seuls, sans appui de la population, critère à tel jugé non-pertinent qu’il n’est même pas évoqué.

Or, la question du contrôle efficace pourrait se poser à l’égard de l’Ukraine afin de soulever la question des responsabilités dans les violations permanentes des droits des Ukrainiens, lors et depuis le Maidan. Avec les visites de politiciens étrangers lors du Maidan, les « conseilllers » de l’OTAN toujours dans le pays (voir par exemple ici), les membres étrangers constituant le premier gouvernement post-Maïdan (voir notre texte ici) ou encore, sans être exhaustif, la « surveillance » continue exercée par les organes de la gouvernance globale, l’on serait en droit, au regard des critères de la CEDH, de se demander qui exerce un contrôle efficace en Ukraine, du Gouvernement visible ou d’autres forces moins médiatisées. Si l’on ajoute à cela le critère des déclarations politiques, comme le fait la Cour dans l’affaire de la Crimée, alors plus aucun doute n’est permis. Mais la CEDH a évacué cet aspect, comme non-pertinent.

Mais ce « contrôle efficace » est important dans le raisonnement de la CEDH, surtout pour ne pas reconnaître le plus important, à savoir le rattachement de la Crimée à la Russie et maintenir les rapports entre la Crimée et la Russie dans le cadre de rapports de faits et non de droit.

Le refus de reconnaître le rattachement de la Crimée à la Russie  

La CEDH n’est pas compétente pour se prononcer sur les questions territoriales, ce qui ne l’empêche pas dans cette affaire de tirer toutes les conséquences juridiques du non-rattachement institutionnel de la Crimée à la Russie. Dans son arrêt, la Cour divise la période contestée du 27 février au 18 mars 2014 et ensuite jusqu’au 26 août 2015. Rappelons que le 18 mars 2014 est la date de la signature de l’accord de rattachement de la Crimée à la Russie (voir ici), suite auquel la Crimée est juridiquement devenue partie intégrante du territoire de la Fédération de Russie, et que le 26 août 2015 est la date de la directive adoptée par le Conseil des ministres de la République de Crimée sur la gestion de la propriété publique en Crimée (voir ici).

Concernant la première période, la CEDH parle du contrôle effectif exercé par la Russie sur la région, qui la place donc sous sa juridiction, ce que la Russie conteste par ailleurs. Ensuite, la situation est plus délicate pour la Cour, car, comme le rappelle la Russie, pour trancher la question du contrôle efficace (de fait) ou de la juridiction territoriale (de droit), la CEDH serait amenée à traiter la question de la souveraineté de la Russie, ce qui n’est pas de sa compétence. Pourtant, in fine, la Cour se prononce en affirmant ne pas se prononcer :

« Aux fins de la décision sur la recevabilité, la Cour part du principe que la juridiction de l’État défendeur sur la Crimée revêt la forme ou la nature d’un « contrôle effectif sur un territoire » et non la forme ou la nature d’une juridiction territoriale. Elle rappelle à cet égard qu’elle n’est pas appelée à déterminer si l’intégration de la Crimée, au regard du droit russe, à la Fédération de Russie était licite du point de vue du droit international ».

Par cette formulation, la Cour rejette le rattachement juridique de la Crimée à la Russie, sort de sa compétence – puisqu’elle ne peut analyser la question sans régler cet aspect – et porte ainsi atteinte à la souveraineté de la Russie.

La CEDH en tire ensuite toutes les conséquences juridiques et considère qu’il existe un commencement de preuves justifiant le recours concernant plusieurs griefs, notamment :

« D’extension à la Crimée de l’application des lois de la Fédération de Russie et les conséquences qui en résulteraient, à savoir que depuis le 27 février 2014 les tribunaux de Crimée ne pourraient plus passer pour « établis par la loi » (article 6) ».

En effet, la Crimée faisant partie de la Fédération de Russie, le droit russe et l’organisation institutionnelle, dont juridictionnelle, russe ont évidemment cours. En ce sens, les tribunaux de Crimée ne peuvent plus être établis … par la loi ukrainienne.

« D’imposition automatique de la nationalité russe ».

Comme la législation russe est en vigueur en Crimée, les conditions d’obtention de la nationalité également. Rappelons, que fin 2014-début 2015, les Ukrainiens se sont précipités en Russie pour se réfugier et 460 000 ont obtenu l’asile en 2016, parmi eux seulement 77 000 n’ont pas demandé la nationalité russe. En Crimée, 98% ont demandé le passeport russe, ce qui finalement confirme les résultats du référendum. Par ailleurs, les Ukrainiens continuent à demander la nationalité russe : pour ces dernières années, l’on compte 270 000 personnes en 2019 et près de 500 000 en 2019. Il semble qu’il ne soit pas nécessaire de trop les forcer à cela, mais le reconnaître remettrait en cause la propagande pro-ukrainienne, ce que manifestement, la CEDH ne se permet pas.

Sans entrer plus dans le détail, d’une décision politique particulièrement intéressante, il est toujours regrettable de voir une instance à prétention juridictionnelle mettre la tête sous le billot de la politique internationale au lieu d’avoir la clairvoyance de reconnaître son incompétence, lorsque celle-ci est flagrante.

Mais il est vrai que l’indépendance de cette juridiction est plus que contestable, que ses liens avec les promoteurs du monde global postmoderne ont été prouvés (voir ici), sans par ailleurs que rien ne change. Puisqu’elle existe justement pour remplir ces fonctions – bien éloignées du droit et qui ont de plus en plus de mal à s’y cacher.

Que peut-elle par ailleurs faire, empêtrée dans ses réseaux, quand l‘Ambassade britannique à Kiev à lancé au 1er janvier 2021 un grand programme de financement des ONG pour travailler sur la question des violations des droits de l’homme par la Russie en Crimée et travailler à la « réintégration » de la péninsule en Ukraine ? Elle s’inscrit simplement dans ce mouvement, ce qui continue à porter atteinte une légitimité déjà réduite à peau de chagrin.

Karine Bechet-Golovko

source : http://russiepolitics.blogspot.com/

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À propos de l'auteur Réseau International

Site de réflexion et de ré-information.Aujourd’hui nous assistons, à travers le monde, à une émancipation des masses vis à vis de l’information produite par les médias dits “mainstream”, et surtout vis à vis de la communication officielle, l’une et l’autre se confondant le plus souvent. Bien sûr, c’est Internet qui a permis cette émancipation. Mais pas seulement. S’il n’y avait pas eu un certain 11 Septembre, s’il n’y avait pas eu toutes ces guerres qui ont découlé de cet évènement, les choses auraient pu être bien différentes. Quelques jours après le 11 Septembre 2001, Marc-Edouard Nabe avait écrit un livre intitulé : “Une lueur d’espoir”. J’avais aimé ce titre. Il s’agissait bien d’une lueur, comme l’aube d’un jour nouveau. La lumière, progressivement, inexorablement se répandait sur la terre. Peu à peu, l’humanité sort des ténèbres. Nous n’en sommes encore qu’au début, mais cette dynamique semble irréversible. Le monde ne remerciera jamais assez Monsieur Thierry Meyssan pour avoir été à l’origine de la prise de conscience mondiale de la manipulation de l’information sur cet évènement que fut le 11 Septembre. Bien sûr, si ce n’était lui, quelqu’un d’autre l’aurait fait tôt ou tard. Mais l’Histoire est ainsi faite : la rencontre d’un homme et d’un évènement.Cette aube qui point, c’est la naissance de la vérité, en lutte contre le mensonge. Lumière contre ténèbres. J’ai espoir que la vérité triomphera car il n’existe d’ombre que par absence de lumière. L’échange d’informations à travers les blogs et forums permettra d’y parvenir. C’est la raison d’être de ce blog. Je souhaitais apporter ma modeste contribution à cette grande aventure, à travers mes réflexions, mon vécu et les divers échanges personnels que j’ai eu ici ou là. Il se veut sans prétentions, et n’a comme orientation que la recherche de la vérité, si elle existe.Chercher la vérité c’est, bien sûr, lutter contre le mensonge où qu’il se niche, mais c’est surtout une recherche éperdue de Justice.

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