La Russie prend en charge le Nagorno-Karabakh

La Russie prend en charge le Nagorno-Karabakh

par M.K. Bhadrakumar.

La réunion trilatérale des dirigeants de la Russie, de l’Arménie et de l’Azerbaïdjan au Kremlin le 11 janvier, exactement deux mois après le cessez-le-feu dans le conflit du Haut-Karabakh qui a duré 44 jours, peut être interprétée comme une forte poussée de Moscou pour consolider les résultats diplomatiques obtenus jusqu’à présent. Le cessez-le-feu perdure et c’est le moment opportun pour la Russie de concrétiser d’autres aspects qui ont été convenus entre les trois pays le 10 novembre à Moscou.

Une déclaration publiée après la réunion du 11 janvier a souligné un accord pour établir un groupe de travail tripartite de la Russie, de l’Arménie et de l’Azerbaïdjan au niveau des vice-premiers ministres, assisté par des sous-groupes d’experts, sur les lignes suivantes :

« Le groupe de travail soumettra à l’approbation des parties, au plus haut niveau, d’ici le 1er mars 2021, une liste et un calendrier pour la mise en œuvre de mesures impliquant la restauration et la construction de nouvelles infrastructures de transport nécessaires à l’organisation, à la mise en œuvre et à la sécurité du trafic international effectué à travers la République d’Azerbaïdjan et la République d’Arménie, ainsi que des transports effectués par la République d’Azerbaïdjan et la République d’Arménie, qui nécessitent de traverser les territoires de la République d’Azerbaïdjan et de la République d’Arménie ».

D’après les remarques ultérieures du président de l’Azerbaïdjan Ilham Aliyev, son pays disposerait pour la première fois depuis plus de trois décennies d’une liaison ferroviaire avec le Nakhitchevan, le territoire azéri qui borde la Turquie et l’Iran, et l’Arménie enclavée disposerait de liaisons ferroviaires avec la Russie et l’Iran.

D’après les informations disponibles, l’accent est mis sur un couloir routier allant de l’Azerbaïdjan continental au Nakhitchevan à travers la bande de 42 km que forme entre eux le district arménien de Zengezur. (Pendant des années, les Azerbaïdjanais du continent ont été contraints de se rendre au Nakhitchevan via l’Iran et en Turquie via la Géorgie). L’Arménie, en revanche, aurait tout intérêt à se doter d’une route terrestre praticable par tous les temps vers la Russie via l’Azerbaïdjan. On évoque également la renaissance des anciens réseaux ferroviaires datant de la fin du XIXe siècle – suite au traité de San Stefano de 1878 – et du traité de Kars de 1921 entre la Russie et la Turquie.

En principe, il est possible de rouvrir la liaison ferroviaire Kars-Baku, longue de 877 km, qui traverse le Nakhitchevan et l’Arménie et relie le Caucase du Nord de la Russie, et qui peut également être prolongée vers le sud jusqu’à Tabriz, en Iran. La Turquie considère tout cela comme un « corridor stratégique » qui lui donnerait un accès direct au bassin de la mer Caspienne et à l’Asie centrale, riches en gaz et en pétrole, et plus loin encore à la Chine.

Chemin de fer d’Erevan passant par l’Azerbaïdjan – Nakhitchevan jusqu’en Russie le long de la côte de la mer Caspienne. Ces deux itinéraires ont été activement utilisés pendant l’ère soviétique comme chemins de fer et autoroutes jusqu’au début des années 1990

De toute évidence, la Russie calcule que « tout accord économique et d’infrastructure prend un caractère politique. S’il s’agit de corridors de transport, cela signifie sécurité et une sorte de coopération entre les groupes ethniques arménien et azerbaïdjanais », a déclaré la semaine dernière Andrei Kortunov, directeur général du Conseil russe des Affaires internationales.

Kortunov a estimé que bien que les accords de lundi n’aient pas abordé la question centrale, à savoir le statut du Haut-Karabakh en tant que tel, qui est « suspendu en l’air », les parties vont dans la bonne direction. Pour citer l’influent think tanker basé à Moscou :

« Même les accords limités qui ont été conclus permettent de dire que la réunion (de lundi) a été un succès. Le transport a été considéré comme un aspect neutre et technique des relations. La première étape étant franchie, les deuxième et troisième étapes doivent suivre. Ainsi, l’ouverture des communications de transport devrait être suivie par les questions de l’échange de prisonniers, du retour des réfugiés et de la cohabitation de deux groupes ethniques ».

Mais les choses ne vont pas se faire en douceur. Pour commencer, la centralité de la Turquie doit être définie pour être délimitée – selon la façon dont on la regarde. Selon Kortunov, l’absence (non-participation) de la Turquie au dialogue de Moscou est assez démonstrative. Il explique avec tact : « Cela signifie que la Turquie est un voisin important qui ne peut pas être absolument exclu de ce qui se passe actuellement dans le Caucase du Sud, mais les dirigeants russes ont une fois de plus démontré que le rôle clé dans ce règlement et les étapes post-règlement sera joué par Moscou ».

Pour l’instant, il y a une explication plausible pour maintenir la Turquie à l’extérieur et regarder vers l’intérieur, pendant que Moscou rassemble les blocs de paix. La Turquie n’aime pas cela mais fait preuve de pragmatisme. Mais si Ankara réussit à établir des relations diplomatiques avec Erevan, le calcul change du jour au lendemain.

De même, il y a deux autres aspects en mouvement : l’avenir politique du premier ministre arménien Nikol Pashinyan reste incertain ; le président turc Recep Erdogan soutient Aliyev ; Erdogan et Aliyev peuvent tous deux être des acteurs libres qui ne veulent pas d’une présence militaire russe à long terme dans le Caucase du Sud.

Là encore, l’Iran ne peut pas non plus se réjouir de son exclusion. Le fait est que dans la mosaïque régionale actuelle, l’Arménie et l’Azerbaïdjan n’ont d’autre choix que d’utiliser le territoire iranien pour le transit, et Téhéran n’est pas disposé à renoncer à cet atout géopolitique.

Surtout, si les puissances occidentales restent pour l’instant passives, l’attitude de la prochaine administration des États-Unis reste le facteur « X ». Le mois dernier, le Congrès américain a légiféré pour que « au plus tard 90 jours après la date de promulgation de la présente loi, le directeur du Renseignement national soumette aux commissions du renseignement du Congrès une évaluation écrite concernant les tensions entre les gouvernements d’Arménie et d’Azerbaïdjan, notamment en ce qui concerne le statut de la région du Haut-Karabakh ».

Le Congrès américain a spécifiquement demandé au directeur du Renseignement national de fournir une évaluation selon les lignes suivantes :

  • Une identification des intérêts stratégiques des États-Unis et de leurs partenaires dans la région Arménie-Azerbaïdjan ;
  • Une description de tous les recours significatifs à la force dans et autour de la région du Haut-Karabakh et de la frontière entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan au cours de l’année civile 2020, notamment une description de chaque recours significatif à la force et une évaluation des personnes ayant initié le recours à cette force ;
  • Une évaluation de l’effet de l’assistance militaire des États-Unis à l’Azerbaïdjan et à l’Arménie sur l’équilibre régional des forces et la probabilité d’un nouveau recours à la force militaire ; et
  • Une évaluation de la probabilité de tout nouveau recours à la force ou d’activités potentiellement déstabilisatrices dans la région à court ou moyen terme.

Il est clair que Washington se prépare à une lutte géopolitique dans le Caucase. Moscou le sent probablement. Et cela expliquerait la hâte avec laquelle elle pousse le développement des infrastructures dans le Caucase du Sud. La Russie poursuit une trajectoire visant à renforcer sa position tout en gardant à l’esprit l’éventualité de devoir s’engager avec les puissances occidentales à un moment donné dans le cadre du Groupe de Minsk.

Le président Poutine est parfois en contact avec son homologue français Emmanuel Macron, les deux pays étant coprésidents (avec les États-Unis) du Groupe de Minsk. Il est concevable que la Russie reste ouverte à une collaboration avec l’Occident tout en préservant ses intérêts dans le Caucase. La grande question est de savoir si, dans l’environnement de sécurité actuel, cette attente est réaliste.

En attendant, des analystes américains ont récemment mis en évidence l’implication croissante de la Chine dans le Caucase du Sud. Selon la Banque mondiale, depuis 2005, le chiffre d’affaires commercial de la Chine avec l’Arménie, l’Azerbaïdjan et la Géorgie a augmenté d’environ 2 070%, 380% et 1 885%, respectivement.

Les investissements chinois sont également en hausse, étant donné le potentiel incontestable de la BRI à générer des affaires. Avec l’achèvement récent du chemin de fer Bakou-Tbilissi-Kars, l’empreinte de la Chine va encore s’accroître et cette présence économique se traduira finalement par une influence politique.

La situation géographique des pays du Caucase du Sud en fait des voies de transit viables pour les marchandises chinoises et européennes. Un universitaire chinois a même récemment décrit l’Azerbaïdjan comme un « pays pivot » dans le corridor économique Chine-Asie centrale- Asie occidentale de la BRI. La Chine développe une route commerciale via le Kazakhstan qui traverse la mer Caspienne du port kazakh d’Aktau jusqu’à Bakou, qu’elle visualise comme une plaque tournante de la BRI.

Pour les États-Unis, le Caucase est un territoire vital pour allumer des feux à la périphérie de la Russie, pour faire avancer l’expansion de l’OTAN vers l’est, pour s’implanter dans la région riche en pétrole de la mer Caspienne, pour contrôler l’une des principales artères commerciales de la Chine vers le marché européen et pour freiner l’influence de l’Iran dans la région.

Ce qui devrait le plus inquiéter Washington, c’est qu’il existe une convergence suffisante entre la Russie et la Chine pour maintenir le Caucase en dehors de l’orbite géopolitique américaine, d’autant plus que l’OTAN se consolide dans la région de la mer Noire.

M.K. Bhadrakumar

illustration : Le président russe Vladimir Poutine rencontre le président azerbaïdjanais Ilham Aliyev et le premier ministre arménien Nikol Pashinyan, Moscou, 11 janvier 2021

source : https://indianpunchline.com

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Site de réflexion et de ré-information.Aujourd’hui nous assistons, à travers le monde, à une émancipation des masses vis à vis de l’information produite par les médias dits “mainstream”, et surtout vis à vis de la communication officielle, l’une et l’autre se confondant le plus souvent. Bien sûr, c’est Internet qui a permis cette émancipation. Mais pas seulement. S’il n’y avait pas eu un certain 11 Septembre, s’il n’y avait pas eu toutes ces guerres qui ont découlé de cet évènement, les choses auraient pu être bien différentes. Quelques jours après le 11 Septembre 2001, Marc-Edouard Nabe avait écrit un livre intitulé : “Une lueur d’espoir”. J’avais aimé ce titre. Il s’agissait bien d’une lueur, comme l’aube d’un jour nouveau. La lumière, progressivement, inexorablement se répandait sur la terre. Peu à peu, l’humanité sort des ténèbres. Nous n’en sommes encore qu’au début, mais cette dynamique semble irréversible. Le monde ne remerciera jamais assez Monsieur Thierry Meyssan pour avoir été à l’origine de la prise de conscience mondiale de la manipulation de l’information sur cet évènement que fut le 11 Septembre. Bien sûr, si ce n’était lui, quelqu’un d’autre l’aurait fait tôt ou tard. Mais l’Histoire est ainsi faite : la rencontre d’un homme et d’un évènement.Cette aube qui point, c’est la naissance de la vérité, en lutte contre le mensonge. Lumière contre ténèbres. J’ai espoir que la vérité triomphera car il n’existe d’ombre que par absence de lumière. L’échange d’informations à travers les blogs et forums permettra d’y parvenir. C’est la raison d’être de ce blog. Je souhaitais apporter ma modeste contribution à cette grande aventure, à travers mes réflexions, mon vécu et les divers échanges personnels que j’ai eu ici ou là. Il se veut sans prétentions, et n’a comme orientation que la recherche de la vérité, si elle existe.Chercher la vérité c’est, bien sûr, lutter contre le mensonge où qu’il se niche, mais c’est surtout une recherche éperdue de Justice.

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