17 janvier 2021 : 60 ans après l’assassinat de Patrice Lumumba, 30 ans après la première guerre du Golfe — Nadine ROSA-ROSSO

17 janvier 2021 : 60 ans après l’assassinat de Patrice Lumumba, 30 ans après la première guerre du Golfe — Nadine ROSA-ROSSO

Trente ans, soixante ans… Ces dates peuvent sembler lointaines, des événements du siècle passé. En particulier pour les jeunes générations, nées au vingt-et-unième siècle et confinées aujourd’hui pour la première fois de leur jeune existence. Et pourtant, ces événements marquent profondément notre présent.

17 janvier 1961 : assassinat de Patrice Lumumba

L’assassinat de Patrice Lumumba le 17 janvier 1961, et ceux, à la même époque, de nombreux autres dirigeants africains intègres qui luttaient pour l’indépendance et la reconstruction de leur nation, ont modifié fondamentalement les possibilités d’avenir de ce continent. Pas moins de vingt-deux présidents africains en poste ont été assassinés [1], sur ordre ou avec la complicité des métropoles européennes et américaines, pour non-servilité aux puissances coloniales. La liquidation de générations entières de dirigeants anticoloniaux n’a pas seulement eu des conséquences dramatiques pour l’Afrique, mais aussi sur la persistance des mentalités coloniales chez nous. Il est facile d’inculquer largement l’idée que l’Afrique n’a pas été capable de gérer son indépendance après avoir commandité et réalisé l’assassinat de toutes celles et tous ceux qui représentaient l’alternative anticoloniale pour tout un continent. Dans notre pays, l’assassinat de Patrice Lumumba n’a jamais été reconnu comme un assassinat d’État, notre État, planifié cyniquement afin de mettre au pouvoir la marionnette Mobutu, pieds et poings liés aux intérêts belges et occidentaux au Congo. Apprend-on aux jeunes à l’école que notre démocratie est capable d’ordonner l’exécution d’un homme, un premier ministre démocratiquement élu, simplement parce qu’il dénonce les crimes de la colonisation, et ensuite d’ordonner le découpage et la dissolution de son corps dans l’acide ? Apprend-on aux jeunes que, si on veut réellement juger du caractère démocratique d’un régime, il faut examiner comment il s’est comporté dans ses ex-colonies et comment il pratique le néo-colonialisme aujourd’hui. Car « notre » démocratie, « nos » droits, « nos » libertés reposent très largement sur le pillage passé et actuel des pays du tiers monde, sans lequel la base économique et sociale de ces libertés n’existerait tout simplement pas.

17 janvier 1991 : première guerre du Golfe

17 janvier 1991, au milieu de la nuit irakienne, commence le bombardement de ce pays, déjà mis à genou par un embargo de cinq mois. Imposée à l’opinion publique occidentale à coup de mensonges, comme celui des nourrissons dans les couveuses du Koweit, cette guerre a inauguré une guerre sans fin contre les peuples et nations arabo-musulmans, qui se poursuit aujourd’hui. La destruction quasi-totale de la nation irakienne, par deux guerres et un interminable embargo, a embrasé et ravagé toute la région et porté ses conséquences meurtrières dans le monde entier.

Pour beaucoup, la guerre contre le terrorisme aurait commencé avec les attentats du 11 septembre 2001. C’est que cet événement est commémoré quasi religieusement depuis près de vingt ans. Mais que la guerre a bel et bien commencé dix ans plus tôt, ce 17 janvier 1991, l’apprendra-t-on à nos enfants à l’occasion de cet anniversaire ? Pourtant, c’est le président Bush (père) lui-même, qui l’a annoncé on ne peut plus clairement : « La guerre froide est terminée, nous sommes entrés dans une ère nouvelle qui offre un grand espoir » [2]. Après la disparition de l’Union soviétique et du Pacte de Varsovie, autrefois appelés le camp socialiste, il fallait trouver de nouveaux débouchés pour l’industrie de l’armement et des nouvelles technologies. La première guerre du Golfe sera d’ailleurs le premier laboratoire grandeur nature ainsi qu’un grand salon publicitaire, qui a permis l’explosion commerciale d’internet et de toutes ses applications. Sauf que les Irakiens l’ont payé avec des millions de morts et la destruction quasi-totale de leurs infrastructures essentielles.

Et cette première guerre du Golfe a aussi marqué chez nous le point de départ de la stigmatisation d’État des populations arabo-musulmanes en Europe. En 1991, un ministre-président bruxellois socialiste demande l’interdiction des radios arabes libres parce qu’elles mobilisent « les masses arabo-musulmanes » contre l’intervention de la coalition contre l’Irak. C’est la première fois que les populations maghrébines sont désignées comme suspectes, non pas seulement en raison de leur origine étrangère, mais en fonction de leur positionnement supposé dans un conflit. L’origine de l’islamophobie se trouve précisément là, dans l’extension de la guerre à tous les aspects de notre vie, nous privant ainsi de notre droit légitime à nous opposer à la guerre, indépendamment de notre origine nationale, de notre culture ou de nos convictions philosophiques. Il n’y a dès lors rien de surprenant à ce que l’année 1991, dans ce contexte de guerre généralisée, sera aussi marquée par les premières révoltes de jeunes immigrés à Forest et Saint-Gilles et par la première percée spectaculaire de l’extrême droite qui recueillera 479 917 voix en novembre de la même année. Car, à nouveau, la nature démocratique d’un régime se révèle dans la façon dont il mène ses guerres. Et la Belgique, sous direction étasunienne et aux côtés des démocraties française, britannique, italienne, néerlandaise, grecque, espagnole, portugaise, danoise, norvégienne et canadienne (pour ne citer que les occidentales), s’est jetée avec enthousiasme dans cette guerre de trente ans, qui se mène aussi bien sur le plan extérieur qu’intérieur.

Puissent ces anniversaires aviver les flammes de la lutte anticoloniale, antiguerre et antiraciste qui couvent ici chez nous et s’élèvent ci et là, dans les révoltes de ces jeunes qu’on s’empresse de criminaliser, dans le puissant mouvement aux EU contre les violences policières racistes, dans les actes de déboulonnage des symboles coloniaux ou encore dans les rassemblements pour la libération d’Assange… Confinés mais pas cons n’oublions pas cette histoire qui baigne notre présent et nos luttes.

[1] http://jkanya.free.fr/Texte19/assassinatdespresidents190119.pdf

[2] Cité par Manlio Dinucci, Édition de vendredi 15 janvier 2021 d’il manifesto

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À propos de l'auteur Le Grand Soir

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