La « transition » selon GNL Québec/Gazoduq: Plus tard? Trop tard!

Christophe Reutenauer, Bonnie Campbell, Marie Saint-Arnaud, Lucie Sauvé

Les auteurs sont membres du Collectif scientifique sur la question du gaz de schiste et les enjeux énergétiques au Québec (CSQGDS) et du regroupement Des Universitaires (https://desuniversitaires.org/)

Selon un récent sondage Léger[i], près de 70% de la population du Québec ne connaît pas le projet GNL Québec/Gazoduq. Il s’agit pourtant du plus grand projet industriel privé de l’histoire du Québec. Ce constat nous a incités à rassembler de façon synthétique les principaux arguments formulés par les organisations et les scientifiques s’opposant au projet, dont les membres du CSQGDS, dans le cadre des récentes audiences du BAPE à ce sujet[ii].

Le sondage réalisé en novembre dernier montre entre autres, que 60% des répondant.e.s âgé.e.s de 18 à 24 ans (68% chez les étudiant.e.s) sont en défaveur de ce projet d’exportation de gaz fossile en provenance de l’Ouest Canadien, nécessitant la construction d’un gazoduc traversant le Québec, celle d’une usine de liquéfaction à Saguenay et le transport par navires-méthaniers via le fjord du Saguenay et le fleuve Saint-Laurent. Or, ce sont justement les jeunes qui subiront davantage les effets catastrophiques du réchauffement planétaire, et ils ont compris les failles dans l’argumentation des promoteurs, qui prétendent que le gaz serait une énergie de transition permettant de passer progressivement des combustibles fossiles aux énergies vertes. L’industrie gazière semble ainsi admettre qu’il faut privilégier désormais les énergies à faible impact climatique. Mais en même temps, les promoteurs argumentent qu’il faut développer la filière du gaz, afin de mieux pouvoir s’en passer plus tard. Plus tard? Trop tard pour la planète!

Selon l’industrie, son gaz fossile va remplacer le charbon qui serait plus polluant : le gaz serait une « énergie de substitution » destiné à l’Europe et à l’Asie. D’une part, cet argument ne s’appuie sur aucun contrat signé dans les pays importateurs et d’autre part, il contredit de nombreuses recherches scientifiques sur le bilan des émissions de gaz à effet de serre (GES) associées au gaz obtenu par fracturation. En fait, il s’agit d’une source d’émission de GES potentiellement plus importante que le pétrole ou le charbon, qui viendrait de surcroît concurrencer les énergies vertes. Ce gaz s’ajouterait aux autres formes d’énergie fossile, nuisant ainsi aux engagements du Québec et du Canada dans la lutte au réchauffement climatique. Ce choix serait donc incompatible, entre autres, avec le Plan pour une économie verte que vient de lancer le Gouvernement du Québec.

Une vraie transition énergétique doit être envisagée comme un virage énergétique: un virage qui changerait notre trajectoire, dès maintenant.

Le modèle économique qui sous-tend le projet GNL Québec/Gazoduq est fortement mondialisé et va à l’encontre des leçons que nous tirons entre autres, de la pandémie actuelle. Cette dernière met en lumière les risques de la dépendance de notre économie à l’égard d’autres régions du Canada et des marchés mondiaux. Or l’évolution des prix sur le marché mondial du gaz fossile est la première des incertitudes concernant la viabilité économique de ce produit. Derrière ce facteur, se profilent les possibilités de perturbations des chaînes d’approvisionnement en cas de chocs comme la COVID-19. Dans un tel contexte, pourquoi bâtir des infrastructures qui reproduisent un modèle vulnérable d’économie d’exportation des ressources naturelles? Le projet GNL Québec/Gazoduq nécessiterait $14 milliards d’investissement et ne créerait qu’environ 300 emplois permanents au Québec au cours des 25 prochaines années. Pourquoi ne pas investir plutôt dans un développement régional plus durable, diversifié et novateur?

Par ailleurs, on ne peut mesurer pleinement les impacts du projet de GNL Québec si on analyse séparément sa composante Gazoduq et celle de l’usine de liquéfaction de gaz projetée à Saguenay. En effet, ce gaz extrait par fracturation hydraulique provient de l’Ouest canadien. Peut-on dire que les graves impacts écologiques et sanitaires de ce procédé d’extraction dans cette région ne nous concernent pas? En outre, les populations à proximité des exploitations sont souvent des communautés autochtones, qui sont non seulement affectées par ces risques, mais aussi dépossédées de leurs terres ancestrales.

Les fuites de méthane associées à l’exploitation et au transport du gaz fossile sont aussi largement documentées et représentent un risque pour la lutte au changement climatique. Il est également potentiellement dangereux que de gigantesques bateaux-citernes circulent dans l’étroit fjord du Saguenay, à travers le seul parc marin du Canada, où vit entre autres, une population menacée de bélugas. De plus, ce projet apparaît préoccupant pour le tourisme, une importante activité économique régionale.

On sait désormais que le réchauffement climatique constitue la plus grave menace à la santé du monde au 21e siècle[iii]. Il n’y a plus de marge de manœuvre pour l’émission de GES, qu’il faut réduire drastiquement, dès maintenant. Le principal remède est bien connu: laisser dans les sous-sols les sources d’énergie fossile, comme le gaz.

Avec l’abondance d’hydroélectricité, le Québec est l’une des régions du monde les plus avantagées pour promouvoir une économie décarbonée. Pourquoi l’électricité verte devrait-elle servir de béquille aux énergies fossiles, comme le prévoit GNL Québec qui envisage d’utiliser une importante quantité d’hydroélectricité pour liquéfier le gaz? Ce serait un énorme gaspillage du point de vue de la thermodynamique.

Les scientifiques nous alertent depuis au moins 30 ans sur l’urgence d’amorcer un virage énergétique. Plus de 700 scientifiques au Québec ont manifesté explicitement leur opposition au projet de liquéfaction et d’exportation de gaz fossile. Avaliser le projet GNL Québec/Gazoduq relèverait d’une logique politico-économique dépassée, au risque évident de perdre l’appui politique de larges segments d’une population de plus en plus consciente et éclairée, dont celui d’une jeunesse mobilisée pour son avenir.

Rappelons que le rapport du BAPE doit être déposé le 13 janvier prochain et la décision du Conseil des ministres est attendue à la fin de janvier. Ultimement, l’autorisation du projet relève toutefois du gouvernement fédéral.

Illustration : Brignaud

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