Travail productif et improductif – Quelles activités créent de la valeur?

Par le Groupe Orage, présenté par Oeil de Faucon.  L’article de Orage est suivi du commentaire de Oeil de Faucon.

Sommaire de l’article du Groupe Orage
  • Analyser certains événements comme les crises financières ou sanitaires nous pousse parfois à questionner les fondamentaux économiques, jusqu’à atteindre les racines du fonctionnement du système actuel. La problématique relative au type de travail permettant la création de valeur (travail productif) peut sembler abstraite et théorique de prime abord. Pourtant, les conséquences qu’impliquent les réponses à cette question sont en réalité multiples et très concrètes.

Ainsi, à petite échelle, déterminer le caractère productif ou improductif (producteur ou improducteur de valeur) d’une activité salariée permet de concevoir l’impact d’un potentiel arrêt généralisé de cette activité sur l’économie (que ce soit du fait d’une grève ou d’un confinement). Cette distinction, pourtant théorique, a déterminé l’attitude d’organisations politiques et syndicales envers telle ou telle catégorie de population. Par exemple, les travailleurs apparentés aux catégories ambiguës de « classe moyenne » ou de « col blanc » ont pu être considérés comme effectuant des activités improductrices, négligeant ainsi leur impact sur la production. À une échelle plus large, s’intéresser dans le détail à la production de valeur est indispensable pour saisir comment fonctionne le système capitaliste aujourd’hui. Savoir si des activités tertiaires, marchandes ou d’encadrement, peuvent être productrices de valeur alors même que ce type d’emploi salarié est devenu dominant au sein des pays historiquement capitalistes est un enjeu majeur pour expliquer, comprendre voire anticiper les crises économiques. Les réponses à ces questions économiques ont pu se voir influencer par des opinions préconçues valorisant notamment le travail manuel ou l’utilité sociale d’une activité. Mais ces considérations n’ont que peu de sens si l’on souhaite analyser le fonctionnement d’un système économique. Pour ce faire, la question est avant tout de savoir quelles catégories économiques sont pertinentes au sein du monde capitaliste actuel, quand bien même elles s’avèrent socialement absurdes.

Pour éviter de tomber dans ce genre d’écueils, il nous semble nécessaire de repartir de la base. C’est-à-dire de revenir sur les fondements utilisés pour définir ces catégories et la pertinence de leur utilisation pour comprendre le fonctionnement de l’économie capitaliste. S’intéresser aux définitions économiques communes à Adam Smith et Karl Marx, qui plus est, qu’ils ont tous deux mis en avant, nous semble en ce sens nécessaire. Le but n’est pas tant de rentrer dans l’exégèse de textes canoniques en vue de convaincre leurs partisans respectifs les plus doctrinaux qui tendent à considérer leurs écrits comme parole d’évangile. Il s’agit plus de voir ce que leurs analyses économiques dans toutes leurs précisions peuvent apporter à la compréhension de l’état actuel des choses. Ce travail d’approfondissement et de synthèse est en tout cas nécessaire pour nous permettre d’utiliser ces concepts dans d’autres articles à venir.

Revenons tout d’abord sur quelques définitions et cadres conceptuels avant de plonger dans le cœur du sujet : Qu’est-ce que la valeur et d’où vient-elle ?

Valeur et force de travail quelques définitions

Si nous achetons certaines marchandises, c’est parce qu’elles ont pour nous une valeur d’usage. Par exemple, nous achetons de l’eau pour étancher notre soif. Mais cette propriété de l’eau qu’est la satiété est difficilement quantifiable et ne permet pas de déterminer sa valeur. Dans l’absolu, c’est lorsqu’on souhaite échanger une chose contre autre qu’on se pose la question de sa valeur. C’est ce qu’on appelle la valeur d’échange. Une marchandise A vaut tant de marchandises B. Or, la permanence des échanges a progressivement permis à cette valeur qui n’existait qu’au moment de l’échange de changer de forme jusqu’à devenir autonome, à s’objectiver. Une marchandise n’a dès lors plus besoin d’être échangée pour qu’on se questionne sur sa valeur. Elle la possède en permanence. Cette valeur s’exprime aujourd’hui sous la forme d’un équivalent général universel : l’argent. Aujourd’hui, les marchandises ne sont produites que parce qu’elles ont une certaine valeur, qu’elles ne réalisent pour autant que lorsqu’elles sont échangées contre de l’argent, c’est-à-dire vendues. Pour qu’elles soient achetées, il est nécessaire qu’elles satisfassent un besoin social pour l’acheteur. Pour qu’une marchandise ait une valeur, il est donc nécessaire qu’elle ait également une valeur d’usage.

Déterminer d’où provient la valeur d’une marchandise est un des enjeux centraux de la « science économique » depuis sa naissance. Reprenant l’analyse d’économistes classiques comme Ricardo ou Adam Smith, Marx affirme et démontre que toute la valeur d’un produit provient du travail qui a été nécessaire pour le produire (pour plus de détails : qu’est-ce que la valeur ?). En effet, le coût de revient d’une marchandise peut être décomposé ainsi :

  • Le coût du travail de l’ensemble des employés que le patron a payé sous forme de salaire pour acheter leur force de travail.
  • La plus-valuecomme part du travail des employés que le patron n’a pas payé et qu’il s’approprie pour générer son profit.
  • Le coût des matières premièresqui ont une valeur parce qu’il a fallu qu’un certain nombre de personnes vendent leur force de travail pour les produire. En effet, pas d’acier sans le travail du mineur extrayant du charbon et du fer et celui de l’ouvrier sidérurgiste faisant fondre l’un avec l’autre. À chacun de ces niveaux de production, divers patrons ont également récupéré une certaine plus-value.
  • Le coût des machines et de l’électricitéqui ont une valeur parce qu’il a également fallu que des travailleurs vendent leur force de travail pour les fabriquer.

Marx démontre que cette marchandise qu’est la force de travail n’est pas une marchandise comme une autre. En effet, c’est la seule qui, en étant achetée sur le marché du travail, permet de créer de la valeur (pour plus de détails : Qu’est-ce que la force de travail ?). S’il y a « création » de valeur, c’est justement parce que cette marchandise qu’est la force de travail n’est pas payée en fonction de la valeur du travail produit. Ce qui est payé, c’est un salaire déterminé par ce qui est nécessaire à la reproduction de cette force de travail et qui fluctue en fonction du rapport de force existant entre le salarié, sa direction et les conditions extérieures. Ce salaire est systématiquement inférieur à la valeur qu’il permet de produire et c’est cette différence qui permet au travail[1] de générer une plus-value. En effet, au sein du système capitaliste, « le but de la production n’est pas la marchandise, mais la valeur (argent) »[2].

Edward Hopper, Gas (1940)

Travail productif et travail improductif

Lorsqu’on élargit la focale, on se rend alors compte que certains travails[3] permettent de produire de la plus-value tandis que d’autres non. Les premiers sont ainsi appelés travail productif tandis que les autres sont appelés travail improductif. Dans la langue de tous les jours, la différence entre travailleurs productifs et improductifs se pose le plus généralement dans un rapport d’utilité vis-à-vis de la société. On peut par exemple qualifier d’improductif un chômeur, un retraité ou quelqu’un qui occupe un emploi, mais ne « fait rien », n’a pas d’activité réelle. D’autres fois, ce sont les activités considérées comme inutiles à la société qui sont qualifiées d’improductives. Selon les critères de la personne qui utilise ce terme, ce seront les artistes, les banquiers ou les professeurs qui seront qualifiés d’improductifs. Cette définition vernaculaire est souvent opposée à celle du travailleur productif vu comme travailleur manuel fabriquant des marchandises de ses mains habiles. Cette vision de la distinction entre travailleurs productifs et improductifs a largement été diffusée par des groupes politiques, voire des gouvernements se réclamant du marxisme et défendant une vision ouvriériste.

1) Travail productif et travail intellectuel

Pourtant la distinction que Marx fait entre travail productif et improductif n’a aucun rapport avec les usages communs de ces termes. Il est question ici de travail productif pour le capital c’est-à-dire de travail producteur de plus-value. Peu importe l’utilité de la marchandise produite ou si cette marchandise est matérielle ou immatérielle. À partir du moment où elle permet de créer de la valeur, elle peut être considérée comme productive[4]. Marx utilise trois exemples parlants pour illustrer sa réflexion : celui du clown, celui du maitre d’école et celui de la cantatrice :

« Un comédien, par exemple, un clown même, est par conséquent un travailleur productif, du moment qu’il travaille au service d’un capitaliste (de l’entrepreneur) à qui il rend plus de travail qu’il n’en reçoit sous forme de salaire, tandis qu’un travailleur qui se rend au domicile du capitaliste pour lui raccommoder ses chausses ne lui fournit qu’une valeur d’usage et ne demeure qu’un travailleur improductif. Le travail du premier s’échange contre du capital (variable), le travail du second contre du revenu. Le premier crée une plus-value ; dans le cas du second, c’est un revenu qui est consommé »[5].

Marx y inscrit ici la différence principale. Pour que le travail soit considéré comme productif, il est nécessaire qu’il soit échangé contre du capital, c’est-à-dire contre un salaire qui permette d’extraire une plus-value.

« Un maître d’école est un travailleur productif dès lors qu’il ne se contente pas de former la tête de ses élèves, mais qu’il se déforme lui-même pour enrichir son patron. Que ce dernier ait investi son capital dans une fabrique de leçons plutôt que dans une fabrique de saucisses, cela ne change rien au rapport »[6]. « Une cantatrice qui, de son propre chef vend son chant, est un travailleur improductif. Mais la même cantatrice engagée par un entrepreneur qui la fait chanter pour gagner de l’argent, est un travailleur productif car elle produit du capital. »[7]

Dans cet exemple, c’est l’indifférence pour le capitaliste de la nature de la marchandise produite qui est soulignée. La production, comme le capitalisme, est avant tout un rapport social. Déterminer si un travail est productif ou non dépend donc du rapport social de production et non de la marchandise qui est produite. Un professeur employé par Acadomia ou une école privée se retrouve donc à faire un travail productif tandis qu’un autre, employé par l’État dans un système éducatif gratuit, ne l’est pas. Son travail n’en est pas moins indispensable à la reproduction de la force de travail et donc au fonctionnement même du capitalisme.

Marx n’invente absolument pas ce concept de travail productif, il ne fait que la reprendre d’Adam Smith, théoricien père du libéralisme, dont il reconnait les mérites entre autres pour son analyse du travail sous le capitalisme : « Le travail productif est ici défini du point de vue de la production capitaliste et A. Smith a touché juste ; sur le plan des concepts il a épuisé la question »[8]. En effet, cette analyse du travail productif n’est pas le résultat de considérations abstraites, elle relève simplement de l’observation de la manière dont l’économie capitaliste dans son fonctionnement perçoit et transforme le travail. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle Marx va la trouver chez Smith.

2) Travail productif et travail d’encadrement

Marx souligne que le caractère productif d’un travail n’a absolument aucun rapport avec l’activité en elle-même, avec le travail concret. Il nous démontre aussi qu’il n’est en aucune manière lié à la nature manuelle ou intellectuelle de ce travail ni à la nature matérielle ou immatérielle de la marchandise produite. La seule donnée déterminante est le rapport social qu’entretient ce travail avec le capital. Enfin il explique également que ce n’est pas seulement le travailleur qui est directement impliqué dans l’acte productif de la marchandise qui est considéré comme productif, mais également :

« tous les travailleurs intellectuels qui sont consommés dans la production matérielle, non seulement le travailleur manuel direct, ou le travailleur sur machines, mais aussi surveillants (overlooker), ingénieurs, directeur (manager), commis, etc. Bref le travail de tout le personnel requis dans une sphère déterminée pour produire une marchandise déterminée, et dont le concours (la coopération) est nécessaire à la production de marchandises. »[9]

Cette phrase ne saurait être plus explicite : pour Marx comme pour Adam Smith le travail d’encadrement de la force de travail est un travail potentiellement producteur de plus-value, et ce du contremaitre jusqu’au directeur en passant par tous les postes de gestion nécessaires à la production, comme une partie des activités de comptabilité ou de vente[10]. Tout dépend du rapport social de production dans lequel il s’insère[11]. À partir du moment où l’encadrement participe à organiser la production elle se trouve productive[12].

Dans ce cas-là et au sein d’un monde où le rapport social capitaliste qu’est le salariat a triomphé partout, que reste-t-il comme travails improductifs ? Là encore Marx est plutôt explicite lorsqu’il aborde la raison pour laquelle la distinction entre travail productif et improductif chez Adam Smith à fait socialement polémique :

« La grande masse des travailleurs dits « supérieurs » – fonctionnaires de l’État, militaires, virtuoses, médecins, prêtres, juges, avocats, etc. – tous ces gens qui, non seulement ne sont pas producteurs, mais essentiellement destructeurs, et qui savent toutefois s’approprier une grande partie de la richesse matérielle soit en vendant leurs marchandises immatérielles, soit en les imposant de vive force, n’était guère flattés de se voir relégués au point de vue économique, dans la même classe que les saltimbanques et domestiques et de n’apparaitre que comme des consommateurs parmi d’autres. ».[13]

Voyons maintenant comment il détermine la séparation entre les deux : « Le travailleur productif produit pour l’acheteur de sa puissance de travail, une marchandise, alors que le travailleur improductif ne produit pour celui-ci qu’une valeur d’usage, imaginaire ou réelle. »[14]. On pourrait pourtant considérer la consultation chez le médecin comme une marchandise immatérielle, c’est le cas, mais en réalité tout dépend de la manière dont elle a été produite. La consultation médicale produite par un médecin possédant son cabinet n’est qu’une valeur d’usage immédiate échangée contre un revenu. A contrario, la consultation d’un médecin travaillant dans une clinique privée et percevant un salaire est une marchandise vendue aux patients/clients par le propriétaire de la clinique et sur laquelle il génère une plus-value. Dans ce dernier cas, c’est donc un travail productif.

Finalement et dans le cadre du système économique capitaliste, on se rend compte qu’il ne reste que très peu de travails entièrement improductifs. Cela concerne principalement les fonctionnaires d’État (et encore, seulement ceux sur qui l’État ne fait pas de plus-value), les professions libérales et les travailleurs dont le travail est immédiatement consommé comme valeur d’usage.

Edward Hopper, La nuit au bureau (1940)

3) Artisans et agriculteurs indépendants producteurs de leur propre exploitation.

Reste enfin le cas du travail des agriculteurs et artisans « indépendants qui n’emploient pas d’ouvriers » et se retrouve ainsi en dehors du rapport social capitaliste du travail qu’est le salariat.

« Ce sont des producteurs de marchandises, et je leur achète des marchandises. […] ce rapport n’a donc rien à voir avec l’échange de capital et de travail, ni donc avec la distinction entre travail productif et travail improductif, qui ne repose que sur ceci : le travail est-il échangé contre de l’argent en tant qu’argent ou contre de l’argent en tant que capital ? Ils n’entrent donc ni dans la catégorie des travailleurs productifs ni dans celles des travailleurs improductifs, bien qu’ils soient producteurs de marchandises. »[15].

Néanmoins, cette position est largement nuancée par Marx lui-même avec l’englobement de leur travail dans le cadre du mode de production capitaliste. En effet, ces travailleurs sont en capacité de s’autoexploiter et d’extraire de la plus-value de leur propre travail pour le transformer en capital et l’injecter dans leur entreprise.

« Il est possible que ces producteurs, qui travaillent avec leurs propres moyens de production, non seulement reproduisent leur puissance de travail, mais créent de la plus-value, leurs positions leur permettant de s’approprier leur propre surtravail ou une partie de celui-ci (une partie leur étant soustraite sous forme d’impôts). […] Le paysan ou l’artisan indépendant sont divisés en deux personnes. Comme possesseur des moyens de production, il est capitaliste, comme travailleur, il est son propre salarié. Il se paye donc son salaire comme capitaliste et tire son profit de son capital, c’est-à-dire qu’il s’exploite lui-même comme travailleurs salariés et se paie, avec la plus-value, le tribut que le travail doit au capital. »[16]

Parce qu’il possède ses outils lui permettant de travailler, son travail n’est pas aliéné et pourtant reste, dans une certaine mesure, un travail productif. Mais dans le système capitaliste, cette situation d’équilibre n’est pas faite pour durer dans le temps. En effet :

« L’artisan ou le paysan qui produit à l’aide de ses propres moyens de production, ou bien se transformera peu à peu en un petit capitaliste, qui exploite lui aussi le travail d’autrui, ou bien il perdra ses moyens de production (ce qui peut s’opérer dans un premier temps, alors qu’il en demeure le propriétaire nominal, comme dans le système des hypothèques) et sera transformé en travailleur salarié ».[17].

Cette analyse du travail des artisans et agriculteurs indépendants peut largement être étendue à de nombreux travailleurs indépendants qualifiés aujourd’hui d’autoentrepreneurs. Cette couche sociale regroupe en réalité de nombreux statuts différents que l’on peut finalement placer sur un spectre allant du capitaliste s’autoexploitant partiellement, au salarié productif déguisé sous ce statut légal. (Cf. La Grande dévalorisation).

Phase de production et phase de circulation

L’analyse de Marx et d’Adam Smith sur cette question du travail productif semble relativement explicite. Pourquoi a-t-elle donc suscité autant de controverses et de désaccords ? Il semble qu’il y ait deux raisons à cela.

La première est historique. Elle tient à la glorification du travail manuel idéalisé des ouvriers à la fois par divers groupes et partis politiques « ouvriéristes », mais également par certains gouvernements capitalistes se référant de manière identitaire à la pensée de K. Marx qui pourtant ne porte pas cette dimension.

La seconde est plus théorique et liée aux ambiguïtés possibles que soulève la distinction qu’introduit Marx entre la phase de production du capital et la phase de la circulation du capital qu’il considère comme improductrice de valeur.

En effet, pour que la valeur produite par le travail productif soit réalisée, c’est-à-dire transformée en argent et ainsi que cet argent puisse ensuite être réinvesti, il est également nécessaire que la marchandise produite soit vendue. Cet acte essentiel pour le capitalisme qu’est la vente est également appelé réalisation de la valeur. Pour que cette vente ait lieu, il faut que l’acheteur trouve dans cet achat une utilité quelconque (donc une valeur d’usage). Il est également nécessaire que cette marchandise soit disponible pour le vendeur, mais également qu’elle soit suffisamment mise en avant par rapport à la concurrence d’autres marchandises disponibles sur le marché, pour trouver preneur. Au sein du système capitaliste, l’utilité d’une marchandise ne sert qu’à réaliser la valeur.

Cette vente en elle-même ne fait pas partie de la phase de production, car elle ne permet pas de rajouter de valeur à une marchandise. Marx considère ainsi ce processus de vente comme faisant partie de la phase de circulation du capital. La vente est un simple transfert de propriété de l’objet antérieurement produit qui permet de transformer ce capital-marchandise en argent.

Commerciaux, vendeurs et publicitaires sont-ils des travailleurs productifs ?

Marx souligne que l’acte de vendre une marchandise quelle qu’elle soit, n’est pas producteur en soi de valeur ou de plus-value. En effet, le fait de parvenir à revendre plus cher que son prix d’achat une marchandise ne permet que de récupérer de la valeur antérieurement produite au détriment de l’acheteur. Ce sont des frais de circulation qui sont récupérés par le capital marchand sur la valeur produite lors de la phase productive. Cette constatation a induit de nombreux lecteurs en erreur en les poussant à considérer certains emplois comme ceux de caissière, vendeur ou comptable comme intrinsèquement improductif. Si en effet, l’acte en lui-même du transfert de propriété d’une personne à une autre ne crée en rien de la valeur, nombre d’autres actions permettant de rendre cet acte possible sont quant à eux purement productifs. Emballer, transporter une marchandise d’un point A à un point B tout comme la déballer ou la mettre en rayon sont des actions productives qui ajoutent de la valeur à une marchandise. Marx appelle cela le « procès de production se poursuivant pendant l’acte de circulation »[18]. À l’inverse le temps passé à calculer le prix que doit être vendu tel ou tel produit, ou celui utilisé par la caissière pour compter son fond de caisse tout comme l’acte du transfert de propriété au moment de l’achat en lui-même est improductif. L’ensemble du travail nécessaire pour rendre ce transfert matériel est quant à lui productif. Si l’ensemble de ces emplois ont effectivement pour but la réalisation de la valeur, c’est-à-dire de vendre une marchandise, ils n’en sont pas moins partiellement intégrés au processus de production. Du point de vue du capital, deux canettes de soda identiques, l’une vendue dans un supermarché, l’autre vendue par un distributeur automatique, ne sont pas des marchandises identiques, car on ne retrouve pas la même valeur cristallisée dedans. Au sein d’un même travail, les activités productives peuvent s’entremêler avec d’autres, improductives, mais nécessaire à la circulation, sans qu’il soit aisé de définir où commence l’une et où s’arrête l’autre.

Pour mieux comprendre, rentrons dans le détail de plusieurs professions souvent considérés comme improductives. Une grande partie du travail du commercial ou du vendeur employé par une entreprise pour écouler sa production se découvre ainsi comme un travail productif pour le capital. Tout d’abord il transporte le produit qu’il vend, ce transport est un travail productif. Ensuite, ses arguments, ses boniments et flatteries envers son client peuvent se retrouver comme autant de valeur qui s’ajoute à la marchandise qu’il vend. Par son travail il peut créer de la valeur ajoutée à la marchandise, même si ce travail ne change pas forcément la nature physique de cette dernière. Par exemple, un appareil de cuisine vendue lors d’une émission de téléachat avec l’aide des efforts exagérés du présentateur, de toute l’équipe de tournage et de diffusion, peut ne pas avoir la même valeur que celui acheté directement sur internet. La satisfaction pour le consommateur de posséder cet objet rendu merveilleux par sa présentation magnifiée ne se présente pas seulement comme une valeur d’échange supplémentaire, mais également comme une valeur d’usage supplémentaire. Cela se retrouve d’ailleurs la plupart du temps dans son prix. Le consommateur pourra retirer une satisfaction sociale supplémentaire à l’utilisation de cet objet en société, ressortant parfois même une partie des arguments du colporteur à ses convives. Par contre le moment spécifique où le commercial vend son produit à son client. Le moment où s’effectue le transfert de propriété et où la marchandise change de forme en s’échangeant contre de l’argent. Ce moment-là est improductif et nécessite certaines activités de la part du vendeur qui peuvent être considérés comme des frais de circulation.

Même constat pour le travail du publicitaire. Comment considérer son travail comme improductif, car ayant pour seul but de faciliter la vente du produit alors même qu’il est en capacité de changer jusqu’à la valeur d’usage d’une marchandise ? Bien évidemment, le travail publicitaire permet de faciliter la réalisation de la valeur à travers l’acte de vente, mais il est loin d’être limité à ça. Par exemple, la publicité et les sommes importantes de capital dépensé dans la communication d’une entreprise comme Apple donne un caractère social particulier aux marchandises qu’ils produisent. Ainsi, acheter un téléphone portable de la marque n’est pas seulement acheter un assemblage de composants que l’on peut retrouver de manière totalement identique chez l’un de ses concurrents, c’est également acheter une distinction sociale liée au fait de posséder cet appareil plutôt qu’un autre. Le travail de marketing autour de ces produits et de cette marque permet dans ce cas précis à la fois de rajouter de la valeur dans le produit, mais également une valeur d’usage supplémentaire : la reconnaissance sociale de faire partie de la « communauté Apple ». Dans ce cas-là, comment pourrait-on affirmer que ce travail de marketing est improductif, vu qu’il modifie à la fois la valeur de marchandise, mais également sa nature sociale ?[19] En réalité c’est seulement une forme de fétichisme de la matérialité de la marchandise qui nous pousse à considérer l’ensemble de ces activités comme improductives dans le sens où elles n’auraient comme fonction que de faciliter la réalisation de la valeur. Seule la dimension réelle, tangible et finie de la marchandise est perçue, sa dimension sociale et idéelle dans laquelle de la valeur peut également être produite reste cachée.

Le caractère productif de la publicité nous parait encore plus évident, quoiqu’identique, lorsqu’elle est externalisée. C’est bien une marchandise particulière qu’une entreprise spécialisée dans le marketing comme Publicis vend à ses clients. Cette marchandise qu’est la « campagne de publicité » est immatérielle, mais n’en est pas moins une marchandise. Pour cela Publicis exploite le travail de designers, de graphistes, community managers et autres rédacteurs qui sont chargés de produire cette marchandise. L’entreprise ne paye à ses salariés qu’une partie de leur journée de travail, le reste c’est la plus-value qu’elle capte et qui est réalisée lorsque la marchandise « campagne de publicité » est vendue à une autre entreprise qui en a besoin ». C’est un travail tout ce qu’il y a de plus producteur de valeur.

Enfin, si l’on reprend les définitions portées par Marx et Smith, de nombreux travails dans la sphère financière comportent des activités productrices de valeur. En effet, lorsqu’un actuaire employé par AXA effectue ses calculs statistiques pour déterminer le rendement d’une assurance vie, son travail permet de produire la marchandise « police d’assurance » où la marchandise « assurance vie » qui est ensuite vendue sur le marché des assurances[20]. De même, en bourse, lorsqu’un fonds d’investissement donne naissance à un nouveau ETF (Exchange Traded-fund) qui réplique un indice boursier ou lorsqu’une nouvelle cryptomonnaie est créée, ce sont des marchandises immatérielles qui sont produites. Que ces marchandises soient financières et produites pour la phase de circulation ne change rien pour le capitaliste, il réalise une plus-value sur le travail de ceux qui les ont produites. Rappelons une fois de plus avec les mots de Marx : « que ce dernier ait investi son capital dans une fabrique de leçons plutôt que dans une fabrique de saucisses, cela ne change rien au rapport ».

Ce ne sont là que quelques exemples particuliers, nous rentrerons plus en détail sur la question de la valeur au sein et la création monétaire au sein de la sphère financière dans un article à venir : Entre pandémie et taux de profit.

Kazimir Malevitch, Portrait d’un record de productivité au travail (1932)

Implications et conséquences

Considérer ainsi la majeure partie des activités au sein des travails tertiaires, d’auto-entrepreneuriat, de commercialisation, de publicité, d’encadrement, voire même financier, comme productif a des implications considérables sur l’analyse du fonctionnement du capital.

Le prolétariat

En premier lieu, cela fait entrer, au moins partiellement (car ils peuvent également posséder du capital), une énorme partie des couches socialement intermédiaires dans la définition de Marx du prolétariat. « Par prolétaire, au sens économique, il faut entendre le travailleur salarié qui produit du capital et le met en valeur. »[21] Ou encore « La classe des travailleurs salariés modernes qui, ne possédant pas en propre leurs moyens de production, sont réduits à vendre leur force de travail pour vivre. »[22]. Bien évidemment, cela n’empêche pas cette classe sociale qu’est le prolétariat d’être composée de nombreuses strates différentes rassemblant des statuts et des conditions de vie extrêmement hétérogènes. Il n’empêche qu’elles demeurent unies par le rapport social de production qui définit leur exploitation : le travail salarié basé sur l’extraction de la plus-value.

Mais surtout cela remet partiellement en cause la conception répandue parmi de nombreux économistes marxistes tendant à penser l’existence d’une déconnexion totale entre la profusion de capital financier depuis les cinquante dernières années et la production de valeur. En effet, la création monétaire massive et l’énorme gonflement des marchés financiers suivant la crise économique des années 1970 semblent sortir de nulle part si l’on considère la majorité des emplois salariés du secteur tertiaire ou de l’encadrement comme improducteurs de valeur.

Cette analyse a poussé certains à rejeter une partie des analyses de Marx comme la loi de la baisse tendancielle du taux de profit et à considérer le capital comme automate, c’est-à-dire fonctionnant sur lui-même sans avoir besoin d’être lié à la production. Si ces analyses ont le mérite de justifier la continuité du système capitaliste malgré ses contradictions internes, il nous semble que cela reste au prix d’angles morts plus ou moins volontairement occultés. Surtout, ces analyses ne paraissent à propos que grâce à l’acceptation  collective d’une définition particulièrement restreinte du travail productif. Les critiquer à l’aune de la définition que nous avons développée dans cet article à travers celle de Marx et Smith, pourrait permettre de savoir si elles demeurent pertinentes pour produire une analyse du fonctionnement actuel du système économique.

Articles à suivre : Analyse critique des différentes visions de la valeur et du travail productif : grande dévalorisation, évanescence de la valeur, reproduction rétrécie et ménage à trois. La suite mardi 24 novembre

Benjamin Lalbat/Ben Malacki pour L’Orage.org

NOTES

[1] Pour éviter de rallonger un argumentaire déjà copieux, nous choisissons volontairement de ne pas aborder ici la question de la division travail concret/travail abstrait. En effet, ce qui est incorporé à la valeur d’une marchandise n’est pas le travail concret en lui-même, mais le travail moyen socialement nécessaire pour effectuer cette tâche. La valeur créée est celle d’une moyenne sociale, ce qui explique que deux marchandises identiques fabriquées avec des conditions de production différentes possèdent la même valeur.  Si nous nous permettons de mettre pour le moment de côté cet aspect central c’est qu’il n’est moins ici question de la quantité de valeur qui est créée par le travail que de quel type d’activité salarié est en matière de créé cette valeur.

[2] Le Capital livre III p.288

[3] Même si l’Académie française n’apprécie pas l’usage du mot travail mis au pluriel, il nous semble qu’il reste la meilleure façon d’exprimer cette idée. Le mot d’activités ne regroupant pas systématiquement la notion d’exploitation salariale et celui de travaux n’étant pas pertinents.

[4] Cette notion de travail productif ou improductif ne revêt donc pas le même sens sous d’autres modes de production que le capitalisme. Étant donné que c’est au sein de ce mode de production que nous évoluons actuellement, qu’il englobe l’ensemble de nos rapports sociaux et qu’il est le sujet de notre étude, lorsque nous utiliserons le terme de travail productif ou improductif à partir de maintenant il est nécessaire d’entendre travail productif ou improductif pour le capital.

[5] Théories sur la plus-value (Livre IV du Capital) tome I. p167.

[6] Le Capital Livre I p. 550.

[7] Théories sur la plus-value (Livre IV du Capital) tome I.  p.470

[8] Ibidem.

[9] Ibid. 176

[10] Certains comme le philosophe Arnaud Berthoud ont décidé de nommer ce type d’activité : « travail indirectement productif ». Ce n’est pas le cas de Marx qui ne fait pas de différence dans ces textes et intègre ces activités dans la sphère de la production sans les différencier par une épithète dépréciative.

[11] L’ensemble des activités liées au travail de direction n’est pas nécessairement productif. Par exemple, la fonction spécifiquement capitaliste de perception de la plus-value par le patron ou par le cadre qui possède des stock-options ne l’est en rien.

[12] Par contre ce n’est pas le cas lorsque ce travail d’encadrement relève de la simple surveillance de la force de travail, c’est-à-dire s’il ne sert qu’à maintenir en place l’état du rapport de force entre salariés et capital. Par exemple empêcher le vol ou la détérioration du matériel. Nous réaborderons la question de l’encadrement dans l’article à venir : Analyse critique des différentes visions du travail productif.

[13] Ibid. p188

[14] Ibid. p.170

[15] Ibid. p.476

[16] Ibid. p.477

[17] Ibid. p.478

[18] Ibid p.280 cité Par Isaak I Roubine, Essaie sur la théorie de la valeur de Marx.

[19] C’est d’ailleurs nécessaire pour que cette différence de valeur soit reconnue par l’acheteur. En effet, ce n’est pas le travail en lui-même qui est ajouté comme valeur dans une marchandise, mais le travail moyen socialement nécessaire à la produire : le travail abstrait. Nous avons choisi de ne pas aborder cette dimension, pourtant centrale de la valeur au sein de notre argumentaire pour éviter de l’alourdir, mais cette précision demeure indispensable pour comprendre le mécanisme d’ajout de valeur par le travail productif.

[20] En effet, le calcul d’une police d’assurance ne se résume à juste déterminer le prix de vente de la marchandise « assurance » pour en maximiser le profit (sinon ce serait effectivement un travail improductif). Le calcul de la police d’assurance implique ce qu’elle va rembourser, ses différentes clauses et autres franchises. Ce calcul est en réalité constitutif de la marchandise « police d’assurance » et constitue en réalité une partie principale de son processus de production.

[21] Karl Marx, Le capital Livre I

[22] F. Engels, note au Manifeste Communiste 1888.


Commentaire et critique de Oeil de Faucon (alias Gérard Bad)
Travail productif et improductif

Gérard Bad, septembre octobre 2001.

Avant propos

Au cours du texte ci-après je m’efforcerai de défendre que pour Marx, le prolétariat au sens révolutionnaire du terme, sens politique, c’est celui qui n’a que sa force de travail à vendre, il est à ce niveau soi une classe en soi, et donc classe pour le capital, soi une classe révolutionnaire, d’ou la sentence de Marx : “ le prolétariat est révolutionnaire ou il n’est rien ”. Dans le Kapital, dont il fait l’anatomie Marx fait la démonstration de l’origine de la plus value, “ Il ne s’agit point ici du développement plus ou moins complet des antagonismes sociaux qu’engendre les lois naturelles de la production capitaliste, mais de ces lois elles-mêmes , des tendances qui se manifestent et se réalisent avec une nécessité de fer ”( Kapital T I, préface de la première édition allemande, 25 juillet 1867.) Elle provient de l’exploitation du seul prolétariat productif de plus-value. Marx reste au niveau de l’économie politique et par son analyse démontre les limites objectives de l’accumulation du capital, suprématie du travail mort sur le travail vivant, crises de surproduction et enfin crise finale crise de l’accumulation et baisse radicale du taux de profit.

1) Travail productif et improductif.

La différence entre travail productif et improductif est essentielle pour l’accumulation, car seul l’échange contre le travail productif permet une  transformation de plus value en capital. (Chapitre inédit du Capital édt 10/18 page 240 .)

La définition du travail productif ( et donc aussi de son contraire, le travail improductif) se base sur le fait que la production capitaliste est production de plus value, et que le travail qui’ s’y emploi produit de la plus-value. (Chapitre inédit du Capital édt 10/18 page 239.)

Le travail productif, est un travail en général qui réalise un produit ou une marchandise, un artisan par exemple produit une marchandise X ou un produit Y, il fait un travail productif, mais du point de vue de la production capitaliste il n’effectue pas de travail productif:  “est donc productif le travail qui valorise directement le capital ou produit de la plus value.” (Chap. Inédit du Capital, 10/18 page 224). J’attire votre attention sur le fait qu’ici Marx fait une différence entre le travailleur productif qui valorise le capital et celui qui produit de la plus value, ceci aura une importance dans mon développement ultérieur.

En effet un capitaliste du secteur productif peut effectuer du travail productif ( en ce sens que sont travail étant intégré au procès de travail total, s’incarne dans le produit.) Il n’est pas pour autant un prolétaire, ni même un travailleur productif de plus value. C’est pourquoi Marx va remettre les pendules à l’heure sur cette confusion :

“ Il faut toute l’étroitesse d’esprit du bourgeois, qui tient la forme capitaliste pour la forme absolue de la production, et donc pour sa forme naturelle, pour confondre ce qui est travail productif et ouvrier productif du point de vue du capital avec ce qui est travail productif en général, de sorte qu’il se satisfait de cette tautologie : est productif tout travail qui produit en général, c’est-à-dire qui aboutit à un produit ou valeur d’usage quelconque, voire à un résultat quel qu’il soit. ” pages 224,225 (Chapitre inédit du Capital édt 10/18) Marx sous le titre “ Travail productif et improductif. ”)

Pour Marx la définition du travail productif est la suivante :

“ Pour distinguer le travail productif du travail improductif, il suffit de déterminer si le travail s’échange contre de l’argent proprement dit ou contre de l’argent-capital. ” (Chapitre inédit du Capital édt 10/18 page 238 .) A partir de cette définition Marx , page 233 du “ Chapitre inédit du Capital ” nous donne l’exemple du littérateur prolétaire de Leipzig, de la cantatrice, qui travaillant pour un patron deviennent des travailleurs productifs en ce qu’ils valorisent le capital, il dira la même chose dans un note du Tome  I du capital sur un enseignant qui travail dans le privé.

Travail productif  et  travail improductif

Étant donné qu’il représente le capital productif, engagé dans son procès de valorisation, le capitaliste remplit une fonction productive, qui consiste à diriger à diriger et exploiter le travail productif ” (Chapitre inédit du Capital édt 10/18 page 239 .)
Procès de production immédiat.

“ Si j’achète une marchandise chez un travailleur indépendant ou un artisan qui est son propre employeur, il n’y a pas lieu de parler de travail productif ” (Chapitre inédit du Capital édt 10/18 page 238 .)

En somme, seul est productif le travail qui pose le capital variable-et partant le capital total- comme C+rC = C+rv, autrement dit, le travail utilisé directement par le capital comme agent de son autovalorisation, comme moyen pour produire de la plus-value. (Chapitre inédit du Capital édt 10/18 page 225.)

“En somme, les travaux qui ne peuvent être utilisés que comme service, du fait que leurs produits sont inséparables de leur prestataire, de sorte qu’ils ne peuvent devenir des marchandises autonomes (ce qui ne les empêche pas au reste, d’être exploités d’une manière directement capitaliste), représentent une masse dérisoire par rapport à celle de la production capitaliste ” p234

“tout travailleurs productif est salarié, mais il ne s’ensuit pas que tout salarié soit un travailleurs productif ” p228

“ Par rapport au capitaliste financier, le capitaliste industriel est un travailleur, travailleur en tant que capitaliste, c’est-à-dire un exploiteur du travail d’autrui ” (Le Capital, Chap. 23,T.3 )

“ Avec le développement de la production capitaliste, tous les services se transforment en travail salarié et tous ceux qui les exercent en travailleurs salariés, si bien qu’ils acquièrent ce caractère en commun avec les travailleurs productifs ” P230 Marx ajoute un soldat est un salarié, il n’est pas pour autant travailleur productif.

“ Même si les fonctionnaires deviennent des salariés en régime capitaliste, ils ne deviennent pas pour autant des travailleurs productifs.

Ici Marx nous indique qu’il ne faut pas confondre le travail productif et l’ouvrier productif, pour enfoncer le clou il précise :

“ Seul est productif l’ouvrier dont le procès de travail correspond au procès productif de consommation de la force de travail – du porteur de la force de travail – par le capital ou capitaliste. ” (p. 226 (Chapitre inédit du Capital édt 10/18) Marx sous le titre Travail productif et improductif.)

2- Positions déjà développées (Camatte Jacques, et Paul Mattick.)

Camatte jacques dans “ Capital et Gemeinwesen ” développe avec l’amplitude que nous lui connaissons le sujet “ travail productif et improductif ” (page 114 édt Spartacus)  il va en particulier mettre l’accent sur l’importance des classes moyennes, classes qui ne peuvent se développer que sur la base d’un capital réellement développé (extraction de la plus value relative). Camatte va citer Marx: “ Dans la société, cette classe représentera la consommation pour la consommation, comme la classe capitaliste représente la production pour la production ; l’une incarne la “ passion de la dépense ”, l’autre la “ passion de l’accumulation ” (P 122).

Camatte souligne qu’au stade de la domination réelle, il y a généralisation du salariat “ tous les services étant transformés en service pour le capital ”(p 131) et il fait remarquer que “ la différence entre travail productif et improductif tend à s’estomper, non pas en ce qui concerne le prolétariat, car pour lui, il ne fait aucun doute que seul son travail est productif, mais, vis-à-vis du capital et des classes moyennes.

Ici Camatte assimile Prolétariat a productif, alors qu’en ce qui me concerne, le prolétaire est celui qui n’a que sa force de travail à vendre ( cela vaut pour les sans travail, chômeurs…) parfaitement improductifs. l’histoire d’ailleurs nous enseigne, que le prolétariat a souvent été divisé en deux sur cette base “ productif et improductif ” . Durant la 1er internationale les Marxistes regroupaient les prolétaires créateurs de valeur et les anarchistes les autres les improductifs. La montée du fascisme en Allemagne c’est en partie opérée sur cette distinction/contradiction.

La thèse de Camatte consiste donc à dire que le Capital “ veut noyer le prolétariat dans les classes moyennes et proclamer, ainsi qu’il n’existe plus. ” (page 137). Il considère que le capital s’ordonne de la façon suivante :

A. Un groupe d’hommes productifs : les prolétaires.

B. Un autre lié au capital de la façon suivante :

a) Une partie directement intéressée au développement de celui-ci, parce qu’elle touche un quantum de plus-value sociale. Elle gère le capitalisme ; elle est en fait la classe des capitalistes.

b) Ceux qui vivent aux dépens de la plus-value, parce qu’ils permettent sa réalisation : ce sont les classes moyennes.

c) Ceux qui défendent l’appropriation du travail non-payé (ils vivent aussi aux dépens de la plus-value) et en garantissent la perpétuation : la police, les gendarmes, l’armée, etc.. en un mot, l’Etat.

Il est exact, que les gérants du Capitalisme ( société anonymes, mutuelles, scop…) sont du coté du capitalisme, tout comme l’armée, la police… c’est leur fonction qui veut cela ils sont des défenseurs de la classe des capitalistes.

Pour le petit (b) le simple fait de vivre “ aux dépens de la plus-value ” dans les services ou comme fonctionnaire ne saurait justifier le classement que fait Camatte. Une très importante partie de ces salariés sont des prolétaires, ils sont exploités, et sont soumis à des rythmes de travail productiviste, ils font la grève. A leur égard je n’aime pas du tout le terme “ aux dépens ”, leur fonction réelle est de faire circuler la plus value et de la réaliser le plus rapidement possible, il sont donc exploités à ce titre et nullement inutiles dans le cadre du fonctionnement du capital. Ce qui se passe, ce n’est pas que le prolétariat disparaît dans le salariat, mais le contraire le salariat se prolétarise. L’idéologie cherche absolument à masquer cela y compris par des théories nous prédisant une fin du travail proche, nos adieux au prolétariat (sic).

C’est d’ailleurs une des caractéristiques de l’époque actuelle, de faire tomber des travailleurs indépendants, dans le prolétariat, la fameuse généralisation du salariat n’est en fait que la prolétarisation constante démontrer par Marx. Ex : Les chaînes de restauration, les chaînes d’optique Afflelou…qui portent chaque jour un coût fatal aux derniers travailleurs indépendants.

Dans le tertiaire, en général le management utilise de plus en plus des termes venant de l’industrie notamment celui de productivité, d’outils, d’atelier, les économistes parlent même des services industrialisables (grande distribution, la poste, les télécommunications, les banques et les assurances…)

Ce qu’il nous faut retenir, c’est que tout prolétaire, n’est pas forcément créateur de plus value.

3) Prolétaires productifs et prolétaires improductifs.

Si nous parlons maintenant de prolétaire productif et de prolétaire improductif, c’est précisément pour savoir ou en est le capital dans sa course à l’accumulation, autrement dit où en est l’évolution de la contradiction fondamentale entre les forces productives et les rapports de production. Nous restons sur le terrain de l’anatomie du Capital. L’autre terrain c’est la lutte politique du prolétariat contre la bourgeoisie capitaliste. Cette lutte étant la manifestation de la contradiction fondamentale entre les forces productives et les rapports de production, ne prend pas en compte cette distinction en prolétaires productif et improductifs, l’ensemble de la classe, la grande majorité mène le combat émancipateur.

– Sur le terrain économique.

Le Capital, il me semble nécessaire de le rappeler, se compose de deux procès, le procès de valorisation c’est la sphère de production ( et une partie des transports) (1)   celle ou la force de travail produit de la plus value et donc du capital. Le procès de dévalorisation, c’est la sphère de la circulation du capital et des marchandises ou la plus value doit finalement se réaliser, cette sphère n’est pas créatrice de valeur. Il en résulte donc que les prolétaires de cette sphère ne sont pas créateurs de plus value, mais ils contribuent à sa réalisation et peuvent accélérer par la rapidité de leur travail la rotation du capital. C’est il me semble particulièrement limpide chez Marx :

“ …le temps de circulation détermine seulement la valeur pour autant qu’il est un obstacle naturel à la valorisation du temps de travail. En effet, c’est une déduction sur le temps de surtravail, autrement dit une augmentation du temps de travail nécessaire. Il est clair que le temps de travail nécessaire doit être payé, que le procès de circulation se déroule lentement ou rapidement. ”  (Grundrisse 3. Chapitre du capital p. 58 édt 10/18).

“ Le temps de circulation représente donc une limitation de la productivité du travail ; il augmente le temps de travail nécessaire, et diminue la plus -value, bref c’est un frein, une barrière à l’autovalorisation du capital ” Grundrisse 3. Chapitre du capital p 59 édt 10/18.

Paul Mattick, va aussi dans se sens :

“ En dehors des emplois liés à la production des marchandises et à leur circulation, il existe une foule de professions qui, sans participer ni de l’une ni de l’autre de ces sphères, produisent des services et non des marchandises. Leurs membres émargent au budget soit des travailleurs ou des capitalistes, soit des uns et des autres. Du point de vue du capital, et quelque utile ou nécessaire que puisse être leur travail, celui-ci est improductif : que leurs services soient achetés en tant que marchandises ou rémunérés avec de l’argent provenant des impôts, tout ce qu’ils encaissent est pris sur le revenu des capitalistes ou le salaire des travailleurs.

Voilà qui paraît devoir soulever une difficulté. En effet, parmi ces professions, il en est beaucoup (enseignants, médecins, chercheurs scientifiques, acteurs, artistes et autres) dont les membres, tout en produisant uniquement des services, ne se trouvent pas moins en situation d’employés et rapportent du profit à l’entrepreneur qui leur donne de l’ouvrage. C’est pourquoi celui-ci considère comme productif ce travail qu’il a payé et qui lui a permis de réaliser un profit, de valoriser son capital. Pour la société cependant, ce travail reste improductif étant donné que le capital ainsi valorisé représente une certaine part de la valeur et de la plus-value créées dans la production. De même, en ce qui concerne tant le capital commercial et le capital bancaire que les employés de ces deux secteurs : en ce cas également, du surtravail est produit et du capital valorisé, bien que les salaires et les profits afférents à ces branches soient nécessairement prélevés sur la valeur et la plus- value créées dans la production ” (Intégration capitaliste et rupture ouvrière. Paul MATTICK edt EDI. Pages 241 et 242).

Je suis ici tout à fait en accord avec P Mattick qui fait bien la distinction entre le prolétariat force politique et le prolétariat créateur de valeur et donc d’accumulation du capital, les salariés du tertiaire sont certes des prolétaires, mais ils ne sont pas créateurs de plus-value, ce que Marx confirme ci-dessous.

“ par conséquent, des frais qui renchérissent le prix de la marchandise sans lui ajouter de la valeur d’usage, qui appartiennent donc pour la société aux faux frais de la production, peuvent être source d’enrichissement pour le capitaliste individuel. Ils n’en conserve pas moins un caractère d’improductivité, puisque le supplément qu’ils ajoutent au prix de la marchandise ne fait que répartir également ces frais de circulation. C’est ainsi que les sociétés d’assurances répartissent sur l’ensemble de la classe capitaliste les pertes des capitalistes individuels ; ce qui n’empêche pas les pertes ainsi compensées d’être et de rester des pertes au point de vue du capital total de la société. ” (Le Capital T2. Chap. vI page 138 édt .de Moscou.)

C’est pour cela d’ailleurs que les trois tomes du Kapital se découpent ainsi , le Tome I procède à l’anatomie de la sphère de production origine de la plus value, le tome II de la sphère de circulation, soit naissance et développement du capital financier, et le tome III qui analyse le capital total.

– Sur le terrain de la lutte de classe.

Sur le terrain de la lutte des classes, cette distinction entre travailleur productif et improductif n’ a pas beaucoup d’importance, puisque je le répète est prolétaire celui qui n’a que sa force de travail à vendre, et le sens ancien de prolétariat est celui qui produit des enfants, qui reproduit sa classe. Mattick à donc raison de dire :

“ L’existence du taux de profit moyen, que la concurrence établit en fonction de l’offre et de la demande, fait qu’il importe peu au capitaliste que son capital soit investi dans la production, dans la circulation ou dans les deux sphères à la fois. Le problème du travail productif et du travail improductif ne se pose pas pour lui. Pas plus les travailleurs ne se demandent s’ils sont employés de manière productive ou improductive. Dans un cas comme dans l’autre, en effet, leur existence dépend toujours de la vente de leur force de travail. ” (Intégration capitaliste et rupture ouvrière.  Paul MATTICK edt EDI. Page 242).

Mattick fera donc toujours cette distinction, entre le prolétariat vu comme créateur de plus value (anatomie du capital et de l’accumulation capitaliste) et le prolétariat au sens politique, celui qui achèvera le vieux monde, la grande majorité des prolétaires de ce monde.

Il confirmera son point de vue dans le cinquième Chapitre de son dernier livre “Marxism-Last Refuge of the Bourgeoisie?”

“ La pression exercée sur le taux de profit par la croissance disproportionnée du travail non-productif par rapport au travail productif ( c’est-à-dire producteur de profit) ne peut être relâchée que par une croissance supplémentaire de la productivité du travail en général et de celle du travail productif en particulier. Dans l’intervalle, les mouvements du taux de profit affectent les deux couches de la population travailleuse et les placent dans la même opposition objective à la nécessité pour le capital de maintenir sa profitabilité. Ce n’est donc pas le caractère de son occupation qui définit le prolétariat mais sa position sociale de travailleurs salariés. La diminution de la classe ouvrière industrielle sous-entend en fait la croissance de la classe ouvrière en général, compte non tenu du type d’emploi que celle-ci remplit. ” (Page 29 edt AB IRATO, de la pauvreté et de la nature fétichiste de l’économie.)

Nous avons selon moi, deux tendances révisionnistes, l’une que nous venons de voir avec Camatte consiste à réduire le prolétariat à sa fraction productrice de plus value (Thèse classique du PCF) et donc de diviser le prolétariat, même tendance avec la théorie de l’aristocratie ouvrière qui n’est qu’un épiphénomène.

L’autre tendance consiste à gommer progressivement la distinction entre la sphère de production et la sphère de circulation et de nous présenter un prolétariat socialisé sous le vocable de travailleur collectif. Ainsi tout salarié qui vend sa force de travail devient par cette généralisation un créateur collectif de plus value. Comme nous le verrons, le travailleur collectif se rapporte au produit créé, produit social, quant à la plus value elle implique un rapport déterminé entre l’acheteur et le vendeur de travail. Le travail productif, en tant que produisant de la valeur, est donc toujours, vis-à-vis du capital, le travail de la force de travail individuelle.

A propos du travailleur collectif.

Dés la  “ Misère de la Philosophie ”, Marx commence à nous parler du travailleur ou de l’atelier collectif dans l’entreprise capitaliste à la différence du travailleur individuel de l’économie parcellaire, artisanale et paysanne. Des que l’on passe de la coopération à la manufacture, Marx parle de travailleur collectif de la manufacture (Cap.T 1 page 368 édt Moscou.)  Nous voyons donc que le travailleur collectif n’est pas un phénomène moderne, ni le produit du passage de la domination formelle à la domination réelle.

“ La machine entre les mains du capital crée donc des motifs nouveaux et puissants pour prolonger sans mesure la journée de travail ; elle transforme le mode de travail et le caractère social du travailleur collectif, de manière à briser tout obstacle qui s’oppose à cette tendance…. ” (Cap.T 1 page 390, édt Moscou.)

La machine en simplifiant le travail, va engager un élargissement de ce travailleur collectif qui n’est plus dans la phase de domination réelle restreint à l’entreprise puisqu’il devient facilement interchangeable et qu’il apprend en quelques mois un travail simple le plus souvent de surveillant de la machine. De ce fait Marx y voit un changement dans la composition du travailleur collectif (femmes et enfants doivent travailler).

“ La subordination technique de l’ouvrier à la marche uniforme du moyen de travail et la composition particulière du travailleurs collectif d’individus des deux sexes et de tout âge …. ” (Cap.T 1 page 405 édt Moscou.) “ A partir du moment, cependant, où le produit individuel est transformé en produit social, en produit d’un travailleur collectif dont les différents membres participent au maniement de la matière à des degrés divers, de prés ou de loin, ou même pas du tout, les déterminations de travail productif, de travailleur productif, s’élargissent nécessairement. ” (Cap.T 1 page 481 édt Moscou.)

La question est ici posée, jusqu’ou va cet élargissement ?

Nous savons que les industries modernes exploitent maintenant dans le monde entier ce travailleur collectif, les barrières nationales ne résistent plus au découpage de l’exploitation planétaire. Ici on fait le moteur d’une automobile, la bas les batteries, ailleurs le montage… Phénomène auquel il faut ajouter l’explosion de l’immigration.

Ceci étant, le travailleur collectif ne saurait gommer la distinction entre la sphère de production qui est son domaine d’évolution et la sphère de circulation qui ne produit pas de plus-value et donc se poser la question de savoir si un travail de surveillance est productif de plus-value ou pas, se rapporte à cette distinction. Dans la sphère de production le travail de surveillance ou de maintenance robotique ou machine à commande numérique est créateur de plus-value. Dans le tertiaire sphère de circulation, ce même travail de surveillance et de maintenance (souvent informatique) rapporte du profit et en se sens valorise le capital de l’employeur, mais il ne créé pas de plus-value (profit et plus-value ne sont pas la même chose).

“ En tant que productif de valeur, (dit Marx) le travail reste donc toujours le travail de l’individu, mais exprimé en termes sociaux. Le travail productif, en tant que produisant de la valeur, est donc toujours vis-à-vis du capital, le travail de la force de travail individuelle, quelles que soient les associations que les ouvriers puissent former dans le processus de production… Tandis que le capital représente vis-à-vis de l’ouvrier la force productive sociale du travail, le travail productif de l’ouvrier ne représente jamais, vis-à-vis du capital, que le travail de l’ouvrier individuel ” (Théories sur la plus-value,I, p.356-365 histoire des doctrines économiques).

Pour terminer, Marx intervient souvent pour affirmer que les travailleurs payés par les impôts “les fonctionnaires” sont des improductifs. La question que je me pose et que je lance en débat, que faut il penser des aides de l’État au patronat pour financer les 35 h.  (aides pour la loi Robien échelonnées sur 7 ans et sur  5ans pour la loi Aubry) ?  Ne s’agit-il pas d’un financement par l’État d’une partie du salaire de chaque salarié de l’entreprise?

FIN

A partir de ce texte il est possible de critiquer celui d’ ORAGE, ce que je vais faire d’ici quelques jours

Gérard Bad

Source: Lire l'article complet de Les 7 du Québec

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