Covid-19 : une histoire à (s’en)dormir debout (par Alizé Lacoste Jeanson)

Covid-19 : une histoire à (s’en)dormir debout (par Alizé Lacoste Jeanson)

Le psy­chiatre Thier­ry Gour­vé­nec indi­quait sur Le Média que les épi­dé­mies ne font l’objet de grandes poli­tiques sani­taires et d’une large cou­ver­ture média­tique que depuis la grippe aviaire de 1999. Cela ne signi­fie pas que les virus étaient aupa­ra­vant moins conta­gieux, ou pré­sen­taient des symp­tômes moins inquié­tants. Ce qui est vrai cepen­dant, c’est que des études très sérieuses confirment que l’impression d’être malade rend effec­ti­ve­ment malade. Et que, dans un contexte où il est sug­gé­ré que la moindre ren­contre puisse être fatale, si ce n’est pour soi-même au moins pour ses proches, il sem­ble­rait qu’on puisse main­te­nant se poser la ques­tion d’un délire col­lec­tif – que la mala­die aujourd’hui ne soit plus tant cau­sée par un virus que par la peur elle-même. Dans cette pers­pec­tive, il est impor­tant de bien com­prendre le dis­cours poli­tique que cette ter­reur épi­dé­mique sert.

Qu’il y ait un virus effec­ti­ve­ment dans l’air ne remet pas en ques­tion la pos­si­bi­li­té du délire col­lec­tif. Le virus est une occa­sion. La symp­to­ma­to­lo­gie telle que décrite par les méde­cins géné­ra­listes avant que les pla­teaux télé ne fassent appel aux épi­dé­mio­lo­gistes était tout sauf alar­mante : rhi­nite, fatigue. Lorsque l’inquiétude a com­men­cé à faire vendre, les épi­dé­mio­lo­gistes ont alors été appe­lés pour témoi­gner : de prin­cipe de pré­cau­tion en décla­ra­tions anxio­gènes, toute la palette des émo­tions et des dis­cours y est pas­sée. Sans remettre en cause l’épidémiologie, il est bien connu que lorsqu’on a un mar­teau, on a ten­dance à voir des clous par­tout. Et que le méde­cin géné­ra­liste, s’il connait peut-être moins la science du virus que l’épidémiologiste, connait plu­tôt bien les humains qu’il·elle voit tous les jours.

Contagion spirituelle

D’une grippe un peu viru­lente au départ, il sem­ble­rait donc qu’on en ait fait toute une his­toire. La grippe, comme cha­cun sait, a d’ailleurs un poten­tiel létal, même en temps « nor­mal ». Et, si tout le monde l’attrape en même temps, sta­tis­ti­que­ment, beau­coup plus en mour­ront qu’en temps nor­mal. L’Organisation Mon­diale de la San­té est d’ailleurs en train de très lar­ge­ment reve­nir sur le poten­tiel létal du Covid-19 annon­cé au départ : de 3,5% de per­sonnes « infec­tées » qui pour­raient en mou­rir, le chiffre a été abais­sé à moins de 0,5 %.

Un « risque » de conta­gion « extrême », « jamais vu aupa­ra­vant » ; les qua­li­fi­ca­tifs n’ont pas man­qué pour carac­té­ri­ser la néces­si­té de se pré­mu­nir du virus. Le phé­no­mène de conta­gion par sug­ges­tion est pour­tant bien connu. Une étude en confir­mait la por­tée en 2007 lorsqu’elle a mon­tré que des femmes ont réel­le­ment décla­ré des symp­tômes res­pi­ra­toires sur la simple sug­ges­tion que l’air était conta­mi­né et en en voyant d’autres tom­ber malades. Sug­gé­rant la pos­si­bi­li­té d’un délire col­lec­tif qui se trans­for­me­rait en mala­die réel­le­ment vécue, le psy­chiatre Thier­ry Gour­vé­nec rap­pe­lait très jus­te­ment sur Le Média qu’on n’a jamais vu une patho­lo­gie aupa­ra­vant dont on égrène les chiffres de conta­gion et de léta­li­té dans les médias à chaque heure qui passe. Un malade engrange l’autre, et l’ambiance anxio­gène réunit toutes les condi­tions pour mettre les sys­tèmes immu­ni­taires dans un état de récep­tion opti­male. Sur une autre note, on peut d’ailleurs remar­quer que les troubles res­pi­ra­toires, en termes sym­bo­liques, cor­res­pondent à une dif­fi­cul­té à gérer une sol­li­ci­ta­tion impor­tante venant du monde exté­rieur ; lit­té­ra­le­ment, on « étouffe »…

Virusologie

Le SARS-Covid-19 est iden­ti­fié selon une concep­tion ancienne de ce qu’est un virus ou une bac­té­rie. Au moins depuis Koch et la décou­verte du bacille à l’origine de la tuber­cu­lose, on pense avoir iden­ti­fié l’origine de nom­breux maux. La méde­cine allo­pa­thique qui pro­longe la vie s‘en réjouit, elle peut enfin s’attaquer à une cause pour résoudre un pro­blème et retar­der une fin pour­tant iné­luc­table. Sans remettre en cause ici les vies sau­vées, les familles non écla­tées, les orphe­lins qui ne l’ont pas été grâce à des médi­ca­ments anti­bio­tiques à action rapide, on peut tout de même ten­ter d’avoir une vision au long cours et ques­tion­ner leur uti­li­sa­tion. Dans le cas de la tuber­cu­lose par exemple, plu­sieurs années après la pres­crip­tion mas­sive d’antibiotiques, on a vu appa­raitre les pre­miers cas de résis­tance à ceux-ci, eux aus­si conta­gieux. La tuber­cu­lose, en l’occurrence, est une patho­lo­gie qui est bien connue par les tenants d’une méde­cine sociale comme pre­nant source dans des condi­tions d’hygiène mini­male inexis­tantes (manque d’accès à une eau non pol­luée, sani­taires vétustes ou sans sys­tème d’évacuation, misère notam­ment créée par des condi­tions d’exploitation des res­sources ver­na­cu­laires, etc.). Cela revient à dire qu’on aura beau don­ner tous les anti­bio­tiques du monde et inven­ter tous les vac­cins qui n’existent pas encore, si on ne s’attache pas à com­prendre et éli­mi­ner l’origine du désastre, il conti­nue­ra de mal­me­ner les plus vul­né­rables.

Peut-être serait-il temps de recon­si­dé­rer ce qu’on pense être un virus, et de rap­pe­ler que nous sommes com­po­sés de mil­liards d’entre eux, au niveau du micro­biote mais pas uni­que­ment. Le virus est avant tout un mor­ceau d’information géné­tique qui n’a d’autre des­sein que de pas­ser d’un orga­nisme à l’autre, ou plus pré­ci­sé­ment d’une cel­lule à l’autre, pour trans­mettre l’information qu’il contient. Et si le virus consti­tuait alors une oppor­tu­ni­té inouïe de com­pré­hen­sion et de rééqui­li­brage ? Une infor­ma­tion qui nous est trans­mise pour être inté­grée, com­prise et uti­li­sée ?

On nous ren­ver­ra alors dans les dents le fait « indé­niable », disent-ils, que des mil­liers de per­sonnes ont été « tes­tées » posi­tives, et que par­mi celles-ci un cer­tain nombre sont mortes. Il faut rap­pe­ler ici qu’avant on mour­rait de vieillesse, ou d’obésité. Aujourd’hui, on meurt de l’air du temps, et des patho­lo­gies qu’on croit savoir iden­ti­fier. On ne meurt pas du « virus » cau­sant le Sida ; on meurt de l’immunodéficience qui y est asso­ciée, en d’autres termes, d’un sys­tème immu­ni­taire qui ne peut plus pro­té­ger.

Ce dis­cours ne consti­tue pas une oppor­tu­ni­té pour culpa­bi­li­ser. La pos­si­bi­li­té du délire col­lec­tif à par­tir d’un virus rela­ti­ve­ment inof­fen­sif au départ engage plu­tôt à une restruc­tu­ra­tion de l’imaginaire et à une reprise du pou­voir sur notre exis­tence. Si on sait ce qui nous arrive et pour­quoi, si le virus est une chance pour rééqui­li­brer nos vies, alors enla­çons-le. Quid de poli­tiques sani­taires col­lec­tives où le bien-être psy­cho­lo­gique et phy­sique est la prio­ri­té plu­tôt que l’enfermement ? Où on ren­force nos sys­tèmes immu­ni­taires en les expo­sant à l’autre plu­tôt qu’en se l’interdisant et en uti­li­sant des gels hydro­al­coo­liques tuant tout ?

Les der­nières recherches médi­cales font état de la décou­verte des exo­somes se situant à la fron­tière de nos cel­lules et consti­tuant 80 % de nos corps. Ces der­niers res­semblent de très près aux virus puisqu’ils sont eux aus­si de petits paquets d’information géné­tique qui voyagent entre l’environnement et notre phy­sio­lo­gie et influencent l’expression de nos gènes. Ces par­ti­cules simi­laires aux virus sont donc essen­tielles à la com­mu­ni­ca­tion entre le monde et nous. Consi­dé­rer que ce qui nous consti­tue est ce qui nous détruit repré­sente la quin­tes­sence d’une vision trans­hu­ma­niste du monde, où le corps humain n’est qu’un élé­ment encom­brant dont il fau­drait pou­voir se débar­ras­ser pour être immor­tels  , enfin. L’être vivant qui n’accepte pas la pos­si­bi­li­té de sa néga­tion relève d’une pen­sée tyran­nique, inca­pable d’accepter que pour avoir il faut d’abord ne pas avoir, que pour vivre il faut mou­rir.

En guerre contre nous-mêmes

Thier­ry Thé­ve­nin expli­quait dans la revue Ter­restres en sep­tembre 2020 : « Cette méta­phore de la guerre contre le Covid-19 est évi­dem­ment stu­pide du point de vue de la réa­li­té de la bio­lo­gie et du vivant. Elle témoigne d’un point de “hors-sol” et décon­nec­té des lois élé­men­taires de la vie. Il ne s’agit pas d’une guerre. Les virus seraient appa­rus dans la “soupe pri­mor­diale” il y a entre trois et quatre mil­liards d’années. Peut-être même seraient-ils une branche dis­tincte des formes tra­di­tion­nel­le­ment admises comme consti­tuant le vivant. Ils n’ont jamais été “l’ennemi” pour les espèces vivantes. Nous en fré­quen­tons des mul­ti­tudes quo­ti­dien­ne­ment, ils font par­tie de notre éco­sys­tème interne à part entière. Le corps d’un homme adulte sain abrite plus de trois mille mil­liards de virus ! La plu­part per­met­tant de régu­ler la pro­li­fé­ra­tion des bac­té­ries qui pour­rait affec­ter nos muqueuses ou notre intes­tin. »

Cette théo­rie du germe mal­sain, qui expli­que­rait tout et, une fois iden­ti­fié et vac­ci­né, serait éra­di­qué, consti­tue une illu­sion. Illu­soire en effet est la pos­si­bi­li­té de réduire la com­plexi­té de la vie à un « nous contre eux ». Cette idée, tant et tant assé­née, que nous vivons dans un envi­ron­ne­ment consti­tué de micro-orga­nismes invi­sibles qui peuvent nous atta­quer et nous tuer cor­res­pond à un pro­gramme poli­tique. C’est l’expression finale d’un pou­voir ou d’une approche de la réa­li­té qui prend sa source dans le contrôle, qui a besoin de la guerre pour per­du­rer – rap­pe­lons ici que sans leur com­plexe mili­ta­ro-indus­triel, les États-Unis ne seraient pas consi­dé­rés comme la « pre­mière puis­sance mon­diale » –, de la conquête pour exis­ter – la colo­ni­sa­tion est à l’origine de ce qu’on nomme mon­dia­li­sa­tion et de la conver­sion de la pla­nète entière, humain com­pris, en res­sources à exploi­ter et à mon­nayer.

Autant qu’il suf­fit de se faire croire que l’humain est mau­vais et que sans État ou gou­ver­ne­ment nous uni­fiant tous, ce serait la « guerre de tous contre tous » pour légi­ti­mer une socié­té tout entière orga­ni­sée sur la coer­ci­tion de ses membres, il faut aujourd’hui un enne­mi com­mun pour don­ner une rai­son d’exister à un contrat social qui n’a jamais été consen­ti par les deux côtés de la bar­rière. Dans un contexte où l’État capi­ta­liste peine à jus­ti­fier sa rai­son d’être, le virus a consti­tué une géniale oppor­tu­ni­té dont le pou­voir n’a pas man­qué de se sai­sir pour étendre son emprise de contrôle, en ten­tant à la fois de faire croire à sa pour­suite du  bien com­mun. La guerre contre cet enne­mi invi­sible a rem­pla­cé celle contre le ter­ro­risme qui, visi­ble­ment res­tait trop excep­tion­nelle, trop loin­taine et, quoiqu’elle divi­sait bien, ne ral­liait pas assez pour lui per­mettre de mieux régner. Cette guerre fait appel aux mêmes états d’urgence et mesures d’exception coer­ci­tives mais, cette fois, c’est de nous-mêmes dont on devrait se pro­té­ger, pour pro­té­ger les autres.

Pathologie sociale

En plus de l’état de choc dans lequel ont été plon­gées les popu­la­tions, c’est dans ce pseu­do altruisme que la « réponse » au Covid tient encore tout entière. Le soin à l’autre, qui est au fond tout ce qui compte vrai­ment, est ce qui nous man­quait bien dans un espace-temps où l’injonction est de n’être que des monades aux dési­rs qui s’entrechoquent. Puisque la nature a hor­reur du vide, c’est peut-être cette perte du lien qu’on cherche encore à com­bler en se pro­té­geant. Dans ce contexte, il va être dif­fi­cile de consti­tuer un autre récit que celui qui nous est ser­vi ; les struc­tures d’obéissance sont beau­coup plus dif­fi­ciles à déman­te­ler lorsqu’on y a consen­ti volon­tai­re­ment, pire, lorsqu’on en a besoin. On a besoin de faire sens, de faire pour les autres.

Dans un monde où l’ultra-individualisme et la com­pé­ti­tion com­mencent à éro­der ses pos­si­bi­li­tés mêmes d’existence, on com­prend bien cepen­dant com­ment la prise en compte de l’autre passe d’abord par la pro­tec­tion de soi-même. Se pro­té­ger n’est pour­tant pas encore « prendre soin ». Sur­tout quand le « soin » prend la forme d’un confi­ne­ment auto­ri­taire dont le sens reste encore à prou­ver et qu’il engendre des vio­lences, dis­si­mu­lées, plus grandes encore : domes­tiques, spi­ri­tuelles, sexuelles, à l’encontre des enfants. Il faut aus­si comp­ter avec les mul­tiples psy­choses qui ne tar­de­ront pas à se trans­for­mer en souf­frances psy­chiques qu’on trai­te­ra à grands coups d’antidépresseurs ; et les troubles cog­ni­tifs et du lan­gage que subissent déjà les plus jeunes. D’a­près l’OMS, les troubles psy­chiques repré­sen­te­ront d’i­ci 2030 la prin­ci­pale cause de mor­bi­di­té dans les pays indus­tria­li­sés. La vie ne s’épanouit pas dans l’isolement ; le manque de contact humain, comme l’usage exces­sif d’antibiotiques et une asep­sie extrême, rendent nos sys­tèmes immu­ni­taires en manque de sol­li­ci­ta­tions plus faibles qu’ils ne les pro­tègent.

Ce qui res­sort aujourd’hui de cette épi­dé­mie, c’est une manière uti­li­taire de conce­voir le monde et les indi­vi­dus, c’est-à-dire une pers­pec­tive sta­tis­tique de réduc­tion de risque, d’aplanissement de courbes. Alors qu’au fond, l’enjeu est une ques­tion de vie ou de mort. « La réduc­tion de la mort est-elle sur le point de deve­nir le stan­dard à par­tir duquel on mesure le pro­grès ? » se deman­dait Charles Eisen­stein, libre pen­seur amé­ri­cain, dans son essai Le Cou­ron­ne­ment. La ques­tion que pose le coro­na­vi­rus aujourd’hui, c’est celle du sens qu’on sou­haite don­ner à la vie humaine. Est-on vrai­ment prêt·e·s à sacri­fier tout ce qui est non essen­tiel et consti­tue ce qui fait que la vie mérite vrai­ment d’être vécue pour une illu­soire réduc­tion du risque ?

On ne peut tro­quer sa propre sécu­ri­té qu’au prix de sa liber­té. Dans cette dyna­mique, on finit tou­jours par perdre les deux à la fois. Il est temps de cla­mer l’union entre nos corps et nos esprits et de sor­tir de la patho­lo­gi­sa­tion du vivant dans laquelle on nous engage. Si avoir la pos­si­bi­li­té de s’alimenter cor­rec­te­ment, de vivre dans des condi­tions d’hygiène mini­males, d’utiliser des plantes médi­ci­nales et de ren­for­cer son immu­ni­té sont indis­pen­sables, il faut avant tout récu­pé­rer des mains de ceux qui contrôlent notre espace-temps, ce qui devrait nous être le plus cher : nos esprits et nos liens. Il est temps d’apprendre à prendre soin de ceux par­mi nous qui sont vul­né­rables. Et de le faire col­lec­ti­ve­ment. Pas­ser du contrôle à la com­pas­sion. Enfer­mer pour se pro­té­ger n’a de sens que dans le pire des mondes où le lan­gage est tel­le­ment sub­ver­ti qu’enfin, réel­le­ment, « la guerre c’est la paix » (George Orwell, 1984). Si la peur crée la mala­die, la soli­tude et les psy­choses résul­tant de son contrôle illu­soire ne font que l’amplifier.

Ali­zé Lacoste Jean­son

Début novembre 2020

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À propos de l'auteur Le Partage

« Plus on partage, plus on possède. Voilà le miracle. »En quelques années, à peine, notre collec­tif a traduit et publié des centaines de textes trai­tant des prin­ci­pales problé­ma­tiques de notre temps — et donc d’éco­lo­gie, de poli­tique au sens large, d’eth­no­lo­gie, ou encore d’an­thro­po­lo­gie.contact@­par­tage-le.com

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