Faut-il rapiécer la créature de Frankenstein ou s’armer contre le mépris?

Faut-il rapiécer la créature de Frankenstein ou s’armer contre le mépris?

Le 14 novembre dernier, l’anglicisation du Québec est revenue dans l’actualité par une  enquête du Journal de Montréal qui dénonçait l’incapacité de nombreux commerçants à s’adresser avec la clientèle en français. Il fallait s’y attendre. Le lundi 16 novembre, des médias ont rapporté la nouvelle avant que Emmanuella Lambropoulos, députée du Parti libéral du Canada (PLC) de Saint-Laurent, demande les preuves du déclin du français.  Des propos choquants qui furent suivis par sa démission du Comité permanent des langues officielles, le 19 novembre dernier.

J’ai eu l’impression d’assister à un théâtre, qui en plus de nous  divertir, permet d’analyser notre pouls pour qu’on puisse nous suggérer une solution pas trop contraignante pour les Canadiens anglais qui nichent au Québec. Une nouvelle loi 101? Chelsea Craig, la présidente du PLC au Québec, a affirmé qu’une «loi qui dicte la langue à parler est oppressive». Ajoutons à la liste Filip Lucian Nedlecu. Ce dernier a lancé une pétition en octobre pour que l’anglais soit la langue principale de Montréal. Soyons dans la réalité. On veut bien tenter de communiquer avec des cerfs, des dauphins, des chats ou des chiens mais pas avec des Québécois. La raison est simple. Le dossier du français au Québec est indissociable à un vieux comportement qui a traversé le temps.

Depuis plus de 250 ans les Canadiens français sont victimes de mépris et d’un racisme systémique postcolonial. Ainsi après les «papistes» des orangistes, ces citoyens du Bas-Canada associés à un «peuple sans littérature et sans histoire» par Lord Durham (1792-1840), les «Frogs» et les «Pea Soup», un nombre de plus en plus imposant d’anglocitoyens compare la langue française à quelque chose de hideux et ceux qui parlent cette langue à des sortes d’arriérés qui auraient une intelligence difforme. Mais encore, on découvre que de nombreux Québécois de souches empruntent le même discours, pour excuser leur refus du français. Des personnes pour qui la Belle province semble rien d’autre que la créature du savant Suisse Victor Frankenstein que Mary Shelley (1797-1851) a présenté dans son roman Frankenstein ou le Prométhée moderne (1818). Un monstre né de l’assemblage de cadavres dont la laideur repoussante causa son rejet par Victor Frankenstein et son entourage. Un être malheureux,  sans repaires ni racines, qui n’a connu que le  mépris, au point de décliner son identité morbide.

Je ne tente pas de vous arracher des larmes avec l’histoire d’un surhomme qui a évité le processus de putréfaction, alors que la joie d’une fête de Noël presque normale réchauffe notre âme pendant que des dindes glougloutent de gaieté en attendant le trépas.  Je crois seulement important de préciser que comme la totalité des peuples déracinés, le Québec tend à renoncer à son identité pour devenir de l’anglo-chaire, afin de ne plus être comparé à une créature hideuse.

Le baril de poulet

Revenons au théâtre. Normalement, une si imposante mise en scène linguistique, ayant pour actrices Chelsea Craig et Emmanuella Lambropoulos du PLC, aurait dû être suivie par  quelques commentaires pertinents sur le Canada. Il ne faut pas oublier que ce  Québec hideux est une création de ce magnifique pays, notre Victor Frankenstein bienheureux. Un État où parler en français est devenu un acte répréhensible. On aurait pu aussi ajouter que le mépris de notre langue a transformé les Canadiens français en des citoyens de seconde zone. Mais encore, il faudrait être un peu bête pour croire qu’en reproduisant le corps royal britannique en Amérique par des greffes de nations  historiquement opposées, il n’y aurait pas de rejets. Et une fois que nous constatons que la scissure indépendantiste est devenue la solution qui s’impose par la raison, devrions-nous taire le fait que notre bon Victor a décidé d’ajouter d’autres pièces de viande, comme si le Canada était un gros baril de poulet frit? Du multiculturalisme déterré du cimetière du mondialisme pour augmenter le nombre de parties corporelles qui pourront reprendre le thème de la laideur, pour excuser le mépris de notre langue.

Aujourd’hui cette haine de ce que nous sommes s’étend par la falsification du réel. Plus rien n’est vrai. Tout est apparence. L’œuvre nationale se résume à remplir le baril. Cela permet à des médias d’ouvrir les lignes téléphoniques pour laisser couler quelques larmes sur la santé du français et élaborer quelques panures pour l’intellect,  alors qu’ils évitent la culture francophone en temps normal. Le Québec s’anglicise. Pendant ce temps nous restons muets sur le fait que dans la grande région de Montréal, le français compose moins de 20% du contenu musical. Ajoutons que dans cette part de marché risible, la tendance est d’évacuer toutes formes de revendications, comme s’il fallait nous présenter à l’autre en tant que personne docile et inoffensive. Aucune référence sociale, politique ou philosophique qui s’oppose à la pensée unique, comme si la diffusion de la culture consistait à placer des morceaux de volailles panées et homogènes dans le baril de poulet frit. Une tendance qui s’ajuste au reste, dont cette difficulté marquante à informer et divertir en respectant l’esprit de la langue française. Cela se traduit principalement par le refus de laisser cet outil de communication répondre à la raison même de son existence afin de ne pas nuire au professorat du conformisme nord-américain: échanger avec limpidité. Nous sommes plutôt à l’ère des greffes anglos didactiques, comme s’il y avait une volonté à véhiculer une anglo-information pour les nuls en simplifiant le discours et en évitant les débats. 

Nationalisme et quête du réel

Une nouvelle loi 101 va-t-elle permettre de nous sentir mieux avec nous-mêmes et d’être respecté chez nous? Le 24 novembre, Simon Jolin-Barrette, le ministre responsable de la Langue française, est intervenu pour le dépôt prochain d’une nouvelle loi 101. À mon avis, elle risque de ressembler à un fil chirurgical servant à coudre des parties corporelles pour créer un être qui parlerait le français, alors que le mépris de nombreux anglocitoyen va nécessairement provoquer des rejets. De là, je me dis que si nous osions seulement imaginer que nous avons les mêmes droits que les autres Canadiens, nous tenterions d’exploiter cette étiquette de hideux en notre faveur.

Comment? Je me permets une réponse en m’inspirant du livre Le naufrage et le chamane (2010). L’auteur se nomme Massimiliasno Pala. Il s’agit d’une connaissance qui a vécu son enfance à Gagnon, ce  village québécois disparu en 1984, qui est revenu dans notre actualité en 2020.  Dans son bouquin, il traite de son naufrage en voilier qui a été suivi par un petit séjour au Mexique et sa rencontre avec un chamane. Ce dernier est aussi hideux à sa façon. Il est fier de ses racines, de sa culture et peu enclin à apprécier les étrangers, au point de s’en moquer. Il est également animé par le besoin de communier avec les forces surnaturelles et croit que le dépassement de soi nécessite un amour de ce que nous sommes qui peut s’exprimer par des prières, des danses, des chants traditionnels ainsi qu’à l’usage d’une langue inconnue. Tout cela pour lutter contre le mal et les démons.

Nous ne sommes pas au Mexique. Ici, la fierté nationale manque à l’appel chez de nombreux citoyens. Cela arrive à un moment de notre histoire où on ressent le besoin pressant d’une présence plus importante de nationalistes québécois dans l’espace public et médiatique, afin de forger une société mieux informée, plus ouverte et  équilibrée. En plus de faire blasphémer les mondialistes, en désirant que le monde qu’ils ont construit ne devienne pas hideux, ces mêmes patriotes ont tendance à garantir une compatibilité avec la nation, avant de greffer des bouts de chair au tissu social. Nous ne pouvons  oublier d’ajouter que ces personnes ont aussi le courage d’exposer leurs racines catholiques qui fait en sorte que nous puissions découvrir que le Québec s’est construit sur les notions d’un communautarisme moins axées sur l’apparence et la possession que l’anglosphère.  Nous avons par contre les mêmes solutions qui regroupent le christianisme et l’enseignement du chamane. Il s’agit de l’idée que LE CORPS ET L’ESPRIT NE FONT QU’UN.

Lorsque nous abordons l’anglicisation de Québec, nous ne devrions jamais oublier de mentionner que la culture et la langue sont comme notre corps et notre esprit. Ils forment un tout. Ainsi, quand un dépérit, l’autre suit. Si on soigne l’un, l’autre se renforcit. Nous devons aussi comprendre que les personnes qui considèrent que notre langue est hideuse utilisent généralement les mêmes qualificatifs pour définir nos créations. Ajoutons que je me désole d’en arriver à constater que parmi les personnes qui s’affichent comme des souverainistes, un nombre important ne réussit pas à accepter le lien entre la culture et la langue, comme si nous pouvions rêver d’un pays,  sans notre musique, notre théâtre, notre littérature et notre cinéma en français.

C’est ici le drame de la créature de Frankenstein. Elle ne pouvait unir son esprit à son corps. De notre côté, en séparant notre langue de notre culture, nous devons une nation déformée qu’on peut ridiculiser et injurier. À quel prix? L’anglicisation du Québec repose nécessairement sur le fait que nous puissions nous croire hideux. C’est ni plus ni moins accepter d’avoir un esprit difforme qui ne peut que s’épanouir dans un monde névrosé et hystérique qui s’invente des mensonges. Le droit de pouvoir continuer à avancer dans un monde où nous avons déjà posé nos pieds, pour  accepter d’emblée de voir de la beauté dans les mains assassines, les yeux idiots et les têtes mal pensantes qui composent notre société anglicisée. Est-ce la raison de cette forte tendance à nous associer à la laideur, en s’assurant que le radotage puisse faire mal à notre chair en y ajoutant le racisme et en oubliant que les Canadiens français sont, avec les Amérindiens, les deux principales victimes du racisme systémique canadien?

Restons attachés à la réalité. Lorsqu’on traite d’anglicisation, on doit oser dire que le refus du français s’exerce de plus en plus sur la laideur qui fait obstacle à un globalisme anglo-saxon mignon et universel. Actuellement, alors que des journalistes traitent d’anglicisation, nous oublions de préciser que les médias électroniques sont nés du Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC) de Victor. Non seulement un pourcentage important de la population n’est pas représenté par les permis de diffusion de ce dernier, mais en plus on constate une forte diminution de la présence du français de l’espace culturel. Un phénomène qui touche aussi Télé-Québec, notre bonne télévision nationale. De cette tendance, nous invitons les immigrants à joindre l’anglosphère et à perpétuer la haine de ce que nous sommes. En fait, le CRTC de Victor a simplement réussi à nous enlaidir en associant notre culture à des pièces de viande homogènes qu’on entre dans un baril de poulet frit. Mêmes saveurs, mêmes apparences avec les mêmes effets sur l’esprit.

Sortons les armes et chassons

Revenons à  Frankenstein ou le Prométhée moderne. Dans le roman de Mary Shelley, la créature décide de se venger du rejet de Victor Frankenstein et de la persécution de ses proches en les tuant avec ses mains. Puis-je me permettre de réagir, moi le monstre qui parle une langue hideuse? Dans mon cas, je suis devenu un amateur d’armes offensives. J’en ai même utilisé une, il y a quelques années, par une magnifique journée d’octobre. Ce jour, j’étais dans une voiture stationnée sur un belvédère de Baie-St-Paul avec un ami, pour observer le paysage. Soudainement est apparu un fourgon avec deux passagers. Sans doute des Montréalais, si je me fis à la langue qu’ils parlaient. Il y avait aussi quelque chose en eux qui semblait dire «voilà un endroit beau et tranquille avec des gens sereins et des oiseaux qui chantent. Imposons-nous pour marquer ce territoire de notre présence». C’est alors que le conducteur a ouvert la porte coulissante du côté droit de son véhicule pour ensuite jouer de la musique en anglais, plutôt mauvaise et agressante. Je sais. J’aurais dû lancer quelques mots dans leur langue pour saluer leurs grandes beautés, mais j’ai préféré regarder mon copain pour lui demander la permission de sortir mon arme pour les faire fuir. Il a accepté. Le couple a quitté le lieu en moins de deux minutes.

Pour ce petit voyage, j’avais amené un gros calibre connu sous le nom de «350 Quatre Barils». Pas des barils de poulets frits, mais un défunt groupe de rock lourd et revendicateur que j’ai déjà partagé avec les lecteurs de Vigile. Un simple disque compact dans le lecteur. On monte le volume et… Bye bye.  Que des personnes, un peu plus loin, qui m’ont regardé, comme pour me remercier d’avoir pu retrouver la paix.  Cet été, j’ai encore utilisé des armes à plusieurs reprises pour faire taire quelques bêtes hurlantes qui indisposaient le voisinage d’un stationnement commercial, en jouant le même genre de musique, dans la même langue. Cette fois, j’ai utilisé des chansons de Fuudge, KPLR, Mononc Serge, Galaxie, Loco Locass, Henri Band et Fred Fortin pour les chasser. Le calibre qu’il me fallait pour nettoyer la place. 

Une bonne arme offensive devrait nous inciter à réclamer des changements plutôt qu’attendre un référendum en l’an 2043. Apprendre à chasser sans espérer les décisions de l’État. Faire entendre partout ce qu’on refuse d’écouter. Exiger des quotas de musique en français dans toutes les stations de radio et de télévision du Canada et diminuer ainsi le ratio culturel anglophone dans le grand Montréal. Je fais donc un appel à tous, plus précisément des  constitutionnalistes et des juristes, pour que le Canada français puisse trouver sa place dans les médias de son pays.

hubermarcph7@yahoo.ca

Source: Lire l'article complet de Vigile.Québec

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