L’abbé Erik Deprey : les exils d’un prêtre en soutane

L’abbé Erik Deprey : les exils d’un prêtre en soutane

Un texte de Bernard Couture, gagnant du concours Les exilés du 21e siècle

L’exil est multiforme : géographique ou intérieur, imposé ou volontaire, social ou religieux. Si chacun de nous vit au moins quelques petits exils au cours de sa vie, certains, comme l’abbé Erik Deprey, en vivent des grands et de tous les genres.

Né en 1970 et originaire du Maine, l’abbé Erik Deprey est aujourd’hui curé de la paroisse Saint-Clément d’Ottawa. La condition d’exilé, il la connait. Il y était même en quelque sorte prédestiné.

Les grands dérangements

Tout d’abord, ses ancêtres acadiens ont connu « le Grand Dérangement », cette déportation imposée par les Britanniques au 18e siècle. Selon les recherches de l’abbé Deprey, c’est grâce à l’aide des Malécites, peuple autochtone aussi appelé les Etchemins, que ses aïeux parviennent lors de leur exil à s’établir dans le Maine, près de la frontière de la Nouvelle-Écosse. C’est donc dans cet État américain que s’installe sa famille, dont les membres parlent à la fois le français et l’anglais, même si les plus âgés, comme sa grand-mère, sont exclusivement francophones.

Mais le jour où son père trouve un meilleur emploi dans l’Ouest canadien, toute sa famille déménage avec lui. Ce sera un exil douloureusement senti par le petit Erik, alors âgé de seulement huit ans. Il perd de vue sa famille élargie, dont ses cousins qu’il aime beaucoup, et ne tarde pas à remarquer que sa maitrise du français souffre de cette séparation d’avec sa patrie. Pour preuve, sa grand-mère réussit de moins en moins à le comprendre au téléphone. « J’avais perdu mes racines », explique-t-il.

Sur le plan religieux, Erik Deprey vient d’une famille catholique pratiquante. Pourtant, en 1995, tandis qu’il se trouve toujours en Colombie-Britannique, la rencontre d’un catholique qui fréquente « la messe en latin » le trouble grandement.

Erik Deprey
Photo : Jacquie Fournier.

Cette découverte lui fait prendre conscience d’une nouvelle séparation, cette fois d’avec son patrimoine religieux. En effet, l’enseignement catholique qu’il a reçu jusque-là, notamment sur la présence réelle de Jésus Christ dans l’eucharistie, lui semble bien pauvre par rapport à toute la profondeur qu’il découvre maintenant dans les missels et les livres qu’il consulte. « J’avais l’impression, confie l’abbé Deprey, qu’on ne m’avait pas vraiment transmis les enseignements, que j’étais un peu trahi. »

C’est le début d’un autre cheminement qui l’amènera d’abord à Ottawa, dans la paroisse « traditionaliste » Saint-Clément, celle-là même dont il deviendra un jour curé !

« Où suis-je appelé, Seigneur ? »

C’est là à Ottawa qu’en 1997 il s’engage avec d’autres paroissiens à faire un pèlerinage à Chartres, en France.

Lors de son voyage, il visite aussi l’abbaye de Fontgombault, où il est frappé par la concentration et la dévotion avec laquelle les moines célèbrent la messe de rite latin dans sa forme extraordinaire.1. Erik Deprey, qui sent depuis toujours un appel à la prêtrise — auquel il résiste —, adresse alors une demande à Dieu : « Seigneur, si vous voulez que je devienne prêtre, il faut que ce soit pour cette messe ! »

Reste néanmoins une question cruciale : pour répondre à son appel, doit-il se joindre aux groupes traditionalistes fidèles à Rome, ou à ceux qui, opposés aux réformes du deuxième concile du Vatican, ont fait sécession d’avec le reste de l’Église ?

Cette question sera tranchée assez rapidement. Pendant qu’il poursuit à pied son pèlerinage en France, il prie intérieurement : « Où suis-je appelé, Seigneur ? » C’est précisément à ce moment que tombe à ses pieds rien de moins qu’un drapeau de l’État du Vatican ! Imaginant qu’un des pèlerins qui le précèdent sur le chemin a laissé tomber ce drapeau, il interroge les uns et les autres, mais personne ne revendique le drapeau inopiné.

Même s’il n’y voit pas nécessairement un miracle, car, avoue-t-il, « on était dans la forêt, peut-être que le drapeau était juste là, dans les feuilles », le futur abbé Deprey prend néanmoins une grande décision : « Seigneur, tu veux que j’aille chez la Fraternité sacerdotale Saint-Pierre [FSSP] », une société de droit pontifical qui célèbre la messe de forme extraordinaire en latin, mais en pleine communion avec le pape.

Bâtir des ponts en soutane

Sept ans plus tard, en 2004, Erik Deprey est ordonné au sein de la FSSP. Mais être prêtre, et prêtre « traditionaliste » par-dessus le marché, n’est-ce pas, par les temps qui courent, un exil des plus radicaux ? N’est-ce pas être loin non seulement de la société dans son ensemble, pour qui la prêtrise est de toute façon un choix de vie saugrenu, mais aussi de nombreux autres croyants, pour qui la soutane, le latin et tout le reste sont enterrés depuis belle lurette ? Si l’abbé Deprey concède qu’il a de temps en temps « eu l’impression que les gens étaient méfiants » envers lui, « habituellement, dit-il, les gens sont plus accueillants ».

Le prêtre ne peut pas éviter d’être quelque peu déphasé par rapport à ses contemporains, du fait même de son sacerdoce. S’il cherchait à être « comme tout le monde », il sacrifierait précisément ce qui fait la nature du prêtre.

De fait, l’abbé Deprey croit que le port de la soutane, pour ne parler que de cet aspect secondaire mais interpelant de sa vie de prêtre, sert de « pont » vers la société civile. Il raconte à cet égard deux anecdotes.

Un soir, des jeunes qui faisaient de la planche à roulettes, caisse de bière aidant, empêchaient les voisins de dormir. L’abbé s’approche d’eux, et ceux-ci, le voyant en soutane, se disent : « Hé ! c’est un prêtre ! » et en profitent pour engager une discussion sur… l’avortement ! Gageons que le « trouble-fête » aurait été accueilli par des propos plus terre-à-terre s’il s’était présenté en vêtements civils.

La seconde anecdote se déroule dans un aéroport. Un jour, un homme qui était terrifié par la perspective d’un écrasement d’avion engage une conversation avec l’abbé Deprey. Et voici qu’après un court échange, il lui demande… de le confesser !

Dans le monde, mais pas du monde

Voilà comment, tout en étant exilé de bien des manières, l’abbé Deprey demeure dans le monde pour la mission. S’il avait voulu vivre séparé du monde, il ne serait pas entré dans la Fraternité sacerdotale Saint-Pierre, mais dans un monastère. « La vie d’un prêtre est plus qu’une vie de prière, il y a plein de travail à faire avec les fidèles. »

Est-ce à dire que le prêtre est une personne tout à fait comme les autres ? L’abbé Deprey ne le croit pas. Après tout, le prêtre ne peut pas éviter d’être quelque peu déphasé par rapport à ses contemporains, du fait même de son sacerdoce. S’il cherchait à être « comme tout le monde », il sacrifierait précisément ce qui fait la nature du prêtre.


Ce texte est tiré du numéro spécial Exil du magazine Le Verbe. Cliquez ici pour consulter la version originale.


Cet équilibre, qui consiste à être dans le monde et avec ses ouailles, mais à en être séparé par sa vocation particulière, peut être difficile à trouver. Dans la Fraternité sacerdotale Saint-Pierre, on tente de l’assurer, notamment en obligeant les prêtres à vivre en communauté. Ainsi, l’abbé Deprey est secondé par deux autres prêtres, et tous trois observent un rythme de vie quotidien qui empêche de « glisser dans des habitudes mondaines », mais laisse le temps « d’être le levain, d’évangéliser le monde ».

« L’Église, c’est notre mère ! »

Que répondre, toutefois, à ceux qui voient dans le traditionalisme un exil volontaire et orgueilleux, une sorte d’injure à l’unité que le Seigneur souhaite pour son Église ?

À cet égard, Erik Deprey déplore lui aussi le schisme dans lequel continuent à se trouver beaucoup de catholiques attachés à la messe tridentine. Il juge qu’« il ne faut pas être séduit par l’idée de quitter l’Église, il faut plutôt faire partie de la solution. L’Église, c’est notre mère ! Si j’ai des problèmes avec ma mère, je ne lui lance pas des pierres, mais je m’assois avec elle et je discute ».

L’exil de tout chrétien

Mais si le prêtre, traditionaliste ou non, est nécessairement un peu en exil dans son propre monde, qu’en est-il de tout chrétien, voire de toute personne ? Ne sommes-nous pas tous des exilés ici-bas, en ce sens que notre vraie patrie n’est pas de ce monde ? Écoutons en conclusion ce que nous dit là-dessus l’abbé Deprey :

« Nous ne cherchons pas un paradis terrestre. Notre patrie, c’est le Ciel. Nos souffrances sont transitoires, et comme les Hébreux de l’Exode, finalement nous rejoindrons notre patrie. Il faut nous souvenir que le but de notre vie terrestre, c’est de nous préparer pour le Ciel. Si nous gardons cette idée en nous, nous allons bien passer notre exil. »

Bref, qu’on soit — comme l’est ou l’a été l’abbé Erik Deprey — Acadien aux États-Unis, Américain au Canada, Canadien en France, prêtre dans un monde sans prêtres ou traditionaliste dans une Église postconciliaire, ou qu’on soit simplement enfant de Dieu, l’exil est notre lot, mais non notre fin.


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  1. Dans la suite du concile Vatican II, le pape Paul VI a promulgué en 1970 un nouveau Missel romain. Ce livre, qui rassemble des textes (lectures, prières, chants) et des rubriques (indications rituelles et musicales), explique la manière concrète de dire la messe pour la très grande majorité des catholiques d’Occident. Néanmoins, comme l’a expliqué le pape Benoît XVI en 2007 (Summorum Pontificum), il demeure toujours possible de dire la messe selon les normes en vigueur avant cette réforme liturgique. Dans le langage courant, on désigne souvent cette plus ancienne manière de célébrer l’eucharistie par les formules « messe tridentine », « messe traditionnelle », « messe de saint Pie V » ou encore « messe en latin ». Benoît XVI a toutefois signalé qu’il convient plutôt de parler de « forme extraordinaire du rite romain » pour la distinguer de sa « forme ordinaire », dans le sens d’habituelle. « Il n’est pas convenable, explique-t-il, de parler de ces deux versions du Missel romain comme s’il s’agissait de “deux rites”. Il s’agit plutôt d’un double usage de l’unique et même rite. » Notons d’ailleurs que l’usage de la langue latine, du chant grégorien ainsi que l’orientation du prêtre vers l’Orient liturgique sont possibles dans les deux formes, « ordinaire » et « extraordinaire », de cet unique rite. (S. L.)

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