Hold Up : Comme d’habitude, complotisme et anticomplisme passent à côté de l’essentiel (par Nicolas Casaux)

Hold Up : Comme d’habitude, complotisme et anticomplisme passent à côté de l’essentiel (par Nicolas Casaux)

Quelques remarques grif­fon­nées à la va-vite au sujet de ce docu­men­taire qui aura au moins eu le mérite de pro­vo­quer des dis­cus­sions — avec l’aide de Simone Weil, et aus­si de Jaime Sem­prun (L’Abîme se repeuple, 1996) :

« La domes­ti­ca­tion par la peur ne manque pas de réa­li­tés effrayantes à mettre en images ; ni d’images effrayantes dont fabri­quer la réa­li­té. Ain­si s’installe, jour après jour, d’épidémies mys­té­rieuses en régres­sions meur­trières, un monde impré­vi­sible où la véri­té est sans valeur, inutile à quoi que ce soit. Dégoû­tés de toute croyance, et fina­le­ment de leur incré­du­li­té même, les hommes har­ce­lés par la peur et qui ne s’éprouvent plus que comme les objets de pro­ces­sus opaques se jettent, pour satis­faire leur besoin de croire à l’existence d’une expli­ca­tion cohé­rente à ce monde incom­pré­hen­sible, sur les inter­pré­ta­tions les plus bizarres et les plus détra­quées : révi­sion­nismes en tout genre, fic­tions para­noïaques et révé­la­tions apo­ca­lyp­tiques. […] Le soup­çon de mani­pu­la­tion géné­rale est alors un ultime refuge, une façon com­mode de ne pas faire face à l’irrationalité totale de la déca­dence, en lui prê­tant une ratio­na­li­té secrète. »

Le com­plot, ça marche ; c’est appa­rem­ment un nou­veau filon capi­ta­liste. C’est ras­su­rant de se dire qu’on tient l’explication, qu’on com­prend, qu’on sait, que tout ce qui se passe relève d’un plan, qu’on n’est pas juste per­dus, éga­rés dans les flots tem­pé­tueux, incon­trô­lés, incon­trô­lables, dépour­vus de sens, d’une civi­li­sa­tion qui, depuis long­temps déjà, n’est plus qu’un inson­dable mael­strom. Même chose, donc, en ce qui concerne l’anticomplotisme.

Le docu­men­taire Hold Up de Pierre Bar­ne­rias pose autant pro­blème dans le fond que dans la forme — la musique dra­ma­tique, par exemple, per­met à peu de frais de pas­ser des bana­li­tés ou des fabu­la­tions pour d’incroyables révé­la­tions. On pour­rait pas­ser un cer­tain temps à lis­ter les erreurs fac­tuelles et les men­songes qu’il col­porte. Divers médias grand public ont déjà com­men­cé à le faire (liens ci-après). Rap­pe­lons-en deux :

  1. Le docu­men­taire sug­gère qu’étant don­né que Bill Gates et les Rocke­fel­ler pré­voyaient l’avènement d’une pan­dé­mie depuis plu­sieurs années, alors ils sont sans doute cou­pables de l’avoir pro­vo­quée. Mais d’innombrables scien­ti­fiques et aus­si des écri­vains et toutes sortes de gens nous aver­tissent à ce sujet depuis déjà des années ! Pas seule­ment Bill Gates et les Rocke­fel­ler, loin de là. Les pan­dé­mies accom­pagnent depuis déjà des siècles le déve­lop­pe­ment de la civi­li­sa­tion. Ain­si que le sou­ligne un article récem­ment publié sur le site de la célèbre chaîne états-unienne His­to­ry : « Plus les humains devinrent civi­li­sés, construi­sant des villes, éta­blis­sant des routes com­mer­ciales entre elles, et menant des guerres les uns contre les autres, plus des pan­dé­mies devinrent pro­bables. » Dans un récent article inti­tu­lé « Ce qu’il faut savoir sur les prin­ci­pales épi­dé­mies et pan­dé­mies », René Noto, pré­sident d’honneur de la SFMC (Socié­té Fran­çaise de Méde­cine de Catas­trophe), explique : « L’histoire des civi­li­sa­tions connues par les fouilles archéo­lo­giques montre à l’évidence l’existence de mala­dies infec­tieuses et cette his­toire est jalon­née par ces risques infec­tieux sans pour autant que l’on puisse avoir des infor­ma­tions pré­cises sur le contexte épi­dé­mique de l’époque. » Il y en a déjà eu de nom­breuses au cours de l’histoire de la civi­li­sa­tion, il y en aura d’autres. Rien d’étonnant. D’autant plus que la civi­li­sa­tion de notre temps est mon­dia­li­sée, dotée de trans­ports à grande vitesse, bien plus popu­leuse que celles du pas­sé, etc.
  2. Il affirme que les zoo­noses sont rares, ce qui est évi­dem­ment faux. « Les esti­ma­tions varient, mais sur les mille quatre cents orga­nismes patho­gènes connus affec­tant l’être humain, entre huit cents et neuf cents sont des “zoo­noses”, c’est-à-dire des infec­tions issues d’hôtes non humains. » (James C. Scott, Homo Domes­ti­cus). Cho­lé­ra, variole, oreillons, rou­geole, grippe, vari­celle et peut-être aus­si palu­disme, sont, entre autres, des zoo­noses.

Outre des erreurs fac­tuelles et des men­songes purs et durs, le docu­men­taire affirme des choses dis­cu­tables, sinon dou­teuses, par exemple en évo­quant divers com­plots et/ou phé­no­mènes de cor­rup­tion dans plu­sieurs sec­teurs indus­triels (le sec­teur phar­ma­ceu­tique, notam­ment). Le pro­blème étant qu’il ne s’agit pas tant de cor­rup­tion ou de com­plots que du fonc­tion­ne­ment nor­mal et logique du sys­tème capi­ta­liste — impé­ra­tif du pro­fit et règne de l’intérêt finan­cier. Lequel s’apparente, de bien des manières, à « une élite qui com­plo­te­rait contre les citoyens et notam­ment contre les pauvres », quoi qu’en pense France Culture (d’où ces magnats de la Sili­con Val­ley pla­çant leurs enfants dans des écoles sans tech­no­lo­gie tan­dis qu’ils encou­ragent l’État à four­nir des tablettes à tous les autres enfants, à rendre l’école tou­jours plus numé­rique, vir­tuelle). Cette incom­pré­hen­sion du fonc­tion­ne­ment élé­men­taire du capi­ta­lisme amène les anti­com­plo­tistes à nier la réa­li­té — des inté­rêts diver­gents, voire oppo­sés, entre classes sociales — autant que les com­plo­tistes à la mécon­naître.

L’absence d’une démo­cra­tie véri­table et l’existence de classes, d’une struc­ture sociale hié­rar­chique, implique depuis des siècles l’existence de maîtres et d’esclaves, et ain­si « l’état per­pé­tuel de guerre dans lequel tout maître est vis-à-vis de ses esclaves » (Pierre Samuel du Pont de Nemours en 1771, qui en savait quelque chose, dont le fils crée­ra par la suite la socié­té DuPont, aujourd’­hui l’un des plus grands groupes indus­triels de chi­mie du monde).

Com­plo­tistes et anti­com­plo­tistes ont éga­le­ment en com­mun — outre de pré­tendre déte­nir la Véri­té scien­ti­fique — de ne jamais sou­li­gner une des seules choses dont nous sommes à peu près sûrs, à savoir, comme le for­mu­lait Simone Weil (Réflexions sur les causes de la liber­té et de l’oppression sociale), que :

« L’obs­tacle qui appa­raît le pre­mier est consti­tué par la com­plexi­té et l’é­ten­due de ce monde auquel nous avons affaire, com­plexi­té et éten­due qui dépassent infi­ni­ment la por­tée de notre esprit. Les dif­fi­cul­tés de la vie réelle ne consti­tuent pas des pro­blèmes à notre mesure ; […] [l]es termes d’op­pres­seurs et d’op­pri­més, la notion de classes, tout cela est bien près de perdre toute signi­fi­ca­tion, tant sont évi­dentes l’im­puis­sance et l’an­goisse de tous les hommes devant la machine sociale, deve­nue une machine à bri­ser les cœurs, à écra­ser les esprits, une machine à fabri­quer de l’in­cons­cience, de la sot­tise, de la cor­rup­tion, de la veu­le­rie, et sur­tout du ver­tige. La cause de ce dou­lou­reux état de choses est bien claire. Nous vivons dans un monde où rien n’est à la mesure de l’homme ; il y a une dis­pro­por­tion mons­trueuse entre le corps de l’homme, l’es­prit de l’homme et les choses qui consti­tuent actuel­le­ment les élé­ments de la vie humaine ; tout est dés­équi­libre. »

Ain­si, l’étendue de la divi­sion du tra­vail et de la spé­cia­li­sa­tion qui sont au fon­de­ment de la civi­li­sa­tion indus­trielle font de « la science […] un mono­pole, non pas à cause d’une mau­vaise orga­ni­sa­tion de l’ins­truc­tion publique, mais par sa nature même ; les pro­fanes n’ont accès qu’aux résul­tats, non aux méthodes, c’est-à-dire qu’ils ne peuvent que croire et non assi­mi­ler. »

Par exemple :

« Les mathé­ma­tiques consti­tuent à elles seules un ensemble trop vaste et trop com­plexe pour pou­voir être embras­sé par un esprit ; à plus forte rai­son le tout for­mé par les mathé­ma­tiques et les sciences de la nature ; à plus forte rai­son le tout for­mé par la science et ses appli­ca­tions ; et d’autre part tout est trop étroi­te­ment lié pour que la pen­sée puisse véri­ta­ble­ment sai­sir des notions par­tielles. Or tout ce que l’in­di­vi­du devient impuis­sant à domi­ner, la col­lec­ti­vi­té s’en empare. »

Dans une telle confi­gu­ra­tion sociale, la démo­cra­tie est inexis­tante et impos­sible, les anta­go­nismes de classe sont iné­luc­tables, le pou­voir est entre les mains de l’inertie de la machine tech­no­ca­pi­ta­liste, qui ne peut être ni contrô­lée ni réfor­mée. Les domi­nants ne peuvent que faire la guerre aux pauvres. Et le sys­tème la guerre au monde entier. Il est absurde d’espérer contrô­ler (qui plus est, démo­cra­ti­que­ment) ce qui n’est plus depuis long­temps déjà à la mesure de l’être humain — des méga­lo­poles gigan­tesques, des États-nations pires encore, de vastes et même inter­na­tio­nales divi­sions et spé­cia­li­sa­tions du tra­vail néces­saires aux techniques/technologies les plus élé­men­taires sur les­quelles repose toute la socié­té indus­trielle, l’existence tech­no­lo­gique moderne.

Dans l’ensemble, ce docu­men­taire, qui mélange des réac­tions et remarques légi­times (hos­ti­li­té envers cer­taines nou­velles tech­no­lo­gies déployées de manière par­fai­te­ment anti­dé­mo­cra­tique, à l’image de tout le reste) à des affir­ma­tions ou croyances ridi­cules (« on a trou­vé le cou­pable de la covid19 »), envoie son audience sur une fausse piste, à la recherche d’un com­plot our­di par quelques ter­ribles méchants (Gates, Rockef­fel­ler, Schwab). Il n’examine en rien ni ne remet en ques­tion la tech­no­lo­gie et ses impli­ca­tions, le capi­ta­lisme et ses impli­ca­tions, la civi­li­sa­tion et ses impli­ca­tions, l’armature du sys­tème socio­tech­nique mon­dia­li­sé. Suite à son vision­nage, est-on mieux armés pour affron­ter le désastre en cours ? Pas vrai­ment. Au contraire, on risque de se perdre dans diverses impasses à cher­cher pour­quoi cer­tains sont méchants, com­ment chan­ger de diri­geants pour en avoir de bons qui res­pectent les démo­cra­ties pré­sentes, etc., tou­jours les mêmes espé­rances absurdes et réfor­mistes. Le com­plo­tisme, en effet, loin de mettre en lumière les pro­blèmes que posent les struc­tures sociales exis­tantes, l’organisation géné­rale de nos socié­tés, les prin­cipes fon­da­men­taux qui les régissent, se contente de blâ­mer — par­fois à plus ou moins juste titre, par­fois non — diverses conju­ra­tions de per­sonnes jugées mal­fai­santes.

Il est aus­si regret­table que les anti­com­plo­tistes s’empressent de conchier tous ceux qu’ils qua­li­fient de « com­plo­tistes », de les trai­ter de tous les noms, de les déni­grer avec par­fois un mépris de classe abject (je ne sais plus quel article mass-média­tique ren­voie à un thread Twit­ter d’une per­sonne affir­mant que les com­plo­tistes sont des gens « moyens » (ne pos­sé­dant pas de diplôme supé­rieur d’é­du­ca­tion, etc.) frus­trés et idiots).

***

Je ne sais pas d’où sort le SARS-COV‑2, je ne sais pas si l’hydroxychloroquine fonc­tionne ou non pour le gué­rir, je ne sais pas si le port du masque est dans l’ensemble une bonne chose ou non, je ne sais pas s’il est utile ou non, et je m’en fous un peu. Ce « monde incom­pré­hen­sible », avec ses « pro­ces­sus opaques », son « irra­tio­na­li­té totale », dont « les dif­fi­cul­tés […] ne consti­tuent pas des pro­blèmes à notre mesure », ce « chaos pla­né­taire qui, lit­té­ra­le­ment, défie la des­crip­tion » (Jaime Sem­prun), est inhu­main, ne peut être qu’inhumain. Il est absurde autant qu’i­nu­tile d’es­sayer de le réfor­mer, de le contrô­ler.

Pour l’es­sen­tiel, il est à détruire — au plus vite, afin d’en­di­guer sa des­truc­tion du monde natu­rel et son écra­se­ment de l’hu­ma­ni­té, afin d’é­vi­ter qu’il ne finisse par nous détruire.

« Toute cette évo­lu­tion, par l’invraisemblable dépen­dance qu’elle orga­nise, est venue ren­for­cer la cohé­sion de la méga­ma­chine, ce qui la rend encore plus irré­for­mable que naguère et fait plus que jamais appa­raître l’option révo­lu­tion­naire comme la seule rai­son­nable. » (La Lampe hors de l’horloge).

Il se pour­rait que le seul moyen de retrou­ver la mesure — des socié­tés à taille humaine, des tech­no­lo­gies contrô­lables par de telles socié­tés, « des formes d’organisation tech­niques et sociales plus simples, plus à la por­tée de la maî­trise et com­pré­hen­sion de cha­cun » (Ber­trand Louart) — soit de pré­ci­pi­ter l’effondrement de la machine, mal­gré tout ce que cela implique.

***

QUELQUES ARTICLES QUI LISTENT DIVERS MENSONGES DU DOCUMENTAIRE (je hais les médias de masse ; de plein de manières, ils font par­tie des enti­tés les plus nui­sibles du moment, les plus res­pon­sables du désastre, de sa conti­nua­tion, leurs cri­tiques du docu­men­taire sont tou­jours tein­tées d’un anti­com­plo­tisme qui cor­res­pond à une défense du sta­tu quo, et/ou à une néga­tion de pro­blèmes bien réels, et sou­vent aus­si d’un insup­por­table mépris des imbé­ciles qui font le peuple d’en bas qui ne com­prend rien à la Réa­li­té Vraie, à la Science et à la Civi­li­sa­tion ; cela étant, ils relèvent per­ti­nem­ment cer­tains men­songes fla­grants du docu­men­taire Hold Up ; pour autant, je ne consi­dère pas que toutes leurs remarques sont exactes, cer­taines sont sans doute dis­cu­tables) :

https://factuel.afp.com/non-la-famille-rothschild-na-pas-brevete-des-tests-de-depistage-du-covid-19-en-2015

https://www.sciencesetavenir.fr/sante/covid-19–4‑fake-news-majeures-presentes-dans-le-documentaire-complotiste-hold-up_149107

https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2020/11/12/covid-19-les-contre-verites-de-hold-up-le-documentaire-a-succes-qui-pretend-devoiler-la-face-cachee-de-l-epidemie_6059526_4355770.html

https://www.liberation.fr/france/2020/11/12/dix-contre-verites-vehiculees-par-hold-up_1805434

https://www.leparisien.fr/societe/covid-19-labos-masques-et-domination-du-monde-on-decrypte-hold-up-le-docu-qui-agite-les-complotistes-12–11-2020–8408046.php

Nico­las Casaux

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À propos de l'auteur Le Partage

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