Les fondements de la politique canadienne d’immigration massive.

Les fondements de la politique canadienne d’immigration massive.

« On ne peut pas simultanément avoir une immigration de masse et un État providence. », Milton Friedman (1912-2006), professeur émérite d’économie à l’Université de Chicago, interview d’août 1999.

« Quel est le rôle du gouvernement canadien [face à l’immigration] ? S’il acceptait les recommandations des partisans de l’immigration, il adopterait des politiques qui maximisent le bien-être mondial et les niveaux d’immigration devraient être élevés, sinon illimités. Si ses politiques sont plutôt de maximiser le bien-être de la population canadienne, ses politiques d’immigration devraient viser à éliminer le fardeau fiscal découlant de l’immigration [entre $20 et $26 milliards annuellement] de sorte que seuls des avantages économiques positifs découlent de l’immigration. », Herbert Grubel (1934- ), professeur émérite d’économie, Université de Simon Fraser, Vancouver, C.-B., Canada, rapport de l’Institut Fraser, 2013.

Le 30 octobre dernier, sans trop de publicité, le gouvernement minoritaire de Justin Trudeau a fait connaître son intention, non seulement de ne pas vouloir abaisser les seuils annuels d’immigration légale, en cette période de crise sanitaire et de ralentissement économique, mais plutôt de les accroître substantiellement, au cours des trois prochaines années.

En effet, le ministre fédéral de l’immigration, Marco Mendicino a annoncé que son ministère haussait les niveaux légaux d’immigration au Canada pour atteindre 401 000 personnes en 2021; 411 000 en 2022; et 421 000 en 2023. Rappelons que ces niveaux étaient de 310 000 en 2018, 330 000 en 2019 et 340 000 en 2020. 

Comparé aux deux dernières années, l’inflation migratoire annoncée par le gouvernement Trudeau en serait une de plus de 25 pourcent, soit un accroissement substantiel à partir de niveaux qui étaient déjà très élevés auparavant.

C’est dans le cadre d’une interview du ministre fédéral de l’immigration à l’agence américaine de nouvelles économiques Bloomberg, que ces intentions du gouvernement minoritaire de Justin Trudeau furent dévoilées.

Quelques jours plus tard, soit le lundi 2 novembre, la même agence publiait une autre interview avec le ministre Mendicino, dans laquelle ce dernier annonçait que le gouvernement Trudeau songeait vouloir devancer l’octroi de la citoyenneté canadienne à plus d’un million d’étudiants étrangers temporaires, de travailleurs étrangers et de demandeurs d’asile. 

Comme il est généralement acquis qu’il y aura des élections générales au Canada l’an prochain, est-il possible de faire un lien entre ces élections et cette intention du gouvernement minoritaire libéral présentement en poste de devancer l’octroi du droit de vote à autant de personnes immigrantes ? 

Rappelons pour l’histoire que le gouvernement libéral du temps, quelques mois avant le référendum québécois de 1995, avait aussi devancé de la même manière l’octroi de la citoyenneté et ainsi accordé le droit de vote à des immigrants nouvellement arrivés et n’ayant pas le droit de vote selon la loi.

Rappelons aussi qu’un sondage de l’agence Bloomberg en collaboration avec la maison Nanos Research Group, en date du 6 novembre, a révélé que seulement 17 pourcent des Canadiens souhaitaient une hausse des seuils d’immigration, tandis qu’une pluralité de 40 pourcent voulaient une baisse de ces nivaux. Et, seulement 36 pourcent indiquaient vouloir garder le statu quo de 2019.

Si les partis d’opposition à la Chambre des Communes ne s’opposaient pas aux décisions du gouvernement libéral en place, il en résulterait que le Canada accueillerait, en seulement trois ans, plus de 1,2 millions de nouveaux immigrants, c’est-à-dire une immigration qui dépasserait la moitié de la population de la Ville de Montréal.

Et, si on projetait la situation démographique canadienne après dix-huit ans, soit pour l’an 2038, il faudrait parler d’un afflux migratoire qui dépasserait trois fois la population de la Ville de Montréal. On peut imaginer les conséquences économiques, sociales et politiques d’un tel phénomène, en si peu de temps.

Le niveau projeté de l’immigration légale aux États-Unis a été fixé à 601 660 personnes pour l’année 2021. Comme les populations du Canada et des États-Unis approcheront 38 millions et 332 millions respectivement, à la fin de cette année, cela signifie qu’en 2021, le Canada accueillerait presque six fois plus d’immigrants légaux par habitant que les États-Unis. 

Si le Canada accueillait la même proportion d’immigrants, par rapport à sa population, que les États-Unis, ses niveaux d’immigration légale devraient plutôt être de l’ordre de 66 000 à 135 000 par année.

À ces chiffres, il faut ajouter l’arrivée de réfugiés, de sorte que compte tenu de la politique de la « porte ouverte » du gouvernement Trudeau en la matière, les niveaux annuels d’immigration totale au Canada pourraient monter jusqu’à 500 000 personnes par année, ce qui se traduirait par un influx migratoire égal à 1,3 pourcent de la population canadienne, par année. Cela signifierait que la population canadienne s’accroîtrait au rythme de 13 pourcent à tous les dix ans, un rythme d’accroissement inédit dans un pays industrialisé. Avec la politique actuelle d’immigration super massive, la population canadienne pourrait doubler tous les 45 ans. 

Le gouvernement canadien devrait expliquer pourquoi la politique d’immigration du gouvernement libéral fédéral est la plus massive de tous les pays industrialisés, et va en s’accroissant plutôt que de s’adapter à la situation économique du pays.

Selon Statistique Canada, en 2021, compte tenu des hauts niveaux annuels d’immigration enregistrés au cours des dernières années, le pourcentage de la population née à l’étranger par rapport à la population canadienne totale devrait atteindre 24,5 pourcent.

On peut aussi observer une grande transformation prévue dans l’origine des immigrants au Canada. Statistique Canada a évalué qu’en 2036, la proportion des immigrants nés en Asie pourrait atteindre autour de 56 pourcent des nouveaux immigrants, une hausse par rapport à la proportion de 44,8 pourcent observée en 2011. 

À l’inverse, seulement autour de 16 pourcent des nouveaux immigrants viendraient de l’Europe, alors que ce pourcentage était de 31,6 pourcent en 2011, une baisse de moitié. — Cela pourrait ressembler, à s’y méprendre, à une politique de remplacement de population.1

Il faut bien comprendre que les besoins de main-d’œuvre ne sont nullement les mêmes quand une économie est dans une situation de libre échange, comme c’est le cas de l’économie canadienne depuis 1988. Pour l’économie canadienne, l’accès à l’énorme marché américain devient un substitut profitable à une politique douanière protectionniste et au besoin d’élargir rapidement le marché intérieur. La croissance économique est alors davantage tributaire des exportations et des gains de productivité que sur une immigration massive. Seule une immigration ciblée en fonction des compétences s’impose alors, en fonction des besoins spécifiques d’industries en expansion.

Il est possible d’identifier trois groupes d’intervenants qui argumentent fortement pour des niveaux d’immigration toujours plus élevés.

a-) L’industrie professionnelle de l’immigration. 

b-) Les industries à faible productivité et à bas salaires en concurrence avec les importations et l’industrie de la construction.

c-) Les partis politiques qui ont besoin d’appuis extérieurs pour s’assurer une réussite partisane.

La politique canadienne d’immigration super massive et de remplacement de population ne vise pas seulement à faire venir des travailleurs pour combler l’offre de main-d’œuvre. Elle vise aussi à faire venir des personnes dépendantes, conjoints, enfants, grands-parents âgés, etc., en vertu des programmes de réunification des familles d’immigrants et d’incitatifs aux investisseurs étrangers.

Ces catégories d’immigrants dépendants viennent gonfler la demande de main-d’œuvre en créant une demande de biens et de services, ce qui est de nature à empirer une pénurie de main-d‘œuvre. En effet, une politique d’immigration super massive au-delà de l’accroissement naturel de la population accroit les besoins d’infrastructures de toutes sortes (écoles, hôpitaux, logements, routes, développement urbains, etc.), mais aussi dans la prestation de services tant personnels que publics. 

Considérons le cas d’un nouveau travailleur immigré qui est accompagné de son épouse et de deux enfants. Supposons aussi que les deux époux se prévalent du programme de réunification des familles pour faire venir chacun leurs deux parents. Le Canada se retrouve alors avec huit consommateurs additionnels, dont seulement un, ou au plus deux, travaille.

La demande et les prix pour les logements seront en hausse, et les familles à faible revenu sont les premières victimes. L’explosion, ces dernières années, dans les prix des logements à Toronto et à Vancouver, et de plus en plus à Montréal, en est la preuve.

De plus, quand le phénomène se reproduit à haute échelle, il faudra prévoir embaucher davantage d’enseignants pour les enfants et d’avantage d’infirmières pour soigner les personnes âgées nouvellement arrivées. La demande d’autres produits et services se trouvera aussi accrue, tels les besoins en allocations gouvernementales de toutes sortes.

Ce sera comme une spirale sans fin: Plus on augmente l’immigration non ciblée, plus une pénurie artificielle de main-d’œuvre apparaît, et plus il faut augmenter les cibles d’immigration, et ainsi de suite ! 

Conclusion

La politique d’immigration super massive et de remplacement de population du gouvernement de Justin Trudeau vise à effacer la réalité historique que le Canada a été fondé par deux peuples fondateurs, les Français et les Anglais.

Au plan économique, c’est aussi une politique qui dépasse de beaucoup les besoins réels de l’économie canadienne. Elle est même susceptible plutôt de créer des pénuries de main-d’œuvre dans de nombreux domaines.

Les arguments économiques invoqués pour appliquer une telle politique d’immigration de masse, dans le contexte économique actuel de pandémie, de chômage et de ralentissement économique, sont très faibles et même, en certains cas, fallacieux et contre-productifs. Cette politique semble reposer avant tout sur des motifs idéologiques et politiques plutôt que sur des arguments économiques solides.

Idéalement, le gouvernement canadien devrait tenir un référendum national sur cette question vitale. Cela permettrait d’éclairer et de débattre ouvertement de toutes les facettes de la question. À défaut de cela, il serait quand même du devoir des partis politiques de prendre position clairement sur ces enjeux qui engagent l’avenir.

Rodrigue Tremblay

Pour plus de détails, voir le site de l’auteur :

http://rodriguetremblay.blogspot.com/

Rodrigue Tremblay, professeur émérite de sciences économiques à l’Université de Montréal et ancien ministre


Source : Lire l'article complet par Mondialisation.ca

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