Pourquoi la Syrie ne riposte pas aux attaques israéliennes ? La réponse de Nasrallah

Pourquoi la Syrie ne riposte pas aux attaques israéliennes ? La réponse de Nasrallah

Interview du Secrétaire Général du Hezbollah, Sayed Hassan Nasrallah, le 26 mai 2020, à l’occasion de la commémoration du 20e anniversaire de la Libération du Sud-Liban.

Transcription :

Hassan Nasrallah : […] « Lorsque (en février 2014) Israël nous a frappés à Janta, à la frontière syro-libanaise, ils espéraient changer les règles d’engagement, pensant que s’ils nous frappaient dans une zone frontalière, nous ne serions pas tenus de riposter. Nous avons riposté (en frappant une patrouille israélienne le mois suivant) dans les fermes de Chebaa (territoire libanais occupé). Lorsqu’il y a eu la (tentative avortée) d’attaque de drones israéliens dans la banlieue sud de Beyrouth (en aôut 2019), j’ai dit que nous riposterions hors des fermes de Chebaa, ce qui ne signifiait pas stricto sensu que nous nous interdisions d’y riposter, mais c’était une indication claire que dorénavant, aucun point de la frontière entre le Liban et la Palestine occupée ne serait à l’abri de notre riposte, et que nous pouvions frapper n’importe où.  Auparavant, Israël était habitué à ce qu’on frappe toujours dans les fermes de Chebaa, et tout le reste de la frontière, toutes les colonies étaient en sécurité. Mais j’ai voulu adresser ce message clair : lorsque vous nous attaquez, aucun point de votre frontière (usurpée) ne sera en sécurité. Depuis, Israël est vigilant, et c’est pourquoi il n’y a pas eu de frappes au Liban. Personne ne se demande pourquoi ? Tous ceux qui ont hâte de se débarrasser des armes de la Résistance, qu’ils nous expliquent pourquoi Israël a frappé le Liban quand bon lui semblait de 1948 à 2000, puis a subitement stoppé, à l’exception de la guerre de 2006 ? C’est grâce aux équations de dissuasion imposées par la Résistance. Israël sait bien qu’une riposte serait inévitable. C’est l’une des règles d’engagement.

Israël cherche donc un autre moyen (de nous frapper). Ce qui s’est passé avec les drones dans la banlieue sud de Beyrouth, c’était une tentative israélienne de réaliser une attaque sans laisser d’empreintes. Ils ont été découverts parce que l’opération a échoué, mais le but était de frapper sans laisser d’empreintes. Car Israël sait bien que s’il laisse des empreintes, il doit s’attendre assurément à une riposte de la Résistance, et il sait bien ce que ça implique. Même lors de la découverte des tunnels (entre le Liban et la Palestine occupée), Israël a envoyé au Liban par trois biais différents —via l’Egypte, via Chypre et via la FINUL, soit trois canaux— un message disant qu’il ne voulait que découvrir les tunnels, et qu’il ne ferait rien de plus, afin que nous restions calmes et que nous ne ripostions pas. Israël comprend bien que le Liban est un front très sensible, et cette équation (de dissuasion) est toujours valable. Voilà ce qui protège le Liban : c’est la Résistance.

En ce qui concerne la Syrie, il faut se rappeler qu’au début, Israël n’a frappé personne —ni nous, ni les Syriens, ni les Iraniens, ni les autres mouvements de Résistance. Israël a laissé les événements se propager en Syrie, et se contentait de soutenir les groupes (terroristes) armés. Je ne dis pas que toute l’opposition syrienne travaillait avec Israël, mais il ne fait aucun doute que de nombreux groupes armés avaient des liens et se coordonnaient directement avec Israël sur les plans logistique, sécuritaire, du renseignement, jusqu’à l’approvisionnement et le financement, etc. Israël espérait que le régime s’écroulerait et que l’armée syrienne serait disloquée, et que l’Iran, se voyant incapable de faire quoi que ce soit, quitterait la Syrie, de même que le Hezbollah, car la situation serait irrémédiablement perdue. Voilà ce qui s’est passé durant les premières années. 

Quand est-ce qu’Israël a commencé à intervenir directement ? Je dis toujours qu’il faut considérer les situations de manière globale, et ne pas se contenter du point de vue israélien. Il faut aussi voir l’autre côté. L’intervention israélienne en Syrie est une preuve de la victoire de la Syrie et de la victoire de l’Axe de la Résistance en Syrie. Car si Israël avait encore eu espoir que les groupes armées & takfiris qu’il soutenait, finançait et couvrait avaient une chance de l’emporter en Syrie, il n’aurait pas eu besoin d’entrer sur scène.

Journaliste : Mais cela n’a-t-il pas entraîné un déséquilibre de la dissuasion (au profit d’Israël, qui frappe la Syrie impunément) ?

Hassan Nasrallah : J’y viens, j’explique les choses pas à pas. Lorsqu’on lit les dernières déclarations des dirigeants israéliens, lorsqu’on leur demande pourquoi ils sont intervenus en Syrie, ils répondent que c’est parce qu’ils ont pris conscience que (les groupes terroristes) ne l’emporteraient pas. Israël a compris que c’est nous qui allions l’emporter en Syrie, que l’armée syrienne était en train de retrouver sa santé et sa force, que la présence de l’Iran et des factions de la Résistance en Syrie s’enracinait. Les groupes takfiris qui occupaient la partie syrienne du Golan ont été évacués, et le Golan est un sujet très sensible pour Israël… Il ne supporte même pas que quiconque y prenne des photos ! Cela indique bien sa faiblesse. Le fait qu’Israël ne tolère pas que quiconque prenne des photos de positions dans le Golan, [pas même les habitants du Golan occupé], est un signe de faiblesse et non de force. Voyant que la Syrie triomphait et se relevait, et qu’il n’y avait plus d’espoir de victoire des groupes armés, Israël s’est résolu à frapper des positions ici ou là, à s’efforcer d’entraver le transfert d’armes de la Syrie au Liban —tout le monde sait bien que nos missiles ne tombent pas du ciel, et que le rôle historique de la Syrie a été d’armer la Résistance libanaise et palestinienne. 

Même dans l’opération récente d’Israël, lorsqu’ils ont frappé une de nos voitures à la frontière syro-libanaise…

Journaliste : Et vous avez riposté (par une incursion en territoire israélien).

Même si les « excuses » d’Israël sont pitoyables et n’empêcheront en rien une riposte meurtrière suite à la mort de deux combattants du Hezbollah dans une frappe israélienne en août dernier (voir Pour mettre fin à une guerre des nerfs insoutenable, Israël implore le Hezbollah de riposter), il faut souligner que l’entité sioniste fait tout ce qu’elle peut pour éviter de toucher des membres du Hezbollah en Syrie —et par conséquent de tuer qui que ce soit—, allant jusqu’à les avertir avant de cibler un véhicule, comme on le voit dans cette vidéo datant du mois d’avril dernier.

Hassan Nasrallah : Je ne dis pas que nous avons riposté, et je ne dis pas que nous n’avons pas riposté. Israël était tout à fait capable de tuer nos combattants, ce n’est pas une erreur de sa part. Il a fait un tir d’avertissement, ou a donné un avertissement, afin que les combattants quittent le véhicule, puis il l’a frappé. Pourquoi ne voulait-il pas tuer ces jeunes (combattants) ? Car il y a une équation claire : si Israël tue l’un de nos combattants, que ce soit au Liban ou en Syrie, nous riposterons. Cette équation a été prouvée dans les faits (maintes fois). C’est pour cela que lorsque, en même temps que l’incident des drones israéliens dans la banlieue sud de Beyrouth, deux de nos combattants ont été tués (par Israël) en Syrie, les Israéliens ont évacué la frontière sur 7 kilomètres, sur toute la frontière. Ils sont restés comme ça, se tenant debouts sur une jambe et demi (prêts à prendre la fuite), pendant 7 jours, et si nous n’avions pas frappé ce véhicule, ils auraient pu rester comme ça 14 jours, un mois ou deux mois entiers. Cela fait partie des règles d’engagement. Jusqu’à présent, quand Israël frappe (en Syrie), il s’efforce de ne tuer personne, car il craint d’arriver à un point ou les dirigeants syriens, ou ceux de la Résistance, ne pourront plus supporter ces frappes. Même dans cette bataille, Israël n’a pas carte blanche (et sait que la situation peut exploser à tout instant).

Peut-être que quelqu’un rétorquera qu’Israël frappe (souvent la Syrie) et que l’Axe de la Résistance ne riposte pas, et que nous devrions imposer un équilibre de dissuasion en Syrie. Je vais être très franc. Cette question est discutée et débattue en permanence. Les dirigeants syriens sont ceux qui ont le dernier mot, car la décision leur appartient, même si la bataille nous concerne tous, et que nous sommes tous ciblés. Il y a parfois l’impression que le but d’Israël est l’escalade, et qu’ils veulent pousser la situation à une guerre ouverte contre la Syrie. La Syrie est (prise en étau) entre deux priorités : d’une part, la bataille à l’intérieur n’est pas terminée, les groupes terroristes et takfiris étant toujours présents et guettent la moindre occasion de remonter en puissance ; d’autre part, l’escalade vers une guerre entre la Syrie et Israël serait contraire à l’objectif premier (d’en finir avec les terroristes). La Syrie a encore besoin de temps. Permettez-moi de bien expliquer ce point, car il y a beaucoup de personnes qui nous critiquent, disant qu’Israël frappe la Syrie et que la Syrie ne fait rien. Je ne sais pas jusqu’à quel point les dirigeants syriens peuvent tolérer ces frappes, et il y a un seuil qui, une fois franchi, entraînerait une riposte (inévitable, sans crainte d’escalade), mais jusqu’à présent, ils considèrent qu’Israël intervient pour protéger les groupes armés et changer les équations en leur faveur, et entrainer la Syrie à une guerre régionale ; et il n’est pas dans l’intérêt de la Syrie, qui mène une guerre mondiale contre le terrorisme, de se laisser entrainer à une guerre contre Israël, si bien que ce qu’il faut, c’est endurer patiemment. C’est ce que nous appelons la patience stratégique. Mais dans le cadre de cette (politique de) patience et de cette endurance, il y a certaines règles qui restent valables et qui sont respectées par Israël et par nous, et de toute façon, Israël n’atteint aucun objectif par ses frappes : ils n’ont pas interrompu le transfert (de missiles), et ils le reconnaissent eux-mêmes ; ils ne sont pas parvenus à expulser les Iraniens de Syrie, et ils n’y arriveront jamais, et il en va de même pour le Hezbollah ; et ils ne sont pas parvenus à affaiblir l’armée syrienne, qui continue à se renforcer. Nous pouvons faire échouer les objectifs de ces attaques israéliennes sans en arriver à une guerre régionale, qui ne serait pas dans l’intérêt de la Syrie, du moins pas à l’étape actuelle.

Rappelons qu’en plus d’avoir abattu un avion israélien en février 2018, en mai 2018, la Syrie a riposté en lançant plusieurs salves de missiles contre Israël, qui s’est empressé de demander une trêve : voir La Syrie impose de nouvelles règles de confrontation à Israël

Le danger, et j’avertis toujours Israël à ce sujet, c’est que la patience a des limites. La capacité d’endurance a des limites. Les dirigeants syriens, et la situation en Syrie en général peuvent absorber certaines agressions et y remédier dans le cadre de cette vision (de patience stratégique), mais peut-être qu’Israël commettra une erreur ou une bourde qui épuisera cette patience. Israël est en plein aventurisme. Israël n’a pas d’intérêt à entrer en guerre régionale, et il est très vigilant à cet égard.

Journaliste : Mais certains analystes disent qu’Israël a fait le choix des attaques ponctuelles même si cela doit mener à la guerre.

Hassan Nasrallah : C’est plus de la guerre psychologique qu’une description (fidèle) de la réalité.

Voir Nasrallah : l’armée israélienne est devenue une armée hollywoodienne

Journaliste : Concernant votre opération (une triple infiltration dans le territoire israélien suite à la destruction du véhicule du Hezbollah en Syrie), le Hezbollah n’a pas annoncé qu’il avait riposté. Mais pourquoi avez-vous riposté alors qu’il n’y avait pas eu de martyrs de la Résistance. L’équation ne dit-elle pas que vous ne ripostez que si vos combattants sont touchés ? Quel était votre cible ?

Hassan Nasrallah : Le Hezbollah n’a pas fait de communiqué à ce sujet, et je m’abstiens donc de tout commentaire. (La politique du Hezbollah est de revendiquer la majorité de ses opérations, mais de laisser le doute subsister pour d’autres ; rappelons qu’Israël ne revendique presque jamais ses propres opérations, ce qui est un aveu de faiblesse). […]

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À propos de l'auteur Le Cri des Peuples

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