Tunisie-Ben Ali 2/2 : L’épouvantail est mort, sans le moindre regret

1- L’ahurissant entretien de Zine El Abidine Ben Ali avec le journaliste Omar Sabahou.

Un jour, à la fin du mois de décembre 1984, le journaliste tunisien Omar Sabahou s’est entretenu avec le général Zine el Abidine Ben Ali, de retour de Varsovie au terme de sa mission de quatre ans comme ambassadeur de Tunisie en Pologne.

Ben Ali venait d’être nommé par le président Habib Bourguiba responsable de l’appareil sécuritaire tunisien.

Omar Sabahou: Comment se présente la situation en Pologne?
Ben Ali, laconique: Rien à signaler. Rien ne se passe là-bas?
Le journaliste s’étonne de cette réponse lapidaire et interpelle le général: «Mais c’est chaud ce qui se passe en Pologne».
Ben Ali répond en souriant: «Rien de chaud ne se passe en Pologne à l’exception des femmes polonaises».

Le journaliste acquiesça un sourire. Il avait d’emblée saisi la nature du passe temps favori de l’ambassadeur de Tunisie à Varsovie, alors que la Pologne était secouée d’une contestation populaire de grande ampleur menée par le mouvement Solidarnosc.

Imperceptiblement, la conversation dériva vers la prostitution en Europe Orientale. Recentrant la conversation sur le politique, le journaliste demande alors à Ben Ali si le mouvement ouvrier polonais conservera sa vigueur.

Ben Ali lui confesse alors son admiration pour le général Wojciech Witold Jaruzelski, dernier dirigeant du régime communiste polonais, décédé le 25 Mai 2014 à Varsovie.

«Ah, son coup de filet à l’encontre des amis de Lech Walesa, le dirigeant du syndicat Solidarnosc. D’un seul coup, en une nuit, tous en prison», confia le général, admiratif.

Ben Ali était un geôlier à l’état pur. Il ne disposait d’aucune autre qualification. les circonstances lui ont conféré des responsabilités qui excédaient ses capacités. Il est ainsi devenu le geôlier de tout un pays, la Tunisie.

Lors des manifestations populaires qui se sont déployés le 11 janvier 2011, devant le ministère de l’intérieur à Tunis, et qui ont abouti à son éviction du pouvoir, l’unique photo qui a retenu l’attention des manifestants est celle d’un jeune homme portant une cage recouverte du drapeau tunisien. Devenue emblématique, l’image a marqué l’imagination de la foule.

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2 – Habib Bourguiba et sa méfiance à l’égard des militaires.

Habib Bourguiba, le père de l’indépendance tunisienne, n’appréciait guère les militaires. Il nourrissait à leur égard une véritable méfiance, voire même une détestation depuis qu’il avait déjoué en Décembre 1982 une tentative de coup d’état ourdie contre sa personne par le chef de sa propre garde présidentielle.

Ce gradé, le capitaine Kabir Al Mehrezi, avait révélé à un groupe d’officiers impliqué dans la conjuration le mot de passe qui devait leur permettre d’accéder au palais présidentiel, sans le moindre contrôle.

Les conjurés se proposaient de pénétrer dans les appartements présidentiels en vue d’assassiner Habib Bourguiba dans son sommeil, en représailles à la répression qu’il avait ordonnée contre des manifestants à Bizerte peu de temps auparavant.

Le complot a été déjoué par un délateur. Depuis lors, Bourguiba ne supportait plus la vue d’un général étoilé. En trente ans de règne, le «combattant suprême» n’a jamais confié la moindre responsabilité politique à un militaire… A l’exception précisément du général Zine el Abidine Ben Ali.

Ben Ali a été nommé ministre de l’intérieur, puis le 2 novembre 1987, premier ministre. Une décision fatale qui débouchera sur le fameux «coup d’état médical» contre Bourguiba et au dégagement de la scène publique du «père de l’indépendance tunisienne».

Peu de temps après la nomination de Ben Ali à la tête du gouvernement tunisien, Bourguiba apprenait par la voix des ondes sa destitution. Humilié et vaincu, il sera dégagé par sa propre garde du Palais de Carthage et dirigé vers son domicile à Monastir, qui deviendra sa grande prison jusqu’à la fin de sa vie.

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3 -Saïda Sassi et la propulsion de Ben Ali, un homme d’une grande fourberie

Ben Ali n’était pas doté d’intelligence, mais d’une grande fourberie. Un homme de grande tromperie et menteur, redevable de sa promotion politique à Saïda Sassi, la propre nièce de Habib Bourguiba, la «Première Dame bis», sous la mandature du premier président de la Tunisie indépendante.

Fille de la sœur de Bougiba, Saida a convaincu son oncle maternel des qualités du Général Ben Ali. «Un véritable lion qui sauvera la Tunisie des griffes des Islamistes malfaisants», soutenait-elle.

Bourguiba a mordu à l’appât et s’est finalement persuadé que Ben Ali était l’homme de la situation. Pire, l’ensemble du peuple tunisien a cru aux promesses contenues dans la proclamation du putschiste du 7 novembre 1987.

Les Tunisiens ont cru, naïvement, que l’homme qui avait pourtant trahi son président et bienfaiteur, n’allait pas trahir ses promesses, et veillera aux intérêts de la nation. Au point que la popularité de Ben Ali, la première année de son mandat, avait atteint un record inégalé.

Les pauvres le percevaient comme un sauveur lorsqu’ils le voyaient débarquaient du ciel de son hélicoptère, déambulant dans leurs villages que nul responsable tunisien n’avait visité auparavant

Les Islamistes se félicitaient de sa venue, lui, qui les avait libéré du cauchemar Bourguiba et de la perspective de leur pendaison.

Les Libéraux pensaient que bien que militaire, il était un libéral, réformiste, qui tiendra ses promesses et aménagera de nouvelles bases de la vie politique. Les femmes, enfin, ont considéré que Ben Ali était de bon augure en s’engageant de protéger leurs acquis.

En 24 ans de dictature, tous ont fini par déchanter. Atteinte d’Alzheimer, Saïda Sassi, elle, est décédée en 2007, à 86 ans, dans l’indifférence quasi générale de la population tunisienne.

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4 – Leila Trabelsi et la voracité du clan Traboulsi

Leila Trabelsi a été l’unique femme que «Zine» a véritablement aimé. Du premier regard. Elle a demandé à le rencontrer pour se plaindre de son mari…. Très rapidement, NISRINE, fruit de cet amour illégitime, vit le jour.

Progressivement la belle amante a réussi à conquérir le cœur de l’homme âgé, son aîné de 20 ans.

Le président souhaitait ardemment un héritier mâle qui lui survive. Leila informa un jour son amant qu’elle portait dans ses entrailles les fruits de leur amour, un enfant. Fou de joie, Ben Ali en perdit la raison. Il divorça de sa femme et épousa aussitôt Leila, qui accoucha, contre toutes les attentes présidentielles, …. d’une fille, que Ben Ali prénomma Halima par référence à sa propre mère.

Leila ne désespéra pas pour autant. Elle multiplia les tentatives jusqu’au jour où l’héritier tant attendu vit le jour. Fou de joie, le père, qui avait alors atteint 68 ans, fut pour son fils, à la fois, un papa gâteau, un paga gaga, un papa gâteux.

Zine Al Abidine JR a été la personne que le président tunisien aima le plus au monde. Il veillait à le nourrir personnellement, à l’amuser, le promener. Il lui consacra l’essentiel de son temps, négligeant quelque peu sa fonction présidentielles, les obligations découlant de sa charge et de ses responsabilités.

Son emprise sur le pays qu’il tenait d’une main de fer, se relâcha. Pis il abandonna les rênes du pouvoir à Leila et au clan familial de son épouse, le clan Trabelsi, qui mit alors le pays en coupe réglée.

La Tunisie devint alors invivable: la corruption gangrénait la vie publique, la pauvreté se généralisait à grande vitesse, le pillage opéré par le clan Trabelsi devint systématique, atteignant un niveau insupportable.

Ben Ali n’était plus craint. Les jeunes digitalistes de la société informelle tunisienne lui forgèrent un sobriquet «ZA’AB’A’A», constitué par les premières lettres de son nom Z.B.A, mais qui signifie paradoxalement, heureux hasard, croquemitaine.

Soudain, un jour de l’hiver 2011, un jeune marchand de fruits et légumes, Mohamad Bouazizi, s’immola par le feu en signe de protestation contre la pauvreté et l’humiliation. Étincelle qui déclencha la séquence dite du «printemps arabe», son immolation se propagea à tout le pays, embrasant le dictateur déjà consumé dans la mémoire du peuple. ZA’A’B’AA, l’épouvantail est mort sans regret.

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Deux papiers à soumettre à l(‘attention des lecteurs de madaniya.info en en guise de piqure de rappel pour les nouveaux adhérents au site.

Suite à une réflexion d’un lecteur me reprochant d’occulter le rôle de Rached Ghannouchi (An Nahda) en Tunisie, je soumets à son attention les observations suivantes : Il est rare que l’on me prenne en défaut en matière de déontologie journalistique. Pour ne pas dire, jamais. Il convient de bien lire le passage suivant concernant Ghannouchi. Sans concession. Un texte écrit tout de même à l’apogée d’An Nahda en Tunsie et la montée en puissance des Frères Musulmans dans le Monde arabe. Je ne cours pas après la victoire. Il m’arrive souvent d’aller à contre courant de la pensée dominante.

Pour aller plus loin sur la Tunisie sous la mandature de Ben Ali

Source: Lire l'article complet de Les 7 du Québec

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