« Opération Atrina-2 » : la menace fantôme

« Opération Atrina-2 » : la menace fantôme

par Igor Delanoë.

La marine russe devra-t-elle faire face à un déploiement permanent de sous-marins nucléaires de l’OTAN en Norvège ? Fin août, l’USS Seawolf – unité tête de série des derniers nés de la sous-marinade atomique américaine – faisait en effet surface dans un fjord norvégien. Sa présence intervient sur fond de discussions concernant le déploiement rotationnel possible de sous-marins nucléaires de l’Alliance sur une base septentrionale en Norvège. L’objectif : repérer et prendre en chasse le plus tôt possible les sous-marins nucléaires russes de la flotte du Nord dès la sortie de leurs bases de la péninsule de Kola. Il s’agit là d’un volet de la réponse que pourrait apporter les États-Unis à l’accroissement de l’activité navale russe dans l’Atlantique Nord qui suscite de vives inquiétudes au sein de l’Alliance. A cet égard, une opération sous-marine russe de grande ampleur serait intervenue en octobre 2019 dans l’Atlantique Nord, alarmant un peu plus des décideurs otaniens sur la résurgence des capacités de projection en profondeur de la flotte du Nord. S’inspirant dans les grandes lignes de l’opération Atrina réalisée en 1987 par l’URSS, cette nouvelle opération a rapidement été baptisée Atrina-2 par les observateurs de la marine russe.

« La plus importante opération sous-marine depuis la fin de la Guerre froide »

Fin octobre 2019, la presse norvégienne relayait des informations s’appuyant sur des sources au sein des services de renseignement du pays selon lesquelles 8 sous-marins nucléaires et 2 sous-marins diesels de la flotte du Nord avaient soudainement quitté leurs bases de la péninsule de Kola et mis le cap sur l’Atlantique Nord. Leur objectif aurait été d’aller le plus loin possible en direction des côtes américaines sans être repérés, leurrer et contourner la barrière de SOSUS (réseau d’antennes actives pour le repérage acoustique des sous-marins soviétiques, développé dans les années 1960 et posé par les États-Unis sur le fond de l’océan entre le Groenland et l’Écosse), et tester la réaction de l’OTAN face à ce type de manœuvre. A travers cette opération sous-marine, « la plus importante depuis l’époque de la Guerre froide » selon le renseignement norvégien, l’idée serait, en perçant la défense ASM otanienne, de démontrer l’inévitabilité de la présence russe le long des lignes stratégiques de communication dans l’Atlantique Nord, alors que l’OTAN s’engage dans la recomposition d’un Atlantic Command (dont les capacités opérationnelles ont depuis été reconnues par l’Alliance comme actives en septembre 2020). Pour le contexte, ce déploiement massif serait intervenu fin octobre 2019, quelques jours après l’exercice stratégique Grom (15-17 octobre) – le plus important de son genre depuis la chute de l’URSS, et dont Atrina 2 aurait pu être partie intégrante – et sur fond de rencontre entre le chef de la diplomatie russe Sergueï Lavrov avec son homologue norvégienne Ine Marie Eriksen Søreide le 25 octobre, à Kirkenes.

Retour sur l’opération Atrina (1987)

La flotte du Nord aurait-elle rejoué le scénario de l’opération Atrina réalisée en 1987 par l’URSS ? Imaginée par l’amiral Vladimir Tchernavin, alors tout juste promu commandant en chef des forces navales soviétiques – fonction pour la première fois occupée par un sous-marinier-, l’opération Atrina se déroule entre mars et mai 1987, 2 ans après une autre opération sous-marine analogue de grande ampleur : Aport.

L’amiral Tchernavin (source : TASS)

Tchernavine est aussi à la manœuvre pour l’opération Aport qu’il imagine et supervise en tant que numéro 2 de la flotte soviétique. Elle implique 5 sous-marins nucléaires d’attaque (SSN) appartenant à la 33e diviziya des sous-marins de la flotte du Nord : le K-147 (Projet 671), le K-488 (Projet 671RT) et le K-299, K-324 et K-502 (Projet 671RTM). Cette escadrille est assistée de 2 navires hydrographiques, Lira et Kolguev, à bord duquel se trouve le commandant de la 33e diviziya, le capitaine de 1er rang Anatoli Chevtchenko, qui sera par la suite amené à prendre part à Atrina. L’objectif de l’opération Aport est double : identifier les zones de patrouille des SNLE américains et détecter les nouvelles tactiques employées par les forces anti-sous-marines de l’OTAN. L’aire retenue pour l’exercice est une zone océanique située à 1 500 milles nautiques de Terre Neuve, dans l’Atlantique Nord.

Le Projet 671RTM (source : Topwar.ru)

À noter que le K-324 avait pris part à un déploiement en mer des Sargasses en 1983 qui avait mal tourné. En raison de la température de l’eau plus élevée, le SSN soviétique avait non seulement vu ses capacités de combat dégradées, mais des équipements de bord s’étaient révélés défectueux, ce qui avait conduit le submersibles à rentrer en collision avec un sonar remorqué des forces ASM américaines… Cette mésaventure ne fut pas totalement vaine car le câble de la bouée américaine s’était même pris dans l’hélice du SSN qui fut ensuite remorqué vers Cuba… et les morceaux de sonar attentivement étudiés par les ingénieurs navals soviétiques.

Le K-324 lors de son remorquage vers Cuba (source : Topwar.ru)

L’opération Atrina implique 5 SSN du tout récent Projet 671RTMK (type Victor III), des submersibles conçus pour la traque et la destruction des SNLE de l’OTAN : les K-244, K-298, K-299, K-524 et K-527 de la 33e Diviziya de la flotte du Nord. Tous ces sous-marins ont été admis au service actif au cours des années qui précédent Atrina, entre décembre 1977 et décembre 1985, et inspirent méfiance à l’OTAN qui considère qu’avec eux, la marine soviétique atteint une forme de parité qualitative avec les SSN otaniens. Les Soviétiques reconnaissent cependant que l’une des faiblesses de ces submersibles résidaient dans leur sonar, à la portée trop faible. Un dispositif assez compact embarqué à bord des bâtiments et ne nécessitant pas le démontage du sonar devait apporter une solution : le système RITsa.

Les objectifs d’Atrina sont relativement similaires à ceux d’Aport, sauf que :

– l’aire retenue pour le déploiement des sous-marins se situe 1 500 milles nautiques plus au sud, soit dans des eaux plus chaudes que celles dans lesquelles avaient évolués les SSN d’Aport.

– l’opération doit permettre l’emploi en conditions opérationnelles du nouveau sonar RITsa contre les forces ASM qui seront inévitablement déployées par les États-Unis au large de leurs côtes orientales et dans l’Atlantique Nord. Il est également prévu de provoquer ce type d’opération en mer de Norvège. Le système RITsa avait fait l’objet de tests dans les mois précédents l’opération Atrina, à bord du K-244.

– tous les submersibles mobilisés (contrairement à Aport) sont équipés du complexe de missiles Granat capable de mettre en œuvre des missiles de croisière 3M10. Autrement dit, ils rentrent dans une logique de dissuasion stratégique.

Doivent également prendre part à l’opération des appareils de lutte ASM Tu-142M basés à Cuba et sur la péninsule de Kola, le navire collecteur de renseignements Zakarpatié et le navire hydrographique Vaïgatch.

L’objectif est donc de surprendre les forces ASM de l’OTAN, manifestement habituées à voir les submersibles soviétiques emprunter des itinéraires relativement prévisibles à la sortie de leurs bases. Pour les besoins d’Atrina, l’amiral Tchernavin autorise les commandants de sous-marins impliqués – qui ignorent jusqu’au départ de la base les tenants et aboutissants de l’opération – à utiliser tout l’arsenal acoustique à leur disposition, y compris les leurres acoustiques actifs auto-propulsés.

Deux groupes tactiques sont formés :

– Groupe 1 : K-244, K-298 et K-299

– Groupe 2 : K-524 et K-527

Les submersibles appareillent de la base de Zapdnaya Litsa début mars. Après avoir contourné la péninsule scandinave, ils sont détectés par le SOSUS. A l’OTAN, on s’étonne qu’une escadrille entière de SSN appareille en même temps. La mission qui consiste à voir dans quelle mesure les sous-marins peuvent, une fois détectés, échapper aux forces ASM de l’OTAN débute alors. Manifestement, 4 des 5 SSN sont rapidement pris en chasse. L’emploi des leurres acoustiques actifs auto-propulsés semblent toutefois fonctionner : les Américains pensent traquer les Victor III jusqu’à l’entrée de la Méditerranée, alors qu’en réalité, les SSN font route vers la mer des Sargasses et la zone des Bermudes. Ils se positionnent à quelques dizaines de milles de la base navale britannique de Hamilton et mettent à portée de tir de leurs missiles de croisière la côte est américaine. L’US Navy envoie 6 sous-marins nucléaires de type Los Angeles depuis la base de Norfolk dans l’Atlantique, tandis que 3 escadrilles d’avions de lutte ASM décollent et 3 groupes otaniens de recherche et de destruction prennent la mer dans l’urgence. Au cours de cette opération, les Soviétiques se vantent d’avoir accroché un sous-marin américain à 40 milles de distance grâce au RITsa et de l’avoir traqué pendant 11 heures.

Si les SSN soviétiques sont au bout du compte repérés au bout de 8 jours, les objectifs de leurs missions sont cependant déclarés comme atteints dès le 5e jour de la mission. Les forces soviétiques ont pu étudier le schéma opérationnel de l’OTAN en matière de lutte ASM et tester avec succès le nouveau système hydroacoustique RITSa.

« Atrina-2 » : beaucoup de bruit pour rien ?

Si pour certains observateurs en Occident et en Russie Atrina-2 pourrait bien avoir été une réalité, il convient cependant de s’interroger sur l’intérêt pour la marine russe, si tant est qu’elle en ait les capacités, de réaliser une telle opération aujourd’hui. Atrina-2 serait en effet de nature à valider les craintes de l’OTAN quant à la menace sous-marine russe, ce qui politiquement n’est pas nécessairement un objectif souhaitable à moins de vouloir provoquer un déploiement plus musclé de l’Alliance dans les eaux du Nord. En outre, l’aéronavale russe ne dispose non seulement plus des bases à Cuba, mais elle se trouve dans un état de crise que nous avons déjà évoqué sur ce blog.

L’USS Seawolf près de Tromso, cet été. (Source : navy.mil)

Aujourd’hui, la flotte du Nord serait bien en peine de déployer une dizaine de SSN/SSGN en même temps. Il convient en effet de sortir de la réflexion les SNLE dont les missiles balistiques intercontinentaux peuvent atteindre le territoire américain sans être déployés jusque dans la mer des Sargasses. Si l’on prend la 11e Divizyia, qui est l’unité de rattachement du SSGN K-560 Severodvinsk (Projet 885 Yasen), et qui est celle qui dispose du taux de disponibilité le plus élevé de la flotte du Nord, alors ce sont 4 bâtiments que l’on peut retenir : les K-560, K-266 et K-410 (Projet 949A), et le SSN B-138 (Projet 671RTMK). Viendraient s’ajouter théoriquement 2 SSN de la 24e Diviziya (Projet 971) et encore 2 SSN de la 7e Diviziya (Projet 945). On retrouve donc les 8 sous-marins nucléaires évoqués par les Norvégiens, mais sous réserve que la flotte du Nord accepte le risque de se départir entièrement de ses SSN et SSGN et s’en remettent à sa sous-marinade de SSK (tout au plus 4 unités), en plus des capacités en surface, pour protéger les approches de la péninsule de Kola (mer de Barents, mer du Nord) ce qui reste très peu probable.

Le K-560 à quai. (Source : Warhead.su)

En outre, lorsque la 33e Diviziya engage l’opération Atrina, la moyenne d’âge de ses bâtiments est de 4,5 ans. Aujourd’hui, la moyenne d’âge des SSN et SSGN de la flotte du Nord tourne autour de 24 ans. Pour la composante aéronavale, les appareils de lutte ASM qui seraient alignés seraient les Tu-142M, soit la même plateforme que celle utilisée il y a 33 ans (avec certes des améliorations en matière d’équipements), secondés par quelques Il-38N. Enfin, la réalité du fonctionnement de la barrière SOSUS interroge, et recourir à des contre-mesures acoustiques serait dès lors contre-productif.

Autrement dit, il est peu probable qu’une opération de l’ampleur d’Atrina se soit déroulée il y a 1 an. Tout au plus, une manœuvre s’en rapprochant vaguement et impliquant le K-560 – qui fascine tant les marines occidentales – pourrait avoir été tentée. En revanche, on ne peut exclure que, à l’horizon de la fin de la décennie, une fois qu’une escadrille de Yasen/Yasen-M aura été composée, une opération Atrina-2 se déroule, si tant est que le contexte stratégique s’y prête. Elle répondrait qui plus est à la posture de dissuasion stratégique non-nucléaire qui s’appuie sur la composante missiles de croisière que l’on retrouve disséminés de plus en plus sur les nouvelles plateformes et utilisés lors d’exercice à vocation stratégique (Grom).

source : http://www.rusnavyintelligence.com

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