La ploutocratie occidentale a-t-elle raison de mépriser le peuple?

La ploutocratie occidentale a-t-elle raison de mépriser le peuple?

Le président LR du département du Loir-et-Cher, Nicolas Perruchot, a été enregistré à son insu lors d’une réunion des élus de sa majorité. Florilège :

« Ne l’oubliez jamais quand vous allez refaire campagne, la plupart des gens, pardonnez-moi, sont cons. Une très grande majorité, au moins 80%, pas 30. Sachez-le, ils sont d’un niveau éducatif très moyen, et de plus en plus moyen, et malheureusement ils sont bêtes. »

« Nous avons, nous, une information qu’il faut essayer de donner de la manière la plus simple ou simpliste possible. Moi, je le dis souvent, n’oubliez pas qu’on s’adresse à des CE1 ou des CE2, quoi ».

Nicolas Perruchot, a été immédiatement unanimement condamné sur les plateaux de TV par ses pairs. Dans leur indignation, certains l’ont même traité de con. C’est bien vrai que Perruchot est con d’avoir dit tout haut ce que presque tous les nantis et autres privilégiés pensent mais se gardent bien de dire, vu que leur fonds de commerce dépend de la connerie des gens. La ploutocratie parasitaire croit, avec Goebbels, que sa prospérité repose sur la destruction de toute velléité, de toute capacité de penser chez le petit peuple.

Goebbels et la Novlangue
C’est Jean-Paul Fitoussi, interviewé par Xerfi canal, qui nous le rappelle opportunément : « Goebbels disait : Je ne veux pas que vous pensiez comme moi, je veux réduire le langage de façon à ce que vous ne pensez que comme moi ». Cette réduction du langage, que Fitoussi appelle la Novlangue, est la norme aujourd’hui. Il raconte, avec un demi-sourire désabusé, comment il en a pris conscience, il y a une dizaine d’années, lorsque le présentateur d’une émission de TV à laquelle il allait participer, lui a dit : « Surtout soyez simple ! Ils ne comprennent pas ! » Sur le moment il a pensé : « Ils prennent les gens pour des cons ! » Puis il a pensé à Goebbels : appauvrir le langage, c’est appauvrir la pensée…

Réduire et détourner le langage, vecteur de la pensée, sont les deux mamelles de la propagande. On sait maintenant que lorsqu’un pouvoir brandit un étendard, c’est pour faire tout le contraire. Jean-Paul Fitoussi l’explique à propos de la réforme des retraites : « qui fait miroiter l’égalité pour entériner la plus grande des inégalités, qui est l’inégalité devant la mort. On dit : pour chaque euro cotisé on aura la même retraite, mais en réalité on ne meurt pas au même âge. Et donc, avoir le même rendement par euro cotisé est d’une injustice absolue, selon que vous vivez 65 ans ou 80 ans. On se moque du monde ! »

Il en est de même des sacro-saints droits humains et autres valeurs démocratiques et sociétales, dont on se gargarise sur les plateaux de TV, et qui, dans la vraie vie, servent à cautionner les plus grands crimes et les pires injustices.

Des mots et des actes

Partout, en Occident, les mots ont remplacé les actes, le réel. Le social qui exigeait des actes concrets a été remplacé par le sociétal qui se satisfait de belles promesses. Le féminisme, par exemple, bien qu’hégémonique, n’a même pas réussi à obtenir que les femmes soient payées au même tarif que les hommes. La situation des femmes a même empiré. Le combat contre les inégalités de genre se réduit aux violences faîtes aux femmes. Ça ne remet pas le système capitaliste en question, ça ne coûte rien et ça fait de l’effet.

Paradoxe des paradoxes, mais la vie est faite de paradoxes, ces mêmes mots qui ne veulent plus rien dire quand ils sortent de la bouche des puissants, sont maintenant réprimés et sanctionnés, plus que les actes mêmes, quand ils sortent de la bouche des gens qui n’ont pas de fortune, ni de réseaux.

Ainsi, le racisme est considéré comme un des plus grands crimes de notre époque. Pire que le viol ou la pédophilie ! La preuve, DSK poursuit une carrière tout à fait convenable : « À la tête de la société Parnasse international, un cabinet de conseil basé au Maroc, il a réalisé près de 21 millions d’euros de bénéfices en cinq ans, indiquait récemment le magazine L’Obs. Une somme exonérée d’impôts grâce à son installation dans la zone franche de Casablanca. Matzneff vient tout juste de se voir privé des aides d’état qui lui ont permis jusqu’ici de se vanter, dans de médiocres romans, de ses exploits pédophiles. Et Polanski jouit de tous les honneurs en France où il s’est réfugié pour échapper à la justice de son pays après avoir violé de manière ignoble une gamine de 13 ans. Il a reçu un Oscar l’année dernière et est toujours membre des Césars. On a assisté dernièrement à l’apothéose du simulacre sociétal lorsque la pseudo-féministe Caroline Fourest est venue défendre le pédéraste Polanski à la TV, devant un Gérard Miller passablement choqué, dans une alliance contre-nature dictée par de simples intérêts de classe (elle est aussi membre des Césars).

Par contre, Gallieno, qui n’a jamais violé personne mais a proféré des injures raciales et antisémites en état d’ivresse, a été irrémédiablement détruit, tout comme Dieudonné, Soral, Garaudy et tant d’autres, accusés à tort ou à raison de ce délit verbal.

Un racisme de classe ?

Tout excès, toute disproportion doit interroger. Les réactions excessives sont toujours le signe d’un dysfonctionnement. On va peut-être m’accuser de faire de la psychologie de bazar, mais, je l’ai constaté personnellement, on a tous tendance à ne pas tolérer, chez les autres, le reflet de nos tares et perversions, surtout quand elles sont inconscientes. Il me semble que si la ploutocratie capitaliste réprime avec la dernière violence le racisme ordinaire, c’est en partie parce qu’il existe dans les hautes sphères, un racisme bien-pensant, un racisme de classe. La sortie de Perruchot, après d’innombrables autres* en témoigne et si personne sur le plateau ne le pointe, c’est parce qu’ils le partagent tous. Ils croient tous qu’ils sont là parce qu’ils le méritent, parce que, quelque part, ils valent mieux que les autres, leur sont intrinsèquement supérieurs. Alors que nous avons compris depuis longtemps que, s’ils sont là, c’est juste parce qu’ils promeuvent la Pensée unique, qui est au cœur de la propagande du système qui nous régit, soit qu’ils y aient intérêt, soit qu’ils acceptent de le faire moyennant des avantages et de privilèges.

Leur racisme n’a pas la même origine que le racisme ordinaire, souvent issu de la peur ou de la méconnaissance de l’autre. Le racisme de classe est plutôt l’héritier du racisme scientifique des planteurs de coton et des colons. Le système capitaliste a évolué. Il ne repose plus sur l’esclavage des noirs comme aux Etats-Unis, ou l’exploitation des pays vaincus comme au bon vieux temps de la colonisation.

Aujourd’hui, comme l’explique Xavier Ricard Lanata « les forces capitalistes se retournent contre les anciennes métropoles et les traitent comme des colonies ». On assiste à : « la généralisation, à l’échelle de la planète toute entière de l’entreprise coloniale, de l’entreprise de mise en exploitation et d’asservissement et de mise au travail du vivant pour l’objectif ultime d’accumulation du capital. » Ce n’est plus sur les peuples lointains, de couleur différente, que le Grand Capital doit jeter l’anathème pour justifier leur asservissement et leur exploitation, c’est sur nous.

L’effet boomerang du mépris

Le mépris de la classe dirigeante envers nous, son arrogance, suinte par tous ses pores. Mais cela s’est retourné contre elle, si l’on peut dire. On le voit à la TV officielle. En écoutant les élites, censées façonner l’opinion publique, on comprend, avec François Bégaudeau (Histoire de ta bêtise), que la bourgeoisie, à force de vouloir nous rendre cons, à force de nous prendre pour des cons, est devenue elle-même irrémédiablement conne. Tous les discours, les débats, les interviews sont d’une bêtise, d’une pauvreté, d’une étroitesse de vue, d’un parti-pris, incroyables. A force d’avoir voulu nous abrutir, nous infantiliser, à force d’avoir cru nécessaire de se mettre à notre niveau, ils sont devenus plus cons que nous.

Le Monument aux Bourgeois de Calais, 1889. Auguste Rodin (1840-1917). Photo par Jean-Pierre Dalbéra. Flickr.com

De plus, comme Emmanuel Todd le fait remarquer dans une de ses conférences, autrefois la bourgeoisie ouvrait ses rangs aux intelligences venues d’en bas, ce qui lui apportait du sang neuf et privait en même temps le peuple de ses meilleurs éléments. Mais désormais elle s’est refermée sur elle-même et s’est entièrement coupée de la population. Les intelligences populaires ne peuvent plus monter l’échelle sociale et nous avons donc à nouveau des leaders et des intellectuels populaires.

Enfin, de plus en plus de gens ont pris conscience de l’illégitimité et de la nocivité d’un pouvoir qui nous emmène droit dans le mur. L’épisode du Coronavirus en est une illustration formidable. La gestion de l’épidémie, erratique, décalée, anxiogène, coercitive, mensongère, injuste, contradictoire, revancharde, culpabilisante, destructrice, incohérente, arbitraire, punitive, très onéreuse et clairement contre-productive, devrait ouvrir les yeux à ceux qui croyaient encore que la démocratie capitaliste bourgeoise était un moindre mal, et que la technocratie bourgeoise, bien que cupide et corrompue, était encore capable de nous diriger.

Même nos médias officiels sont obligés de reconnaître que la gestion occidentale du Coronavirus est un fiasco total, à part peut-être pour la la Suède, qui a suivi une ligne claire, a préservé le lien social, l’économie, la confiance de la population en ses dirigeants, et a finalement moins de morts que l’Italie ou l’Espagne. C’est savoureux d’entendre une présentatrice de TV parler, avec un brin de provocation dans la voix, histoire de montrer qu’elle n’est pas entièrement aux bottes du pouvoir, du « fiasco des masques » et du « fiasco des tests ».

Le réel est prié de s’effacer devant le mythe

Mais tout cela n’a aucune importance, puisque « nous vivons une époque où le réel est prié de s’effacer devant ce qui doit être », comme dit Slovadan Despot. Il n’y a plus aucun rapport entre les paroles et le réel, les décisions et la réalité. « Le décalage entre les mesures et la réalité est révoltant », s’indigne inutilement le Professeur Tobiana. Et le professeur Toussaint n’est pas de taille en face d’une présentatrice qui, pour réfuter ses affirmations que « le virus actuel ne nécessite pas de prendre, comme à Marseille, des mesures d’effondrement sociétal » lui répond que, elle, elle a « des projections ».

Une élite à la ramasse, des populations conscientisées confrontées à la folie destructrice de leurs dirigeants, le précipice devant nous… et pourtant rien ne bouge : pas de révoltes, pas de désobéissance, à peine quelques procès. Les Gilets jaunes ont disparu et la dictature sanitaire règne partout sans encombre.

Mais pourquoi ? Pourquoi nous laissons-nous mener comme des moutons à l’abattoir ? Comment des élites autoproclamées, dont l’incompétence et la déconnexion ne font plus aucun doute, parviennent-elles à nous maintenir dans une impuissance telle que nous n’essayons même plus de nous battre pour inverser le cours des choses ?

La mythologie de la séparation

Charles Eisenstein se pose la question et propose une réponse :

« Qu’est-ce qui fait que la grande majorité de l’humanité se conforme à un système qui conduit la Terre et le genre humain à la ruine ? Quelle puissance nous tient dans ses griffes ? Il n’y a pas que les théoriciens du complot qui sont captifs d’une mythologie. La société dans son ensemble l’est aussi. Je l’appelle la mythologie de la Séparation : moi séparé de vous, la matière séparée de l’esprit, l’Humain séparé de la Nature ».

Ce mythe qui justifie toutes les formes d’exploitation auxquelles nous nous livrons, engendre, selon lui, une mentalité de guerre et un autre mythe : l’idée que le contrôle peut tout résoudre. C’est ce qui explique le délire de contrôles que nous subissons aujourd’hui.

Pour Xavier Ricard Lanata, aussi, la seule manière de s’extraire de ce système, « la seule manière de refuser la condition d’asservi et de refuser de prêter sa vie à l’objectif ultime d’accumulation du capital », c’est de « réinterroger nos représentations, en essayant de voir si, le point de vue que nous avons adopté et qui semble universel à nos yeux, ne serait pas qu’une illusion », un mythe, le mythe de la séparation.

La seule solution, c’est «d’habiter la terre en terrestres et de s’assigner comme objectif d’accroître en intensité et diversité ses liens avec toutes les autres formes de vie. C’est un objectif vital et moral plus élevé et totalement contradictoire et antagonique avec celui du capitalisme. »

Et de conclure :

« On est parvenu à un moment où il faut débarrasser la modernité de ce qui a été un leurre, l’autonomie entendue comme démultiplication des capacités de puissance à l’échelle de l’individu, indépendamment de ce que ses capacités de puissance doivent à notre condition terrestre qui est éminemment et par nature relationnelle. Voilà ! »

Oui, voilà ! Les bouddhistes enseignent l’interdépendance, les Amérindiens se sentent tellement partie prenante du monde naturel qu’ils rebouchaient, autrefois et peut-être encore, les trous qu’ils faisaient dans la terre pour ne pas la blesser, et nous nous vivons sous l’emprise de la croyance délétère, du mythe destructeur de la séparation. Il nous emprisonne plus sûrement que la propagande, le mépris de classe, la répression, la culpabilisation, la précarité, la névrose. Ce mythe, nous le partageons tous en Occident, exploiteurs comme exploités. Il nous englobe et nous dépasse, et il fera notre malheur et celui d’une bonne part de l’humanité, tant qu’il présidera à notre vision des choses.

Changer de lunettes

C’est là que, nous, les opposants et les perdants de ce système, les sans voix, sans pouvoir, sans importance, nous avons un rôle à jouer. Notre situation étant plus critique que celle de ceux qui en
profitent, nous sommes plus susceptibles d’accepter de changer de lunettes et de remettre en question les dogmes, les croyances, les mythes que nous avons ingurgités avec le lait de notre mère. Nous savons désormais qu’il est inutile d’attaquer le système de front. Il est bien verrouillé, avec la pensée unique, les médias de propagande, la collusion des pouvoirs, la police militarisée et la dispersion de la responsabilité. Nous l’avons vu, les grèves et les manifestations ne servent plus à rien.

Mais le système d’exploitation capitaliste a une faiblesse, il est bâti sur notre croyance dans les mythes qui le fondent, et, par conséquent, nous pouvons provoquer son effondrement et sa transformation en cessant tout simplement d’y croire, en cessant notamment de croire que nous sommes des entités séparées, et en renouant des liens vitaux pour notre bonheur et notre équilibre, avec tous les autres terrestres.

Et rien ne nous empêche d’appliquer, en même temps, la recommandation de Geoffroy de Lagasnerie :

« La combinaison de l’action directe et de la production d’espaces sur l’exemple du sanctuaire de @269_LA, sorte d’utopie réalisée où les animaux libérés des abattoirs par l’action directe par l’association vivent et d’où est absente toute logique de l’exploitation animale »

ou sur l’exemple des Gilets jaunes avec les occupations de péages et les mises à l’arrêt de radars, par exemple, et la création d’espaces de délibération et de convivialité.

Dominique Muselet

Cet article a été publié initialement sur salairevie.

Note

* La manière dont la Macronie ose expliquer ses échecs est particulièrement révélatrice : ils sont dus, selon elle, à la pensée trop complexe de son leader, ou à sa trop grande intelligence (Le Gendre). Dernièrement Sibeth Ndiaye a même osé dire devant le Sénat « on a souffert d’un défaut d’acculturation scientifique de la population française ». On se souvient aussi de ceux qui ne sont rien, les exemples sont légion.


Source: Lire l'article complet de Mondialisation.ca

À propos de l'auteur Mondialisation.ca

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