« Malheureux celui par qui le scandale arrive ! » – La figure de Jésus Christ chez Mel Gibson et Pier Paolo Pasolini

« Malheureux celui par qui le scandale arrive ! » – La figure de Jésus Christ chez Mel Gibson et Pier Paolo Pasolini

L’acteur Enrique Irazoqui, le Christ de Pasolini, est mort . Marie Leroy revient pour nous sur deux films important sur la figure christique .

L’Histoire de Jésus est probablement celle qui a été la plus représentée sur le grand écran. Son message et sa Passion ne laissent personne indifférent et le monde du cinéma ne déroge pas à la règle. Le Jésus d’Hollywood est cependant souvent aseptisé pour plaire au plus grand monde, pour être supposément plus « bankable ». Mais heureusement des réalisateurs prennent parfois le risque de donner une vision plus personnelle du destin de Jésus et le résultat donne un film incontournable.

Les films la Passion du Christ de Mel Gibson sorti en 2004 et l’Evangile selon Saint Mathieu de Pier Paolo Pasolini sorti en 1964 sont de ceux là. Bien que très différents, ils apportent un regard, un accent particulier sur la figure christique. Ces deux films ont également tous les deux provoqués une forte polémique à leur sortie, dans les deux cas injustes mais prévisibles.

La Vérité de la Passion du Christ et la Radicalité du Message Christique 

Afin de déterminer ce qui rapproche ces deux films au prime abord bien différents, il importe de se poser la question que tout créateur intellectuel ou artistique devrait se poser avant de proposer une nouvelle œuvre, en particulier concernant un sujet mainte fois abordé. Cette question que Mel Gibson et Pier Paolo Pasolini se sont forcément posés la voici : Quel est l’intérêt de faire un nouveau film sur Jésus ? 

Il ressort de leurs démarches et parcours respectifs que ces deux réalisateurs ont cherché à focaliser l’attention du spectateur sur un élément particulier du personnage culturel qu’est Jésus. Pour Mel Gibson, catholique pratiquant, il s’agit de mettre en avant la Vérité dérangeante de la Passion du Christ. Pour Pasolini, intellectuel marxiste, c’est la Radicalité du message Christique, porteur d’une nouvelle ère spirituelle qu’il importait de mettre en évidence.

Mel Gibson s’est déjà prononcé dans de multiples interviews sur l’aide que lui a apporté la religion catholique pour se sortir des mauvais moments qu’il a traversés au cours de sa vie. Pour lui, la Vérité de la Passion du Christ l’a aidé à se soigner, à cicatriser les blessures que la vie t’inflige obligatoirement à un moment ou à un autre, que ce soit par le biais de tes propres péchés ou par ceux des autres. Cela n’a donc rien de surprenant qu’il ait focalisé son film sur les dernières heures de la Vie de Jésus. 

Pasolini a baigné dans une culture catholique depuis toujours puisque ses parents allaient à l’Eglise tous les dimanches : le père par convention sociale et la mère par Foi. De surcroit, si Pasolini est devenu rapidement athée (dès l’âge de 15 ans, il estime avoir cessé de croire en Dieu), il a toujours laissé transparaitre une certaine appétence pour l’histoire des religions, et aussi une certaine fascination pour Jésus, en particulier vis-à-vis de sa relation avec la Vierge Marie. Cela n’a donc rien de surprenant non plus que Pasolini ai décidé de faire un film sur Jésus. 

Dans le film de Pasolini, Jésus est un rebelle en révolte contre le désordre établi. Il s’adresse avec vigueur au peuple et avec colère aux pharisiens. Il fait preuve de sarcasme. On perçoit dans son attitude de la fermeté, voire de l’arrogance, son regard est froid, sauf lorsqu’il est en présence d’enfants, seuls êtres innocents dans ce monde d’hypocrites et de corrompus. Dans le film de Mel Gibson, Jésus choque le spectateur par son incroyable douceur. Malgré l’horreur de ce que lui infligent ses bourreaux, malgré la profonde injustice qu’il vit, Jésus pardonne et aime. 

La Vision d’un croyant confrontée à celle d’un incroyant ?

Ces deux films parviennent à casser l’image saint sulpicienne que s’évertue de donner Hollywood et les bienpensants à Jésus. Et c’est en cela qu’ils sont marquants au spectateur ouvert d’esprit. Nul besoin d’être croyant pour être ému aux larmes devant le film de Mel Gibson, nul besoin d’être révolutionnaire marxiste pour appréhender l’aspect révolutionnaire du message de Jésus. C’est d’ailleurs en cela que l’on peut en déduire que ces deux films sont bel et bien dès le départ destinés à un large public. 

Par la neutralité de ses (non) acteurs, le film de Pasolini est propice aux projections du spectateur. Celui de Mel Gibson est – en dehors du sujet sensible traité – une pure production hollywoodienne. Cependant, ces films restent très différents, le spectateur n’est pas forcément emporté par les deux films. Et cette évidence résulte prioritairement que Mel Gibson est croyant et catholique pratiquant alors que si Pasolini est un érudit en matière d’histoire des religions, il est athé depuis l’âge de 15 ans

Les deux films ont été tournés en Italie. Pasolini a tourné son film dans les Pouilles, dans des petits villages du Sud de L’Italie. Il avait en effet le sentiment que les gens qui vivaient la-bas étaient très semblables à ceux qui vivaient en Palestine il y a deux millénaires. Dix ans plus tard, il se rendra compte qu’un tel tournage n’aurait plus été possible : les visages de ses habitants étaient devenus des visages de téléspectateurs. Pasolini a été dès lors bouleversé par ce qu’il considère comme un basculement anthropologique. 

Les deux acteurs choisis pour jouer Jésus sont assez représentatifs des visions respectives véhiculées par les films de Gibson et Pasolini. L’acteur Jim Cazieres, qui joue Jésus dans le film de Mel Gibson est un acteur professionnel et un catholique fervent. Il a accepté le rôle en sachant pertinemment que cela allait lui fermer certaines portes à Hollywood. A contrario, le jeune espagnol Enrique Irazoqui qui joue Jésus dans l’Evangile selon Saint Mathieu de Pasolini n’est pas un acteur professionnel mais un militant communiste. Athée et anticlérical, il a tout d’abord refusé la proposition de Pasolini de prêter ses traits à Jésus mais devant l’insistance et les arguments d’une amie à Pasolini, Elsa Morante, et aussi devant la somme d’argent que cela pouvait apporter à sa cause , il accepta. 

L’interprétation d’Enrique Irazoqui est sobre afin que le spectateur puisse davantage se projeter. Celle de Jim Caviezel (dont les initiales sont J.C. et qui avait 33 ans au moment du tournage !) est a contrario complètement troublante. Les expressions de son visage et sa gestuelle sont d’autant plus frappantes qu’elles contrastent avec l’omniprésence d’hémoglobine, avec le spectaculaire des effets spéciaux. 

Mel Gibson, catholique traditionnaliste, chrétien fervent et pratiquant, veut montrer l’essence même du Christ, sa Passion et ce qu’elle signifie. Le film de Mel Gibson par sa bande son, ses décors et ses effets spéciaux parle du Messie, de Jésus Christ, fils de Dieu. 

Contrairement au grandiose choisi par Mel Gibson, beaucoup de naturel se dégage du film de Pasolini, qui est filmé presque tel un documentaire. Le film s’attache en vérité à mettre en avant l’humanité de Jésus, le message et le combat de Jésus homme. Mais cela ne signifie pas du tout que Pasolini ait fait l’impasse sur la dimension christique de Jésus, bien au contraire. Certes, rien n’est plus faux que de dire que Pasolini a fait une transcription littérale des Evangiles. D’ailleurs, il a fait le choix de ne s’appuyer que sur l’Evangile selon Saint Mathieu, l’Evangile qui met l’accent sur le vie de Jésus. Certes il n’a pas modifié les écrits et a choisi pour le script une traduction de l’association Pro Civitate Christiana, association italienne de « cathos de Gauche ». Néanmoins, il s’est totalement approprié Jésus et son message. Il donne bel et bien sa vision de Jésus. C’est d’ailleurs tout l’avantage d’avoir un support visuel : il permet à Pasolini de s’approprier le texte des Evangiles, et de partager son identification à Jésus, bien qu’incroyant (en tout cas publiquement). Pasolini a adapté en conséquence sa manière de filmer pour coller davantage à cette vision. 

Dans ses confessions techniques, Pasolini explique qu’il a voulu garder un regard d’observateur objectif et extérieur. Il voulait comme être étranger à ce qui pourrait transparaitre de l’Evangile. Néanmoins, comme il a baigné dans la religiosité de par sa famille et sa culture, cela ne pouvait pas marcher. C’est d’ailleurs pourquoi, après avoir vu les premières rushes tournées en ce sens, il a fait marche arrière et repris le tournage à zéro. Il a alors abordé l’Evangile selon le point de vue d’un croyant. 

Pasolini explique qu’il partait du point de vue hypothétique d’un croyant, d’un chrétien. Mais dans sa vie, il a eu un rapport évident au religieux, au Sacré, tout comme l’un de ses maîtres à penser, Antonio Gramsci. Comme il le dit lui même : « Je suis une force du passé. Mon amour ne va qu’à la tradition. Je viens des ruines, des églises, des retables. » Il a tout d’abord une relation profondément culturelle à la religion catholique car il a baigné dedans dès sa naissance, la famille allant à l’église le dimanche, bien que non dévote. Selon ses propres aveux, Pasolini a cessé de croire en Dieu à l’âge de 15 ans. Néanmoins, à l’adolescence, il a vécu plusieurs crises spirituelles. Sa relation à la religion et en particulier au catholicisme est par ailleurs visible tout au long de son œuvre cinématographique, artistique et intellectuelle. De surcroit, il connaissait très bien l’histoire des religions et a toujours critiqué le concept de laïcité, qu’il considèrait comme la religion du libéralisme. Aussi, il explique qu’il ne faut pas « craindre la sacralité et les sentiments, dont le laïcisme de la société de consommation a privé les hommes en les transformant en automates laids et stupides, adorateurs de fétiches». Enfin, le film L’Evangile selon Saint Mathieu est dédié au Pape Jean XXIII. Le film a été globalement très bien accueilli par la communauté chrétienne. Ce qui tend clairement à faire taire ceux qui voit l’Evangile selon Saint Mathieu comme un film non religieux, voire blasphématoire. Au final, ce film met en évidence le côté multifacettes (croyant/non croyant ) de Pasolini, homme lucide et visionnaire, complexe, torturé et bourré de contradictions.

Des polémiques non voulues mais inévitables

Bien que très différents, le film de Pasolini et celui de Mel Gibson ont comme point commun d’avoir fait polémique à leur sortie. En effet, si le film de Pasolini fut globalement bien accueilli par la communauté chrétienne et par les autorités catholiques, il a provoqué la fureur du parti communiste italien (PCI). Certains membres du PCI cherchèrent même à faire infléchir Pasolini par le biais du jeune Enrique Irazoqui. Ayant assistés en avant première au film, ils l’incitèrent à demander à Pasolini de couper les scènes de miracles… En vain, Pasolini ne céda pas. 

Il importe de rappeler que le film de Pasolini ne représente pas à l’écran la totalité de l’Evangile selon Saint Mathieu, mais approximativement 25 %. Par conséquent nombre de miracles décrits ne sont pas évoqués dans le film. Il importait donc à Pasolini de garder les quelques scènes de miracles afin à la fois de rester cohérent avec l’idée de représentation de Jésus d’un point de vie d’un croyant et aussi plus pragmatiquement pour s’assurer du soutien des autorités ecclésiastiques et surtout de l’Association Pro Civitate Christiana, par laquelle Pasolini a pu avoir l’argent pour réaliser son film…

Ironiquement, le film fut également interdit de projection en Espagne par les autorités franquistes du fait . Communistes et franquistes réunis dans la censure… On peut dire qu’iI fait fort ce Pasolini…

Quant au film de Mel Gibson, il s’est attiré les foudres des associations bienpensantes chargées de lutter contre l’antisémitisme. Bien qu’aucune scène du film ne tienne le moindre propos négatif à l’encontre des juifs, la polémique pris une ampleur démesurée et fit de Mel Gibson un véritable paria, montrant à quel point ce genre d’associations et d’accusations sont importantes dans le monde merveilleux d’Hollywood. 

Le Christianisme à été dans l’Histoire facteur de révolte contre un système politique injuste et une source d’inspiration pour une recherche de Justice sociale. Les catholiques sociaux qui luttaient contre l’appétit insatiable de la bourgeoisie commercante et industrielle du 19e siècle en est un exemple flagrant. Les prêtres ouvriers et la Théologie de la Libération également. Néanmoins, dans d’autres contextes, la religion catholique – avec très souvent l’approbation des autorités religieuses – a été utilisée comme moyen d’imposer au people l’Ordre et la paix sociale quoi qu’il en coûte. 

Ce qui est intéressant dans le fait de mettre en parallèle ces deux films c’est donc aussi de voir que tradition et révolution ne sont pas indissociables. Pasolini était un conservateur et se montrait très lucide sur la société de consommation et ce qu’elle impliquait. L’évangile selon saint Mathieu était aussi une manière pour lui de mettre les points sur les i et les barres sur les T concernant ses positions sociétales. Après avoir fustigé les cheveux longs, il montre son attachement profond à la religion Catholique et la figure du Christ.

Mel Gibson n’est bien évidemment pas un révolutionnaire dans l’âme mais par sa détermination et son intransigeance, il montre malgré lui a quel point le message et la figure du Christ sont dérangeants et révolutionnaires. Il importe de voir et revoir ces deux films que l’on soit croyant ou non car, au-delà de leur réussite d’un point de vue artistique, ils mettent en valeur la figure christique comme peu d’œuvres l’ont faites. Entre Tradition et Révolution, la figure christique nous appelle tous. 

Marie Leroy

Source: Lire l'article complet de Rébellion

À propos de l'auteur Rébellion

Rébellion est un bimestriel de diffusion d’idées politiques et métapolitiques d’orientation socialiste révolutionnaire.Fondée en 2002, la revue Rébellion est la voix d’une alternative au système. Essentiellement axée sur les sujets de fond, la revue est un espace de débats et d’échanges pour les véritables opposants et dissidents. Elle ouvre ses colonnes à des personnalités marquantes du monde des idées comme Alain de Benoist, David L’Epée, Charles Robin, Pierre de Brague, Thibault Isabel, Lucien Cerise … Rébellion se veut également un espace « contre-culturel » au sens large (arts, littérature, musique, graphisme).

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