La Biélorussie sera-t-elle le prochain Banderastan (*)?

La Biélorussie sera-t-elle le prochain Banderastan (*)?

(*) Banderastan : c’est ainsi que le Saker nomme l’Ukraine, pays désormais dirigé par les adorateurs des reliques de Stepan Bandera, l’ex-dirigeant nazi ukrainien pendant la Seconde guerre mondiale 


Par The Saker − Le 19 août 2020 − Source Unz Review via thesaker.is

La situation en Biélorussie évolue très rapidement, et pas pour le mieux, c’est le moins qu’on puisse dire. Beaucoup de choses se sont passées, mais voici un résumé des développements les plus cruciaux, à mon avis :

Loukachenko
    • Dimanche dernier a été un succès majeur pour l’opposition biélorusse : des foules immenses sont descendues dans les rues de plusieurs villes biélorusses et, dans la plupart des cas, les manifestations ont été pacifiques.
    • La Biélorussie a désormais son propre «Juan Guaido» en la personne de Svetlana Tikhanovskaia – dont la seule «qualification» pour diriger l’opposition est que son mari est en prison. Tikhanovskaia s’est déjà déclarée «dirigeante nationale» de la Biélorussie.
    • L’opposition biélorusse a formé un comité de coordination composé de russophobes enragés bien connus de longue date.
    • Le programme de l’opposition – ils l’appellent «Paquet de réformes pour le  renouveau de la Biélorussie» – est simple : de nouvelles élections «équitables» suivies des objectifs suivants : la Biélorussie doit se retirer de toutes les conventions collectives qu’elle a conclues avec la Russie – y compris l’État de l’Union, l‘OSC, … Au lieu de cela, l’objectif national devrait être – quoi d’autre ? – de rejoindre l’OTAN et l’UE. Toutes les forces militaires russes en Biélorussie doivent être expulsées. La langue biélorusse doit être réimposée,comme en Ukraine à la société biélorusse – y compris, apparemment, l’armée – bonne chance ! Les organisations russes seront interdites en Biélorussie et les chaînes de télévision russes aussi. La frontière avec la Russie sera fermée. Ensuite, une nouvelle «Église orthodoxe biélorusse» indépendante sera créée. Enfin, l’économie biélorusse sera «réformée» – ce qui signifie que tout ce qui peut être vendu sera vendu, puis le pays sera désindustrialisé, comme l’Ukraine ou les pays baltes.

À ce stade, il est assez clair que «l’opposition» contrôlée par l’Occident a réussi à prendre le contrôle de ce qui était initialement une opposition populaire locale légitime. Ce mécanisme – le détournement d’une opposition vraiment populaire et légitime par des agents d’influence contrôlés par l’Occident – est exactement ce qui s’est passé en Ukraine, en Syrie et dans de nombreux autres endroits – je dirais même que c’est ce qui se passe actuellement aux États-Unis. Certains ambassadeurs biélorusses – Slovaquie, Suisse, Suède – se sont désormais rangés du côté de l’opposition, tout comme ce qui s’est passé avec le Venezuela, la Syrie et d’autres pays.

Pour être honnête, il y a plus de similitudes entre les événements récents au Venezuela et ce qui se passe actuellement en Biélorussie, il ne s’agit pas seulement de Tikhanovskaia en tant que Guaido biélorusse. Par exemple, Loukachenko a commis au moins autant, sinon plus, d’erreurs cruciales que Maduro, et maintenant il a un enfer pour payer cela.

Voyons maintenant les actions de Loukachenko :

  • Il fulmine à nouveau contre l’Occident, dans la mesure où il a déplacé l’unité militaire biélorusse la plus capable – la 103e Brigade aéroportée de la garde mobile spéciale de Vitebsk – à la frontière ouest, et le reste des forces militaires a été placé en alerte maximale. Loukachenko s’est a expliqué en disant qu’il y avait un risque réel d’intervention militaire occidentale – ce qui est complètement absurde, l’OTAN n’a pas ce qu’il faut pour attaquer la Russie, qui est présente en Biélorussie, et survivre.
  • Loukachenko et au moins deux de ses ministres sont sortis pour parler aux manifestants, ce qui est un acte courageux qui ne doit pas être négligé – car Loukachenko, malgré tous ses vrais défauts, n’est pas comme Ianoukovitch, ni comme beaucoup de ses ministres. Les rencontres ne se sont pas bien déroulées, en particulier pour les deux ministres qui manquent clairement tous deux du charisme personnel indéniable de Loukachenko.
  • Loukachenko a également admis publiquement qu’il devait engager les forces spéciales biélorusses contre certaines manifestations. Il n’a pas donné plus de détails, mais cet aveu est intéressant car il montre deux choses : a) étant donné que des forces spéciales ont dû être utilisées, cela signifie que d’autres forces de police n’étaient pas en mesure ou ne voulaient pas contrôler la situation et b) les forces d’élite biélorusses soutiennent toujours Loukachenko
  • Ce dernier a également appelé Poutine à plusieurs reprises et il déclare maintenant que la menace actuelle n’est pas seulement une menace pour la Biélorussie, mais aussi une menace pour la Russie. De toute évidence, Loukachenko demande l’aide de la Russie.
  • Il a déclaré publiquement «à moins que vous ne me liquidiez, il n’y aura pas d’autres élections», ajoutant que l’opposition devrait le tuer avant de pouvoir détruire la Biélorussie – encore une fois ce mec n’est pas Ianukovich.

Maintenant, notons également ce que Loukachenko n’a pas fait :

  • Il n’a pas limogé son ministres des Affaires étrangères ni le chef du KGB biélorusse – selon une chaîne de l’opposition Telegram, le ministre des Affaires étrangères a démissionné, mais Loukachenko a refusé sa démission ; c’est l’une des nombreuses rumeurs de Telegram qui inondent maintenant la Biélorussie.
  • Il n’a pas déclaré que sa soi-disant «politique multi-vecteurs» – c.-à-d. courtiser l’Occident et la Russie – était une erreur ou qu’elle a maintenant été modifiée ou abandonnée. De toute évidence, et malgré les preuves accablantes du contraire, Loukachenko espère toujours pouvoir s’asseoir d’une manière ou d’une autre entre les deux chaises de la soumission à l’Empire ou de la réunification avec la Russie.
  • Il ne s’est pas excusé auprès de Poutine et / ou de la Russie pour toutes les fausses accusations qu’il leur a lancées il y a quelques jours à peine.
  • Paradoxalement, à la suite des nombreux cas de violence gratuite infligée par les flics biélorusses au départ, les rues sont désormais presque entièrement exemptes de forces de police. D’une part, c’est bien, car la violence utilisée au début a fait beaucoup de tort au gouvernement et a mis les gens très en colère. En outre, le niveau de violence de l’opposition a également considérablement diminué, ce qui est également une bonne chose. Mais le problème est qu’il existe maintenant des groupes bien organisés, pas nécessairement formés par des locaux, qui tentent de s’emparer du pouvoir illégalement et par la violence. Il est vital que le KGB biélorusse localise et arrête maintenant ces personnes. Ma crainte est que le KGB biélorusse ait été infiltré par des éléments pro-occidentaux qui seront difficiles à neutraliser.

Voyons maintenant ce que l’Occident « collectif » a fait :

    • L’Occident a clairement adopté une position commune consolidée face à cette crise. L’Occident ne reconnaît pas le résultat des élections et il a maintenant jeté tout son poids derrière la soi-disant «opposition».
    • Les dirigeants occidentaux ont appelé Poutine, apparemment pour exiger que la Russie n’intervienne pas en Biélorussie. Poutine leur a apparemment dit que ce qui se passe, c’est l’affaire de la Biélorussie, ce n’est pas la sienne, merci.
    • Il est maintenant clair que l’Occident n’acceptera rien de moins que ce que nous pourrions appeler un «résultat ukronazi» et que l’Empire utilisera toutes ses ressources en dehors d’une action militaire pour essayer de prendre le contrôle de la Biélorussie.

Voyons ensuite ce que font les voisins de la Biélorussie :

    • De manière très prévisible, les Polonais pensent clairement qu’ils vont restaurer quelque chose qui est connu par le concept évocateur, pour certains …, de la «Rzeczpospolita» en polonais et qui se traduit approximativement par «Commonwealth polonais»voir ici pour un bref aperçu. Dans ce contexte, il est très important de comprendre que la Pologne moderne est l’héritière idéologique du tristement célèbre Józef Piłsudski – ici pour plus de détails. Cela signifie que l’objectif ultime de la Pologne est de briser la Russie, de restaurer le Commonwealth polonais et de devenir une prostituée volontaire de la puissance occidentale, en particulier les États-Unis – il est tout aussi facile pour les pseudo-patriotes polonais actuels de prostituer leur nation aux États-Unis, comme Piłsudski s’était prostitué pour Hitler. Si certains d’entre vous s’intéressent aux concepts de «Prométhéisme» ou «Intermarium», cliquez sur ces mots pour plus de détails. Il n’est guère surprenant que la nation que Winston Churchill appelait «la hyène de l’Europe» se jette sur la Biélorussie : les Polonais attaquent toujours, et seulement, quand ils pensent que a) il y a un gros costaud derrière eux, et b) que la victime est faible. J’attends pleinement du Pape qu’il «prie publiquement pour la paix en Biélorussie» et qu’il exprime sa «détresse» face à la violence. Vraiment – c’est le même gang depuis près de mille ans (voir ici et ici) et ils sont toujours à la besogne. Il n’y a vraiment rien de nouveau sous le soleil…
    • Les Baltes désemparés veulent également rejoindre la Rzeczpospolita pour des raisons très simples : ils sont terrifiés à l’idée que l’Occident finisse par les jeter dans le fossé et ils savent que, par eux-mêmes, ils ne réussiront jamais rien. Autant les Polonais aiment se planquer derrière les USA, autant les Baltes aiment se planquer derrière la Pologne. Enfin, ces pays réalisent probablement que même la Biélorussie seule pourrait l’emporter militairement sur eux, sans parler de la Russie, alors ils se figurent que unis et protégés par l’oncle Shmuel ils pourront s’emparer de la Russie comme ils se sont emparés de l’Ukraine et finalement devenir le collectif « Prométhée » qu’ils pensent être, mais que l’histoire ne leur a jamais permis de devenir.
    • Quant aux gérontocrates de l’UE, ils ne font que ce qu’ils savent faire : essayer de se faire passer pour une sorte d ‘«autorité» – morale ? – qui décide quelles élections sont justes, ou pas, quels régimes ont le droit de battre les manifestants – Macron ça vous parle ? – et ceux qui doivent céder immédiatement aux exigences d’une «opposition» soigneusement contrôlée. Il est particulièrement touchant de voir Merkel qui ne se rend clairement pas compte du mépris total que les Russes ressentent pour elle et pour ce qu’elle représente.

Enfin, regardons ce que disent Poutine et d’autres Russes :

  • Poutine et Xi ont tous deux reconnu le résultat des élections. Franchement, je ne connais aucune source, à mi-chemin sérieuse, qui contesterait le fait que Loukachenko a battu Tikhanovskaia par une large marge. Oui, je doute aussi sérieusement des chiffres franchement ridicules de 80% contre 10%, mais je doute encore plus de ceux qui disent que Loukachenko a perdu. Ni Poutine, ni Xi ne «désapprouveront» ces élections. Ce qui signifie que ni Poutine, ni Xi n’accepteront jamais le récit occidental sur ce qui s’est passé ou ce qui se passe maintenant.
  • La réaction de Poutine aux appels téléphoniques de Loukachenko semble être un genre spécial de «bonne volonté retenue» ou de «bienveillance polie». De toute évidence, personne en Russie n’a oublié ce qui vient de se passer et je note une tendance très claire sur les débats télévisés, les reportages et les articles russes : alors que la plupart des Russes considèrent sincèrement les Biélorusses comme des frères, le niveau de frustration et même de dégoût pour Loukachenko est difficile à ne pas remarquer, et il ne fait que croître. Même les commentateurs très pro-Kremlin perdent leur sang-froid avec ce que fait Loukachenko – ils ne sont pas moins en colère contre ce que ne fait pas Loukachenko – je pense à Igor Korotchenko, le chef du Conseil public sous la tutelle du ministère de la défense de la Fédération de Russie , un bon initié du Kremlin, qui a maintenant déclaré que le ministre biélorusse des Affaires étrangères était un «agent d’influence étranger» – ce dont je ne doute pas – et que la Russie devrait exiger son licenciement. Je ne peux qu’être d’accord avec lui.
  • Et surtout, dans la transcription sommaire officielle de la conversation téléphonique entre Loukachenko et Poutine, ce dernier a répété que l’intégration entre la Russie et la Biélorussie devait se poursuivre. Voici comment le Kremlin l’a dit : « La partie russe a réaffirmé sa volonté de fournir l’assistance nécessaire pour résoudre les défis auxquels la Biélorussie est confrontée sur la base des principes du Traité sur la création d’un État de l’Union, ainsi que par le biais de l’Organisation du Traité de sécurité collective (OTSC), si nécessaire ». En d’autres termes, Poutine établit le cadre juridique dans lequel la Russie pourrait intervenir d’une manière ou d’une autre, surtout si une telle intervention est officiellement demandée par Minsk.

Maintenant, résumons ce qui se passe réellement :

  • Il ne fait aucun doute que de nombreux Biélorusses en ont assez de Loukachenko
  • Il ne fait aucun doute que de nombreux Biélorusses soutiennent toujours Loukachenko, ne serait-ce qu’en tant que garant contre un effondrement semblable à celui de l’Ukraine.
  • Il ne fait aucun doute que l’opposition légitime biélorusse a été rapidement et sans effort cooptée par les services spéciaux occidentaux, appelons-les «prométhéens».
  • Loukachenko était si sûr de lui qu’il n’a jamais pris la peine de vraiment faire campagne, de parler et de plaider auprès de son propre peuple. Il est entré dans cette élection, sûr de lui, pour découvrir que ce que son entourage immédiat de béni-oui-oui, qui se tiennent debout quand ils lui font un rapport, mentait ou n’avait aucune idée.
  • Ensuite, il est également clair que Loukachenko était sûr qu’avec son KGB et la police anti-émeute biélorusse, il pourrait facilement nettoyer les rues. Et bien que cela ait semblé fonctionner pendant 24 heures, les deux derniers jours sont la preuve que le régime a perdu le contrôle de la rue et / ou n’a aucune idée de la marche à suivre. En outre, même si vous pouvez utiliser la police anti-émeute pour disperser les manifestants, vous ne pouvez pas utiliser cette police pour forcer qui que ce soit à travailler : il existe de nombreux rapports cohérents de grèves dans les principales usines et entreprises biélorusses. Comment Loukachenko va-t-il forcer ces gens à travailler ? Il ne peut pas. En fait, il l’a spécifiquement dit lorsqu’il a déclaré que les grèves détruiraient la Biélorussie. Il y a même maintenant des rapports selon lesquels la société Belaruskalii, l’une des entreprises les plus rentables de Biélorussie – elle produit des engrais potassiques – a cessé de fonctionner. Mais on vient juste d’apprendre que les travailleurs de Belaruskallii ont accepté de reprendre le travail.
  • In extremis, Loukachenko a appelé Poutine et il a même dit «nous, les Russes» lors d’une réunion publique. À l’heure actuelle, je ne connais aucun analyste russe respectable qui croirait que Poutine doit quoi que ce soit à Loukachenko.
  • Le blâme pour ce qui vient de se passer ne peut être imputé uniquement à l’arrogance infinie de Loukachenko, à l’infiltration du KGB biélorusse ou aux provocations ukronazies : il est possible que les services de renseignement russes, le SVR, et le GRU, aient raté quelque chose sur ce coup là, en dépit du fait que ce qui s’est passé était facile à prévoir, et que beaucoup l’ont prédit. Sans le superbe travail du FSB russe, il est tout à fait probable que certains citoyens russes seraient désormais incarcérés dans les prisons ukronazies. Le ministère russe des Affaires étrangères semble également avoir été pris au dépourvu. Je ne pense pas nécessairement que «les têtes devraient tomber» au SVR / GRU, mais au moins il devrait y avoir une enquête interne complète sur les raisons pour lesquelles cette crise a apparemment pris le Kremlin au dépourvu et certaines «conclusions organisationnelles» devraient être élaborées. Soit dit en passant, il est également possible que le SVR / GRU et le ministère des Affaires étrangères aient émis des avertissements, opportuns et substantiels, exploitables. Dans ce cas, le problème vient des chefs de ces services, du gouvernement russe et du président. On dit parfois que le processus de renseignement comporte trois phases appelées les «trois A» : l’Acquisition – collecte de données -, l’Analyse – gestion et interprétation des données – et l’Acceptation – convaincre les décideurs politiques. Je ne sais évidemment pas à quel niveau cet échec s’est produit, mais je le vois comme le signe clair d’un problème majeur.

Regardons maintenant le cœur du «problème russe en Biélorussie» : c’est simple, vraiment : les Biélorusses sont des Russes, encore plus que les Ukrainiens. Non seulement cela, mais à en juger par les images en provenance de Biélorussie – sur toutes les chaînes et de toutes les sources – alors que les supposés «dirigeants» de la soi-disant «opposition» sont tous des russophobes enragés, la grande majorité de ceux qui ont protesté contre Loukachenko ne le sont pas.

Le problème ici est qu’il est impossible d’obtenir des chiffres vraiment fiables. Les sondages officiels en Biélorussie sont une plaisanterie, mais les sondages «d’opposition», ou les sondages occidentaux, sont probablement encore moins fiables. Ensuite, il y a le fait que Minsk est un cas à part parmi les villes biélorusses. En outre, il existe une différence entre la Biélorussie urbaine et rurale. Et, enfin, l’opposition elle-même n’est pas du tout monolithique, et lorsqu’on demande à quelqu’un s’il soutient Loukachenko ou non, il y a de nombreuses raisons possibles pour lesquelles quelqu’un pourrait répondre «non» – fichtre ! De nombreux Russes, en Russie, ne soutiennent pas non plus Loukachenko. Nous devons donc accepter que, jusqu’à ce qu’une sorte de retour à la normale en Biélorussie permette que des élections vraiment libres soient organisées, personne ne saura avec certitude ce que les Biélorusses pensent de cette crise ou de Loukachenko.

Ensuite, il y a le fait que, tout comme en Syrie ou en Ukraine, la protestation initiale était légitime, à la fois en termes de raisons valables de protester et en termes d’authenticité locale, non contrôlée de l’étranger. Mais alors, tout comme en Syrie et en Ukraine, ces manifestations ont été infiltrées et cooptées par des agents étrangers. Idéalement, la Russie voudrait soutenir les manifestants originaux et réels autant que possible dans les limites du raisonnable et contrer les subversifs infiltrés. Mais comment les Russes peuvent-ils les séparer s’ils ne le font pas eux-mêmes ?

Une idée qui a circulé ici et là est que la Russie devrait intervenir très ouvertement, dans le contexte de l’État de l’Union entre la Russie et la Biélorussie et, plus encore, sous les auspices de l’Organisation du traité de sécurité collective. Poutine a déjà mentionné cette organisation, c’est donc une option pour la Russie. Mais serait-ce une bonne option ?

Pour être honnête, je ne suis même pas sûr qu’il reste de bonnes options pour la Russie. J’ai mentionné à plusieurs reprises que j’étais personnellement arrivé à la conclusion que le seul moyen possible pour le peuple biélorusse de rester libre est de rejoindre la Russie. Je le pense toujours. Mais, je ne suis pas du tout sûr que cela soit même vraiment possible à l’heure actuelle, ne serait-ce que parce que le seul interlocuteur de Moscou en Biélorussie semble perdre le contrôle de son propre gouvernement et parce qu’il n’y a pas de moyen facile de progresser sur cette question alors que la Biélorussie court un risque très réel de s’effondrer complètement.

La cause profonde de tout cela ?

La corruption. Comme toujours.

On dit souvent que les dirigeants ukrainiens depuis 1991 ont été horribles, et c’est vrai : chacun d’eux semblait agir d’une façon monstrueusement toxique. Et oui, en Biélorussie, les gens craignaient beaucoup plus les flics et le KGB qu’en Ukraine. Mais cela ne signifie pas nécessairement que la Biélorussie était moins corrompue. Tout cela signifie qu’en Biélorussie, le gouvernement a fait un excellent travail en gérant un système de protection semi-féodal qui garantissait seulement que seuls les fonctionnaires et leurs «partenaires commerciaux» pouvaient gagner beaucoup d’argent.

Et ce n’est pas seulement un problème biélorusse ou ukrainien. La même chose s’est produite en Russie dans les années 90. Ce n’est même pas un problème de personnalité, c’est un problème de classe, au sens marxiste du terme.

Nous devons nous rappeler que le Parti Communiste de l’union soviétique (CPSU) et sa Nomenklatura étaient une organisation extrêmement corrompue, pas nécessairement au niveau de ses membres, mais dans son ensemble. Je résumerais ainsi «l’intégrité» de ces gens :

  • Ils ont d’abord trahi Staline et les idéaux du marxisme-léninisme – années Khrouchtchev
  • Puis ils ont trahi leur propre URSS et PCUS – années Brejnev et Gorbatchev
  • Puis ils se sont déguisés en patriotes – ou même en nationalistes, comme l’a fait l’idéologue communiste pur et dur Kravtchouk !
  • Ensuite, ils ont pénétré profondément en Occident pour chercher une protection, cacher leurs revenus réels et obtenir l’autorisation de gouverner.
  • Ensuite, ils ont pillé toutes les richesses de leur pays tandis que leur fortune personnelle montait en flèche.
  • Enfin, ils se sont tous portés volontaires pour se prostituer, eux et leur peuple pour l’Occident.

Ces gars-là n’ont pas plus de moralité qu’une amibe et ils sont aussi impitoyables que n’importe quel psychopathe. Ils avaient l’habitude de se prostituer devant leurs chefs de parti, et maintenant ils font de même avec leurs anglo-sionistes.

Alors, voici la question : comment la Russie pourrait-elle supprimer cette classe dirigeante sans a) un bain de sang majeur, et b) donner l’impression que ce que la Russie fait vraiment est d’essayer de sauver Loukachenko ?

Ce dont la Russie a vraiment besoin maintenant, c’est que l’Occident fasse quelque chose d’aussi stupide que lorsque les États-Unis ont tenté de renverser Erdogan. Mais cela ne suffirait qu’à mettre Loukachenko au pas et à se débarrasser de certains des éléments les plus dangereux de son entourage. Le plus gros problème est de savoir comment la Russie pourrait aider le peuple biélorusse ?

Donner plus d’argent au régime biélorusse n’a aucun sens et ne fonctionne pas. J’y étais, j’ai déjà donné.

Le recours à la force militaire est possible – je ne m’attends pas à ce que quiconque dans l’armée biélorusse, du moins les principaux commandants et unités, s’y oppose. Mais c’est très délicat et carrément dangereux sur le plan politique. Cela peut également ne pas être bien compris par les Biélorusses, et par de nombreux Russes également.

La première conclusion à laquelle je parviens personnellement est que la Russie ne doit rien faire qui puisse être interprété de manière crédible comme «sauver Loukachenko». Loukachenko n’a pas besoin d’être «sauvé». La Biélorussie oui !

Deuxièmement, si en termes militaires, sécuriser la Biélorussie ne serait pas un problème pour l’armée russe, en termes politiques, ce serait une crise majeure car l’Occident bondirait sans aucun doute là-dessus pour non seulement imposer plus de sanctions – ce n’est pas vraiment un problème – mais aussi pour créer une nouvelle guerre froide dans laquelle les Européens mentalement sains d’esprit et patriotes seraient «submergés» sous un torrent de slogans hystériques du genre  «Les Russes arrivent ! les Russes arrivent !».

Je suis également préoccupé par les récentes initiatives militaires de la Biélorussie. Déployer vers l’avant des forces à haut niveau de préparation près de la frontière polonaise est une très mauvaise idée : compte tenu du bilan historique, les Russes ne devraient jamais supposer qu’un dirigeant polonais ne fera pas quelque chose de fantastiquement stupide qui finira par être incroyablement tragique. Je ne crois pas une seule seconde que l’OTAN ait des plans pour envahir la Biélorussie. Au pire, Loukachenko et la Russie devraient laisser ce qu’on appelle une «tête de pont» en Occident tout en préparant en profondeur leurs défenses stratégiques. Il n’est pas nécessaire d’aller provoquer les Polonais, les Baltes ou qui que ce soit d’autre de l’OTAN.

Si on lui donnait le choix, Poutine voudrait probablement que Loukachenko et la soi-disant «opposition» partent – cela me rappelle le «que se vayan todos» argentin ou le libanais كلهم ​​يعني كلهم ​​qui peuvent tous deux se traduire grossièrement par « ils doivent tous partir» et «tous signifie tous» – y compris Tikhanovskaia et Loukachenko.

Au moment d’écrire ces lignes, le 19 août, il semble que Loukachenko devra désormais choisir entre «l’Occident civilisé» et «Poutine le Mordor sanguinaire». Vraiment, il n’a pas d’autre choix que de choisir Moscou, mais cela ne veut pas du tout dire que Moscou pense qu’il y a quelque chose de récupérable du régime de Loukachenko. Sa dernière «volte-face», redevenir un «frère russe», est bien trop peu et trop tard. Et si son ministre des Affaires étrangères et son chef du KGB sont toujours dans le prochain gouvernement, tout ce discours deviendra également inutile et dénué de sens.

En termes simples : si Loukachenko veut rester au pouvoir, il n’a qu’une seule option – implorer le pardon de Poutine, pas publiquement, bien sûr, et cela aussi catégoriquement et sincèrement qu’il peut prétendre l’être. Ensuite, il doit purger son gouvernement de chaque personne que Poutine – ou les services spéciaux russes – lui désignera. Oui, cela signifie qu’il doit vraiment et totalement laisser le contrôle. Quant à Poutine, il doit s’adresser à la fois au peuple russe et au peuple biélorusse pour expliquer la décision qu’il prend. C’est, une fois de plus, une situation dans laquelle la plus grande arme de Poutine pourrait être son soutien populaire très élevé, non seulement en Russie, mais aussi, de toute évidence, en Biélorussie.

À l’heure actuelle, il semble que l’Occident craigne sérieusement une intervention russe : ils réalisent probablement – à juste titre – à quel point ce serait facile pour la Russie et à quel point personne, y compris l’OTAN ou, encore moins, l’UE ne pourrait faire quoi que ce soit à ce sujet. Trump a personnellement des poissons beaucoup plus gros à faire frire et je doute qu’il s’en soucie beaucoup. Mais son secrétaire d’État narcissique a probablement l’impression qu’il peut transformer la Biélorussie en un autre Banderastan dirigé par les États-Unis.

Alors, que peut-il se passer ensuite ?

Je pense qu’il est crucial que la Russie tende la main à l’opposition non contrôlée par les États-Unis en Biélorussie, publiquement, et essaie d’établir une sorte de dialogue. La Russie doit également avertir publiquement le peuple biélorusse que s’il permet aux «dirigeants de l’opposition» actuellement contrôlés par les États-Unis d’arriver au pouvoir, la Biélorussie s’effondrera tout comme l’Ukraine.

C’est peut-être l’argument le plus fort que la Russie pourrait répéter encore et encore : aussi mauvais que Loukachenko ait pu être, s’il est renversé dans une sorte de coup d’État de type Maïdan, alors la Biélorussie deviendra le prochain Banderastan. Ce sera un casse-tête majeur pour la Russie, mais la Russie peut facilement y survivre. La Biélorussie ne peut pas.

Mais le simple fait de garder Loukachenko au pouvoir n’est pas non plus une solution : qu’il ait remporté ou non les dernières élections n’est même plus le vrai problème – le vrai problème est qu’il a perdu sa crédibilité auprès de presque toutes les personnes impliquées. Pour cette seule raison – Loukachenko doit partir. Ensuite, une sorte de gouvernement d’unité nationale qui inclurait les principales forces politiques du Bélarus, à l’exception de celles contrôlées par l’Occident, devrait probablement être formé. Enfin, quiconque est au pouvoir à Minsk doit mettre le cap sur une réintégration complète de la Biélorussie en Russie. Cela reste la seule solution viable à long terme pour le peuple biélorusse.

The Saker

Traduit par jj, relu par Hervé pour le Saker Francophone

Source: Lire l'article complet de Le Saker Francophone

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