Les Rose. Au-delà d’octobre…

Les prochaines semaines au Québec se dérouleront assurément sous le signe de diverses commémorations des événements d’octobre 70. Cinquante ans après la fameuse Crise d’octobre, commentateurs, journalistes et spéculateurs reviendront à la charge en cherchant à résoudre le mystère qui plane toujours sur ce qui s’est réellement déroulé dans la maison de la rue Armstrong où a été séquestré et où est mort le ministre Pierre Laporte. Tenter d’expliquer «COMMENT», alors que la réponse se trouve possiblement davantage dans «POURQUOI» octobre. 

Et c’est exactement à cette réflexion que nous convie Félix Rose avec son film Les Rose. Cherchant à comprendre les motivations profondes qui ont mené son père, Paul Rose, et son oncle, Jacques, à joindre les rangs du FLQ et à participer aux actions de la cellule Chénier avec Francis Simard et Bernard Lortie, le cinéaste est allé au-delà des événements d’octobre. Il  s’est entre autres intéressé au contexte historique, social et politique du Québec de l’époque, s’attardant plus spécifiquement à la genèse de l’engagement indéfectible des frères Rose dans leur combat pour le respect, la dignité et l’indépendance du peuple québécois. 

Une famille où rayonne la mère

Et cette quête l’a conduit dans les souvenirs de la famille Rose, une famille soudée par des valeurs de solidarité, de partage et d’engagement. Une famille où rayonne particulièrement une femme, Rose Rose, la mère de Paul et Jacques, la grand-mère de Félix. Cette battante, amoureuse et brave, qui semble avoir été le socle et le phare de la famille. Dès leur plus jeune âge, elle a sensibilisé ses enfants à la réalité des familles ouvrières, au respect et à la nécessaire solidarité à avoir avec les familles vivant la misère et la pauvreté. Et ces valeurs vont profondément marquer sa famille et la vie de ses fils particulièrement.

C’est ce que l’on découvre à travers une multitude de témoignages. De Paul et Jacques, en premier lieu, mais également des filles de Mme Rose. Toutes et tous soulignent son courage et son amour profond des siens. Certaines des plus belles séquences du film concernent d’ailleurs la matriarche qui n’a jamais abandonné ni ses fils, ni sa famille, malgré la tourmente des événements d’octobre, la répression, la prison,  etc.

Un rare témoignage de Jacques Rose

Le film tire également une grande partie de sa force des entretiens que le cinéaste a réalisés avec son oncle Jacques, qui livre ici un rare et touchant témoignage public. Dans ces échanges, Jacques Rose revient sur leur enfance à Saint-Henri et à Ville Jacques-Cartier, véritable bidonville de la Rive-Sud de Montréal dans les 40 et 50. Il rappelle la violence du milieu ouvrier, l’exploitation et le mépris que vivaient quotidiennement les travailleurs québécois à l’époque.

Il aborde également les premières manifestations du mouvement indépendantiste (le fameux lundi de la matraque à la Saint-Jean-Baptiste en 68 où Paul Rose aurait rencontré Jacques Lanctôt en prison après avoir été molesté et arrêté par la police), l’apparition du FLQ dans les années 60 et l’ouverture de la Maison du pêcheur à Percé avec Bernard Lortie et Francis Simard en 1969, soulignant à maintes occasions leur désir de participer à un mouvement qui permettrait d’éveiller les consciences sur la réalité socio-économique des Québécois.

Mais c’est lorsqu’il aborde plus particulièrement les événements d’octobre 70 et leurs années passées en prison que la parole de Jacques Rose résonne le plus. Sans se défiler face aux événements et à leur responsabilité quant à la mort de M. Laporte, et encore secoué par l’inhumanité du milieu carcéral, ces séquences offrent de très beaux moments de cinéma. L’émotion avec laquelle il répond aux questions de son neveu témoigne de l’humanité de l’homme et des blessures toujours vives qui l’habitent.        

Et la présence forte de Paul Rose

Félix Rose rêvait de faire ce documentaire avec son père, mais il n’en aura pas eu le temps.  Paul Rose est décédé en 2013. Pourtant, il est omniprésent dans le film. Bien sûr à travers les témoignages de son frère, de ses sœurs, de sa conjointe et de certaines militantes et militants qui l’ont côtoyé à un moment ou un autre. Mais c’est surtout grâce à des enregistrements inédits que Félix a retrouvés dans les archives de son père, que Paul Rose habite ce film.

Ces bandes, enregistrées clandestinement lors de ses années en prison et destinées à Rose sa mère, viennent ponctuer le documentaire à plusieurs occasions. D’une voix calme et posée, il lui témoigne tout son respect et tout son amour.  Il parle doucement de ce Québec qu’il aime profondément, de la beauté et de la richesse du territoire et du peuple qui l’habite. Le Québec des travailleurs, des petites gens. Cette douce voix hors-champ contraste avec l’image du révolutionnaire au poing levé qu’on a souvent vu.

Ces confidences de Paul Rose confèrent au film une grande humanité, témoignant de son désir insatiable de solidarité et de liberté. Il faut ici souligner le travail exceptionnel du monteur Michel Giroux, qui a réussi à construire un univers visuel poétique et symbolique en associant ces mots à des archives extrêmement riches.

Un film nécessaire

Le défi était grand pour Félix Rose de faire un film sur son père et son oncle. Périlleux même. Mais il a réussi son pari. Sans complaisance et sans faux fuyants. En faisant un portrait de la famille Rose et en articulant son récit autour de la réalité politique et socio-économique du Québec des 60 dernières années, le film permet de mieux comprendre les motivations et le cheminement militant de son père, de son oncle Jacques et de toute une génération de jeunes engagés dans la lutte de libération nationale. Loin de faire l’apologie du FLQ et sans chercher à justifier les actions de son père, Les Rose propose une réflexion qui permet de renouer avec des notions d’engagement, de solidarité, de fraternité et de liberté.

 Un film nécessaire et réussi.

Let’s block ads! (Why?)

Source: Lire l'article complet de L'aut'journal

À propos de l'auteur L'aut'journal

« Informer c’est mordre à l’os tant qu’il y reste de quoi ronger, renoncer à la béatitude et lutter. C’est croire que le monde peut changer. » (Jacques Guay)L’aut’journal est un journal indépendant, indépendantiste et progressiste, fondé en 1984. La version sur support papier est publiée à chaque mois à 20 000 exemplaires et distribuée sur l’ensemble du territoire québécois. L'aut'journal au-jour-le-jour est en ligne depuis le 11 juin 2007.Le directeur-fondateur et rédacteur-en-chef de l’aut’journal est Pierre Dubuc.L’indépendance de l’aut’journal est assurée par un financement qui repose essentiellement sur les contributions de ses lectrices et ses lecteurs. Il ne bénéficie d’aucune subvention gouvernementale et ne recourt pas à la publicité commerciale.Les collaboratrices et les collaborateurs réguliers des versions Internet et papier de l’aut’journal ne touchent aucune rémunération pour leurs écrits.L’aut’journal est publié par les Éditions du Renouveau québécois, un organisme sans but lucratif (OSBL), incorporé selon la troisième partie de la Loi des compagnies.

Laisser un commentaire

Votre adresse courriel ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Recommended For You