La constitution du Québec et la monarchie

L’auteur est constitutionnaliste. Il a été l’un des procureurs bénévoles pour les demandeurs dans l’affaire Motard-Taillon et est l’auteur de La fin de la monarchie au Québec (Éditions du Renouveau québécois, 2018).

Dans une décision qui est passée inaperçue au cours de la pandémie, la Cour suprême a refusé d’entendre l’appel d’un jugement de la Cour d’appel qui a confirmé la validité d’une loi fédérale de 2013 sur la monarchie. Cette loi avait été contestée par deux professeurs de l’Université Laval, Geneviève Motard et Patrick Taillon, pour le motif que les modifications aux règles de désignation du chef de l’État canadien étaient soumises à la Constitution canadienne et au consentement de tous les États-membres de la fédération, comme en Australie.   Le rejet de cette position par les tribunaux a des conséquences constitutionnelles majeures :

  1. Le rapatriement de la Constitution en 1982 n’a pas eu lieu pour la monarchie. Malgré l’article 2 de la Loi sur le Canada adoptée par le Parlement britannique à ce moment, qui affirme que le droit britannique ne s’applique plus au Canada, seules les lois britanniques peuvent continuer à définir qui peut devenir le chef de l’État canadien.  Ces lois imposent que seule une personne britannique d’une ascendance particulière et qui est le chef de la religion anglicane peut occuper cette fonction. Cette règle est clairement contraire aux chartes des droits du Canada et du Québec et au principe de laïcité.
     
  2. Le Parlement canadien, encore moins l’Assemblée nationale, n’a aucune compétence autonome sur la désignation du chef de l’État canadien.  Le Canada est le seul pays du G-7 et la seule démocratie occidentale à laisser un autre État, en l’occurrence le Royaume-Uni, désigner son chef d’État. À la fin du règne d’Élizabeth II, son successeur deviendra automatiquement le Roi du Canada sans aucune loi fédérale ou provinciale à cet effet.   La monarchie a peu à voir avec la démocratie.
     
  3. Alors qu’on a beaucoup discuté de l’indépendance du Québec depuis plus de 50 ans et que tout le monde présumait que la question de la monarchie serait réglée par l’indépendance, le Canada n’est même pas lui-même indépendant sur le plan constitutionnel. La loi de 2013 a maintenu un rapport colonial avec le Royaume-Uni en se contentant d’exprimer l’assentiment du Canada à une loi étrangère qui modifiait les règles de succession au trône canadien. La High Court de l’Australie, la seule autre fédération concernée, a décidé au contraire que cette manière de procéder est incompatible avec l’indépendance de ce pays. La Nouvelle-Zélande a pris la même position que l’Australie.   Sur le plan constitutionnel, le Canada est moins indépendant que ces deux pays.

La seule façon de changer cette situation anormale est de modifier la Constitution du Canada. L’adoption d’un projet de Constitution du Québec par l’Assemblée nationale qui abolirait la monarchie pour le Québec déclencherait l’obligation de négocier du gouvernement fédéral et des autres provinces, élaborée par la Cour suprême en 1998, dans le but de rendre la Constitution du Canada conforme à la Constitution du Québec. Cela peut se faire de deux manières : abolir la monarchie pour l’ensemble du Canada ou seulement pour le Québec. L’obligation de négocier sera de toute manière déclenchée par l’Alberta en octobre 2021 par son référendum annoncé sur la péréquation, qui pourrait être suivi par des résolutions d’appui des assemblées législatives d’autres provinces dirigées par des gouvernements conservateurs. Cette obligation s’appliquera alors au Québec et rouvrira la Constitution canadienne. Le gouvernement du Québec devra obtenir un mandat de négocier de l’Assemblée nationale et du peuple québécois lors des élections de 2022.  Ce mandat devrait inclure l’abolition de la fonction de lieutenant-gouverneur et la création de la fonction de Président de la République associée du Québec.

Le nouveau ministre de la Justice serait favorable à l’adoption d’une Constitution du Québec. Par suite d’une motion présentée par la députée Catherine Fournier, il doit faire rapport à l’Assemblée nationale sur une première réflexion du gouvernement sur le sujet.  Il a déjà, à titre de leader parlementaire, proposé de rendre facultatif le serment d’allégeance à Sa Majesté pour les députés. Les constitutionalistes sont divisés sur la capacité de l’Assemblée nationale d’abolir ce serment, qui est en réalité porté à l’État canadien. Certains, dont je suis, croient qu’il s’agit d’un élément essentiel de la Constitution de 1867 qui ne relève pas de la compétence provinciale exclusive sur ses institutions parlementaires. La seule façon d’abolir le serment d’allégeance à la Reine est de modifier la Constitution du Canada. Tout compte fait, il vaut mieux aller au fond des choses, ne pas se contenter de demi-mesures timorées et demander carrément la transformation du Québec, et peut-être du Canada, en république afin de rendre la Constitution du Canada conforme à la Constitution du Québec, qui devrait contenir une clause de primauté fondée sur la souveraineté du peuple québécois.

Selon des sondages occasionnels au cours des années, de 65 à 80% des Québécois seraient favorables à l’abolition de la monarchie, un appui comparable à celui pour la loi 21. Il faut s’appuyer sur de tels consensus qui refusent le statu quo. Jusqu’à 40% des Canadiens hors-Québec préféreraient une république également. Les communautés d’immigrants ne font pas de grands monarchistes. La population de l’ensemble du Canada serait à peu près également partagée. Une proposition du Québec d’abolir la monarchie heurterait les élites traditionnelles anglophones qui considèrent que cette institution vétuste va au cœur de l’identité canadienne. Une telle proposition pourrait provoquer une crise existentielle dans les neuf autres provinces.

Afin de maintenir le consensus québécois, il vaut mieux se contenter de remplacer le lieutenant-gouverneur par un président au rôle symbolique comparable, plutôt que de bouleverser à court terme notre système parlementaire hérité des Britanniques, et que nous avons adapté, en faisant élire le président au suffrage universel et en lui confiant le pouvoir exécutif. Une telle innovation pourrait attendre un autre moment. Par ailleurs, le président pourrait aussi être appelé un gouverneur, ce qui rappellerait le régime français, si nous maintenons pour un temps encore le cadre canadien.

Le Québec devrait aussi profiter de la réouverture probable de la Constitution pour demander des pouvoirs accrus sur la langue, la culture, l’immigration et l’environnement, en plus d’un droit de regard sur la nomination des juges des tribunaux supérieurs et des sénateurs. Il serait téméraire pour le Canada de rejeter l’ensemble de ces propositions parce que l’échec de négociations constitutionnelles a contribué à la tenue des deux référendums sur la souveraineté.   Il appartient à un gouvernement à la fois nationaliste et fédéraliste comme celui de la CAQ de relancer le débat constitutionnel à l’intérieur de la fédération canadienne. Un quart de siècle s’est maintenant écoulé depuis le dernier référendum, une période trop longue pour les indépendantistes mais compréhensible dans l’histoire des peuples.

L’adoption d’une Constitution du Québec est beaucoup plus importante que la conclusion d’une nouvelle entente avec le Canada parce qu’elle est un important facteur d’identité nationale, comme l’écrivait son principal promoteur, Jacques-Yvan Morin. Les deux approches devraient toutefois aller de pair. La question de la monarchie pose celles de la démocratisation plus approfondie de nos institutions et de la souveraineté du peuple avant celle de l’État.   Elle remet profondément en cause la structure et les fondements de l’État canadien. Elle peut, couplée à la crise environnementale, devenir le fer de lance d’une remobilisation d’une nouvelle génération autour de la question nationale. Nous saurons ainsi si le passé est garant de l’avenir. Ou bien la Constitution de la République du Québec débouchera sur un nouveau partenariat avec le Canada qui respecte davantage notre autonomie, ou bien elle ouvrira les portes à l’indépendance s’il nous reste encore de la dignité collective. 

Let’s block ads! (Why?)

Source: Lire l'article complet de L'aut'journal

À propos de l'auteur L'aut'journal

« Informer c’est mordre à l’os tant qu’il y reste de quoi ronger, renoncer à la béatitude et lutter. C’est croire que le monde peut changer. » (Jacques Guay)L’aut’journal est un journal indépendant, indépendantiste et progressiste, fondé en 1984. La version sur support papier est publiée à chaque mois à 20 000 exemplaires et distribuée sur l’ensemble du territoire québécois. L'aut'journal au-jour-le-jour est en ligne depuis le 11 juin 2007.Le directeur-fondateur et rédacteur-en-chef de l’aut’journal est Pierre Dubuc.L’indépendance de l’aut’journal est assurée par un financement qui repose essentiellement sur les contributions de ses lectrices et ses lecteurs. Il ne bénéficie d’aucune subvention gouvernementale et ne recourt pas à la publicité commerciale.Les collaboratrices et les collaborateurs réguliers des versions Internet et papier de l’aut’journal ne touchent aucune rémunération pour leurs écrits.L’aut’journal est publié par les Éditions du Renouveau québécois, un organisme sans but lucratif (OSBL), incorporé selon la troisième partie de la Loi des compagnies.

Laisser un commentaire

Votre adresse courriel ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Recommended For You