Agresseurs présumés innocents

Agresseurs présumés innocents

En réponse aux dénonciations d’abus sexuels sur les réseaux sociaux, on entend souvent qu’on doit préserver la présomption d’innocence. Tant qu’une condamnation judiciaire n’aurait pas été prononcée, nous devrions présumer que l’accusé est innocent. Le public devrait s’abstenir de croire la victime tant que le tribunal n’a pas tranché.

La réalité est plus complexe.

La présomption d’innocence est un principe juridique selon lequel l’accusé n’a pas à prouver son innocence. Son accusateur doit démontrer que l’accusé est coupable et, tant que cette démonstration n’est pas accomplie, on doit le traiter comme s’il était innocent.

Vient ensuite le fardeau de la preuve. Selon le droit criminel canadien, le procureur de la Couronne doit démontrer la culpabilité de l’accusé hors de tout doute raisonnable. Dans le doute, le tribunal déclare que l’accusé est non coupable.

Une déclaration judiciaire de non-culpabilité est distincte de l’innocence au sens où on la conçoit communément.

Le juriste anglais William Blackstone affirmait en ce sens qu’« il vaut mieux avoir dix coupables en liberté qu’un innocent en prison ».

Si le tribunal estime que l’accusé est probablement coupable, mais qu’un doute raisonnable persiste néanmoins quant à sa culpabilité, il le déclare non-coupable. On comprend ainsi qu’une déclaration judiciaire de non-culpabilité est distincte de l’innocence au sens où on la conçoit communément.

Plainte, accusation et dénonciation

Dans plusieurs cas, une plainte à la police n’est pas une démarche prometteuse pour une victime d’agression sexuelle.

En l’absence de preuve matérielle ou de témoin — ce qui est généralement le cas des agressions sexuelles — la preuve se limite à la parole de la plaignante. Face au déni de l’accusé, la parole d’une plaignante doit être remarquablement crédible pour constituer une preuve hors de tout doute raisonnable.

Ceci explique pourquoi c’est souvent lorsque plusieurs victimes dénoncent le même agresseur que des accusations sont finalement portées devant le tribunal : la crédibilité de leurs paroles cumulées peut plus facilement constituer une preuve hors de tout doute raisonnable.

De par leur nature, les agressions sexuelles sont un crime difficile à prouver hors de tout doute raisonnable. Tant que la technologie ne nous aura pas offert un détecteur de mensonges parfaitement fiable, les tribunaux ne pourront pas condamner l’ensemble des agresseurs même si toutes les victimes portaient plainte.

Quand nous sortons de la sphère judiciaire pour revenir dans la sphère sociale, il faut bien discerner ce qu’on entend au sujet de la présomption d’innocence. Dans la mesure où une dénonciation n’est pas envisagée en termes judiciaires, on ne doit pas attendre une décision du tribunal avant de nous prononcer sur la crédibilité d’une victime.

Si une victime est crédible, on peut la croire. On peut avoir des doutes, mais il est tout à fait légitime de croire une victime. Et ce même si les tribunaux n’ont pas condamné son agresseur. 

Il est tout à fait compréhensible que plusieurs victimes ne portent pas plainte à la police même si l’agression qu’elles ont subie est réelle.

Les procès populaires

Les procès populaires sur les réseaux sociaux sont problématiques. Ils sont propices aux règlements de comptes et aux mensonges stratégiques, surtout quand les dénonciations sont anonymes ou lorsqu’elles concernent des personnalités publiques. Sans oublier que leurs conséquences peuvent être disproportionnées avec l’acte commis.

Cependant, exiger aux victimes de porter plainte à la police et de miser sur une condamnation judiciaire n’est pas toujours une solution satisfaisante. Plusieurs victimes savent que leur parole n’écarterait pas tout doute raisonnable devant le tribunal. D’autres victimes n’ont pas la force requise pour traverser les épreuves d’une instance judiciaire.

Les procès populaires sont problématiques, mais les procès judiciaires le sont aussi.

Certains discours militants nous enjoignent de croire toutes les dénonciations. Pourtant, les mensonges existent et, si les dénonciations deviennent une arme efficace pour détruire la réputation et la carrière de nos adversaires, ils risquent de se multiplier. Certaines dénonciations sont peu cohérentes avec les faits connus, leur crédibilité est donc faible.

Malgré tout, j’estime que la plupart des dénonciations sont crédibles. Entre la honte d’afficher une vulnérabilité intime et le danger d’une contrattaque par l’agresseur et ses supporteurs, les victimes sont surtout incitées au silence. 

Pour de trop nombreuses victimes, il est plus sécuritaire de reconstruire leur vie en portant ce terrible secret.

C’est pourquoi on doit reconnaitre le courage des victimes qui dénoncent, et ce peu importe si elles ont porté plainte et si la justice a condamné leur agresseur. Une victime peut être plus ou moins crédible pour de nombreuses raisons, mais l’absence de plainte à la police et de condamnation judiciaire ne fait pas partie de ces raisons.

Cet enjeu est compliqué, mais une chose est certaine : la présomption d’innocence ne disqualifie pas les dénonciations d’agressions sexuelles qui sont lancées présentement sur les réseaux sociaux.


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