Figures de style 2

ALLAN ERWAN BERGER — Et voici le retour du jeudi. Comme prévu, nous continuons avec les figures de style. Toutes ne sont pas d’une utilité féroce, mais chacune a été dotée d’un nom, même les plus improbables. Voilà bien encore une fois la preuve de l’évidente passion qu’ont les humains pour les rapports contre-nature avec certains hyménoptères, et pour l’art du cisaillage capillaire en menus morceaux.

Épiphore :

Répétition d’un même élément à la fin de plusieurs phrases ou morceaux de phrases. Une manière facile de rimailler, comme de faire passer un message.

Il n’y en avait plus qu’un, évidemment.
Et pas le plus gros, évidemment.
Il est question de cornichons, évidemment.

Épiphrase :

Nous voilà proche de la digression. C’est un commentaire, un ajout qu’on pourrait enlever sans nuire au sens, mais qui a la vertu, parfois de le renforcer, parfois de l’enrichir d’une fratrie, souvent d’alanguir le texte.

C’était le plus magnifique, le plus glorieux, le plus puissant (puisqu’après tout, gloire et puissance sont étymologiquement liées – voyez le mot “glaive”) des cornichons. Il était là, dans son bocal, seul, comme sont tous les princes.

Éthopée :

Phrase ou ensemble de phrases donnant à sentir le caractère d’une personne ou d’un groupe, mais ne le décrivant pas. Dominer l’éthopée, c’est maîtriser un des arts du portrait, et l’une des bases de la rhétorique.

Il se mit à jeter partout de petits coups d’œil furtifs et disserta de ceci, de cela, tâchant d’attirer notre bande de galopins loin du placard à conserves. Il nous dirigea, pour ce faire, vers la cuisine, et surtout vers le réfrigérateur, où reposait apparemment un Pinot blanc olympien au moins, pur nectar de six ans d’âge mollement allongé sur un lit de saumon fumé, qui ne serait que pour nous. Et c’était vrai ! Il nous laissa tous trois à genoux devant cette merveille et, prenant au passage une fourchette, disparut vers le cellier.

Euphémisme :

Atténue le sens d’un mot ou d’une expression en usant d’une autre tournure, moins douloureuse, moins violente, ou moins vulgaire.

Longtemps pour les cornichons j’eus quelques bontés.
Maintenant je les envoie promener.

Explétion :

À vos souhaits. C’est une maladie de mot. On en rajoute un ou deux inutilement, qui n’apportent rien, qu’on pourrait enlever et qu’on laisse pourtant, par souci d’accentuer le trait. C’est tout de même plus pardonnable qu’un pléonasme. Une explétion ratée a du style, une explétion réussie doit être moche. Pas facile !

Un gros gras cornichon, boudiné, bouffi tout rond, charcutiaire en somme, trônait tel un fier boudin vert enrobé d’aneth et d’oignons écrasés.

Figura etymologica :

Si l’on veut faire son intéressant, on assemblera des mots d’origines diverses mais d’écriture identique. Ce n’est donc pas une répétition, aussi les correcteurs ne pourront-ils rien dire. Cependant, c’est souvent laid. Voir aussi à « Traductio ».

Ce cornichon était si gros qu’il m’en boucha la bouche.

Gradation :

Je dispose des termes, non identiques mais de sens voisins (pléonasme à l’horizon) en une suite croissante ou décroissante d’intensité. En outre, je puis, si j’ai l’esprit taquin, briser ma suite par une chute inattendue, faible dans une gradation croissante, forte dans une gradation décroissante. Mais je ne le ferai pas.

C’était un cornichon bien singulier ; étrange de grosseur, il défiait l’entendement et toute commune mesure par une ampleur monumentale, une envergure proprement vertigineuse. On aurait dit une courgette, une citrouille verte, un de ces melons fantastiques qu’on aimerait jeter dans les jeux de quilles ; c’était un monstre qui faisait songer à la tour Eiffel, au ciel immense, à Dieu.

Harmonie imitative :

Chapelet de sons qui se répètent, dans l’intention, souvent, d’illustrer un bruit. C’est rarement évident.

Il salivait, balbutiait, glatouillait d’abondance. Sa bouche faisait des bulles tandis qu’il cherchait, partout, une fourchette. Il venait de découvrir, solitaire dans un bocal, un énorme cornichon, visiblement oublié. Pur péché !

Hendiadyn :

Ou hendiadys. Ce procédé rassemble dans un même instant deux phénomènes qui, dans le temps, se suivent, l’un déterminant l’autre.

Il vit le cornichon et ses promesses. « Oh ! Délices et culpabilité ! », s’écria-t-il avant de foncer, hagard, à la cuisine chercher un ustensile, un alibi.

Homéotéleute :

C’est, très simplement, une suite de mots finissant par un même phonème. On s’en sert pour s’amuser, pour faire le pitre.

C’était un cornichon gras comme un cruchon, folichon polochon de la race, assurément, des patachons. Poil aux greluchons.

Hypallage :

On dit une hypallage. Il s’agit d’associer à un mot un terme qui, raisonnablement, devrait être attribué à un autre mot, voisin dans la phrase.

Parfois, les hypallages se croisent, comme dans ce premier vers d’on ne sait quelle strophe :

Tel cornichon qui s’écrase, réjoui, sur ta langue embellie…

Évidemment, ce n’est pas tout à fait du Rimbaud, mais l’on découvre ici une technique permettant d’apporter des sens inattendus et pas forcément idiots à des phrases qui, autrement, feraient bâiller. Car si quelque chose ici devait être embelli, c’était évidemment le cornichon, tandis que la langue se serait réjouie. Mais alors, quelle catastrophe :

Tel embelli cornichon qui s’écrase sur ta langue réjouie…

Bon sang, on se croirait à l’Académie ! Heureusement, l’hypallage nous sauve. Sentez-vous comme le surréalisme approche ?

Hyperbate :

L’hyperbate accorde du temps au temps. En séparant deux objets qu’habituellement on considère simultanément (je rappelle qu’ici, il s’agit d’un cornichon dans un bocal), ce procédé donne à savourer une progression.

« Mais bon sang qu’avez-vous donc à tourner-virer devant ce fichu buffet ! Laissez-moi voir ! Et rendez-moi cette fourchette ! » Il fallut lui laisser la place. Elle ouvrit le battant. Apparut le royal bocal, et sa majesté le cornichon.

La suite next week.

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