Figures de style 1

Pepinillos (détail) par Tamorlan. Source Wikimedia Commons

ALLAN ERWAN BERGER — Cette semaine, je lis pour m’amuser un petit recueil d’articles de Javier Marías, publié chez Gallimard sous le titre Littérature et fantôme, 2009. Or, voici qu’au détour d’un papier sur la critique littéraire, l’auteur nous rappelle que l’écrivain est parfois soumis à des attaques lancées par de drôles de zozos : voici par exemple de terribles puristes pour lesquels bien des transgressions, même mineures, et qui pimentent d’ordinaire n’importe quel texte un peu travaillé, sont d’abord des incorrections… Ha, misère, il fallait écrire académiquement !

Javier Marías énumère quelques-unes de ces horreurs à cause desquelles l’esprit libre s’attire les foudres des ci-dessus foies séchés (je crois que je viens de prendre parti). À cette occasion j’ai découvert qu’il existe des hendiadys et des aposiopèses, des catachrèses, des phébus et même des hypallages, tout un puissant bestiaire que désapprouvent donc certains critiques littéraires– nul n’a édicté qu’un critique eût à être sage, et à tempêter contre l’abus plutôt que l’usage, et tout critique se sent le roi, donc bof.

En attendant, que de surprises à la lecture de l’ouvrage de Marías ! Des pléonasmes et des répétitions, oui, chacun connaît cela, mais des anaphores, mais des hypotaxes, mais des zeugmes, ou zeugma ? On ne m’avait pas prévenu. Je n’étais pas au courant. Que le monde est vaste…

Et donc, sans ces bizarres chimères, nous dit l’auteur, il n’y aurait pas de littérature qui vaille… Terrifié à l’idée de faire de la littérature ne vallant rien, inquiet en outre à l’idée de me lancer à faire de l’hyperhypotactique sans le savoir, vite j’ouvris quelques sites dédiés à ces animaux-là, et entrepris d’essayer de comprendre de quoi il retournait.

Rapidement, devant le virulent défi d’interprétation des mots que représentait à mes yeux la moindre définition de la plus humble de ces figures de style qui hantent la langue française, son écriture et son oralité, il me vint envie de bricoler un petit manuel d’exercices (le millième au moins, de tous ceux qui sont dédiés à ce sujet curieux, mais celui-ci est le mien à moi) avec des exemples. Aussitôt dit, aussitôt fait : nouveau fichier, page blanche, doigts frémissants… Je décidai toutefois de me limiter, pour le sujet de mes expériences, à une chose bien humble, et à m’y tenir. Voici donc, ci-dessous et pour les quelques semaines qui viennent, un recueil des différentes figures de style dont j’ai pu avoir connaissance, recueil qui se présente sous la forme d’une suite de variations autour d’un seul thème : des cornichons dans son bocal, sur un lit de petits oignons blancs.

Nota bene que les descriptions qui suivent sont de mon cru, et sont moins des définitions que des interprétations en language courant des vraies bonnes définitions, lesquelles trônent dans les endroits sérieux, escortées de mots bien précis et pointus. Toute personne un peu au fait de l’art oratoire hennira donc de mépris à la lecture de mes babioles, et s’empressera d’aller voler ailleurs. Adieu, donc, aux puissants esprits. Et je commence…

FIGURES DE STYLE
 
AUTOUR D’UN GROS CORNICHON,
D’UN BOCAL,
ET DE PETITS OIGNONS

Allitération :

Répétition de consonnes destinées à être détectées par le lecteur, qui se retrouve en avoir plein la bouche, et ne sait plus ni où il en est ni ce qu’il lit. Souvent, ce charabia crée du pur galimatias, ou salmigondis.

Six cornichons nichant en corniche chantant en corps face à six psittacidés perchés postillonnant des psaumes, c’est le jour et la nuit.

Ces charnus cornichons cornus qu’on rogne en grenues chiures à sandwich, j’en grogne.

Allusion :

Cette figure consiste à évoquer sans les nommer des personnes, des lieux, des traits. C’est facilement un jeu, souvent une arme. Ainsi, d’un foutu xénophobe :

Ce soir…
Le haut maître des cornichons,
Qui n’aime les oignons que blancs,
Passera à vingt heures tapantes à la télénichons.
Soyez tous devant vos écrans.

Amphigouri :

Ratatouille, salade de n’importe quoi. Quand on veut être obscur, un peu comique, bizarre ou tout simplement spectaculaire à lire, on doit faire un amphigouri. Mais un bon spécimen est chose malaisée à commettre. Trop clair, il est raté ; trop obscur, on l’abandonne.

Au bocal, noyés dans les oignons, rôdent, verts cachalots hydrostats, les vastes cornichons, dirigeables au milieu des montgolfières. Tournez manège, passent les petites boules, et la fortune, en l’espèce d’un brillant ustensile ou d’une méchante paire de bâtons, s’en vient saisir un lauréat. L’espace s’agrandit. Les perdants se dilatent, les aulxs pleurent un peu.

Anacoluthe :

Il n’est pas toujours utile de tout écrire. L’économie d’un ou deux mots, en allégeant une phrase, la rend parfois plus agréable à lire.

Je vis, dans un bocal, un cornichon géant. Aussi des oignons blancs. Au lieu de : Je vis aussi des oignons blancs.

Anadiplose :

Afin de marquer une liaison entre deux propositions, l’anadiplose recopie la fin de la première au début de la seconde.

Dieu créa le ciel et les étoiles ; les étoiles firent les molécules ; les molécules créèrent la Vie ; la Vie voulut des cornichons, et les cornichons des oignons. Voilà pourquoi nous autres, petits oignons, sommes à la base de tout : que l’on périsse et l’univers s’effondre.

Anaphore :

C’est le mot savant pour dire « répétition ». Il s’agit de commencer chaque phrase ou groupe de phrases par un même mot ou ensemble de mots.

Au large, les morceaux de céleri !

Au large, les bouts de carottes, les brins de machin, les petits chichis.

Pour les cornichons il faut du simple, du puissant, du qui emporte ! Pour les cornichons, il faut du poivron, de l’ail et des oignons.

Anastrophe :

C’est une espèce d’inversion, destinée à souligner un aspect de la phrase. Chrétien de Troyes et Rabelais sont truffés d’anastrophes. Toute langue d’origine latine sait les exploiter, et le turc aussi, qui autorise toutes les dispositions des mots dans une phrase, pour autant qu’elles soient pertinentes.

Onques ne vist-on plus meschiant correnichon qu’iceluy qui céans se tenoit, et nous narregousioit depuis son boucal, hors de peine et tout en seureté, et nous jectoit encor aulcuns petits oingnuns blans qui nous meirent en grande affliction de ne pouvoir tirer merci de cette malecourge.

Antanaclase :

Je répète un mot en lui affectant un de ses autres sens. Le contexte, Dieu merci, éclaircira le tout, moi je m’en lave les mains.

Qui n’aime pas les cornichons n’en est qu’un gros, de cornichon. On peut aussi faire des antanaclases elliptiques : Qui n’aime pas les cornichons n’en est qu’un gros.

Antiphrase :

Dans l’intention d’affirmer une chose, j’exprime sournoisement son contraire. Personne n’est dupe mais on ne peut m’accuser, puisque je n’ai pas véritablement dit ce que les autres entendent. Je suis innocent, et pourtant haïssable.

Ah, mais, que de cris pour trois malheureux cornichons ! Mon dieu mon dieu, je mérite la mort, c’est évident. Tu ne veux pas me fouetter ?

Une antiphrase réduite à un mot, c’est une litote :

Ils découvrirent, éberlués, la taille phénoménale, et, pour ainsi dire, citrouillesque, du fameux cornichon. « Seigneur, quel squelette ! » s’exclama Théodore.

Antithèse :

L’antithèse établit une opposition de sens ou de valeur, simple ou double. Très utilisée chez les moralistes, les satiristes, les fabulistes, les humoristes, mais aussi chez les anciens orateurs ou, plus grave, dans les blagues Carambar.

« Mieux vaut être gros mais fade, que petit et savoureux ; foi de cornichon.

— Mieux vaut être petit et sauf, que gros et harponné ; foi de cornichon aussi. »

Antonomase :

Il s’agit d’utiliser un nom propre, ou une périphrase, en tant que nom commun. On met ici l’accent sur une particularité importante du sujet.

Alors attention, parce qu’il est extrêmement dangereux de laisser cet individu ici présent tout seul dans un cagibi plein de conserves : c’est le Don Juan des cornichons, le serial-killer des concombres, l’Attila des vinaigrettes. Ferme ton placard à clef, et mange la clef. C’est mon conseil.

Aposiopèse :

Il n’est point toujours besoin de finir ses phrases.

Oh, mais alors ! Ce cornichon, si je ne me retenais !

Assonance :

Dans une phrase, répétition obstinée d’un son. Ici, le son « on ».

Ce cornichon est trop bon, mon ronchon compagnon. Tu fus bien couillon de dire « non » à ce rond pataton.

Asyndète :

On supprime les connecteurs. Ne restent plus que des bouts de phrase, que le lecteur collera comme il peut. Cette figure a son utilité.

Apparut le bocal. Le contenu tournait doucement. On vit passer, lent carrousel, les petits oignons… Le cornichon… D’autres oignons encore… C’était beau.

Catachrèse :

Dans une catachrèse, on affecte à un mot un sens nouveau. Une catachrèse réussie n’est pas tirée par les cheveux, mais tout de même un peu ébouriffante. Quand elle prend bien, on oublie l’ancêtre, on ne connaît plus que le rejeton. Notre langue est pleine de mots catachrisés : qui sait encore ce que fut, jadis, un malotru ? Voici maintenant un idiotisme gastronomique :

« Bon sang mais quel frustre imbécile ! A-t-on idée d’enfermer un si magnifique spécimen ! Enfin quoi, un cornichon pareil, mais ça s’expose ! Qu’est-ce que tu as dans la tête, calamiteuse bourrique ? Car ce n’est pas un cerveau, c’est impossible ! Un cornichon, c’est ça ?

― Eh oh attention hein ? On reste poli, s’il vous plaît. Un cornichon…

― Et alors ? Mais oui, un cornichon ! Je veux, un cornichon ! Ton cerveau, c’est un cornichon ! Aussi placide, aussi dépourvu d’initiative, avec la nervosité d’une limace ! D’ailleurs, c’est tout toi qui es un cornichon. Cornichon ! Cornichon ! »

Chiasme :

À votre santé. Il faut deux paires de mots ou de groupes de mots, que l’on permutera, si nécessaire, jusqu’à obtenir une symétrie entre les paires. Ainsi, au lieu d’avoir (A1, A2) et (B1, B2), on écrira (A1, A2) et (B2, B1).

Ayant un concombre pour père, et pour mère une enclume,
J’ai le poil redoutable, et redoutable est ma plume.

Cliché :

C’est l’utilisation, naïve ou paresseuse, d’une formule éculée, dont le tranchant s’est émoussé par de trop nombreuses utilisations sans esprit. Le journalisme est ainsi souvent accablé de clichés, de formules toutes faites qui durent cinq ans et qui s’épuisent, et durent encore vingt ans, cinquante. Mais elles auront d’abord épuisé le lecteur.

Ils étaient serrés comme des sardines en boîte, comme des cornichons dans un bocal.

C’est un cliché, on baille. L’esprit s’enfuit en hurlant.

Digression :

Le train déraille. Il s’en va cahoter dans les champs, fait un petit tour à la rivière, puis s’en revient, grimpe au talus du chemin de fer, et se remet, innocent, sur sa voie, et dans le bon sens ; tout à fait comme si de rien n’avait été. Mais les voyageurs, bien secoués, se demandent vraiment où l’on est.

Une bonne digression n’est pas trop longue. Une mauvaise conduit au fond de la fosse.

Donc ! Après avoir fait bouillir l’eau et le vinaigre, après avoir inséré les oignons et les quelques herbes aromatiques que votre recette affirme nécessaires, placez au milieu du bocal le plus beau de vos cornichons. Vous l’entourerez ensuite avec des fruits plus petits, plus normaux, mais là, au milieu, il en faut un qui soit comme un miracle, réjouissant de pétaradante santé. Un vrai bouddha, surtout pas du genre à décoller… Oui, je dis ça parce que… saviez-vous qu’il y a des cornichons qui volent ? Mais si ! On en trouve parfois dans les talus, les friches des zones industrielles, là où l’on fout la paix aux mauvaises herbes. Ces galopins, quand vient la bonne saison, s’enfuient dès qu’on les touche : bang ! Les voilà propulsés dans l’éther par une petite capsule de gaz qu’ils ont au pied et qui déjà frémit lorsqu’on s’en approche. C’est alors un jeu sans fin de secouer les buissons, pour faire bondir les cornichons dans tous les sens, par-dessus les haies, les hangars, et atterrir dans les lointains jardins où ils tourmentent alors chiens, chats et ménagères, que ces avalanches de choses vertes et sautillantes insupportent, surtout sur un gazon fraîchement coupé. Du reste, et je vous le dis comme on me l’a dit, triez bien vos herbes avant de passer la tondeuse ! Ces petits légumes sont diaboliques, et vous bousillent une lame de faux aussi vite qu’un caillou. On appelle ça des concombres explosifs, ou cornichons d’ânes. Boum ! Donc, lâchés dans un jardin, c’est terrible. La lame qui passe là-dessus, c’est plié, elle se tord. Ou même, il arrive qu’elle se brise, et te fiche des éclats dans le carter. Du coup, plus de tondeuse, et de l’huile partout sur l’herbe verte. Si la maréchaussée qui passe à cet instant s’avise que vous faites une vidange sans protection contre la pollution des sols, votre compte est bon. Vous aurez l’air bête alors, à porter votre accidentée bricole au garagiste. Vous lui direz quoi ? Que vous avez fauché des cornichons, et que vous avez récolté une amende ? Il va croire que vous vous payez sa pomme. Où en étais-je ? Oui, donc, mettez-en un gros, mais inerte.

Ellipse :

Là, il manque vraiment des mots. Imaginez un pont sans arche . Il n’y a plus que les piles. Cependant, le récit est passé d’une rive à l’autre ; il vous revient, pour continuer à le suivre, de rétablir un tablier, fortement imaginaire par la force des choses évicemment. C’est-à-dire que celui-ci est sous-entendu. Attention : abondance d’ellipses donne le tournis.

Ces oignons ont leur cornichon ; ce cornichon, son bocal ; ce bocal, son buffet. Très bien. Mais moi alors, hein ? Eh bien moi, rien. Donc je me tape le buffet, le bocal, le cornichon, et tant pis pour les oignons. Ils n’avaient qu’à ne pas.

Énallage :

Substitution, dans une phrase, d’une forme grammaticale par une autre du même genre. Ce peut être un temps, un mode, un nom ou un pronom, un adjectif qui remplace un adverbe.

Aujourd’hui je fais gras, je fais gros, je mange sale ! Je m’empiffrerai d’un cornichon, cauchemar de bestiau, foutue holoturie qui me bavera dégueu de partout mais je m’en fous.

Épiphonème :

Insertion, à des fins de commentaire, d’une petite phrase bien sentencieuse, proverbiale tout plein, à l’intérieur d’un discours.

« Occupez-vous de vos oignons, bande de rastaquouères ! » On voulut raisonner l’irascible. Il se fâcha encore plus ; il en devint même bête. On lui ravit la clé du buffet. Il alla chercher un marteau. Il voulait à toute force se bâfrer ce fichu cornichon. Il brandit son arme… Je vous le dis : des sots ne contrariez jamais la fureur. Nous lui abandonnâmes son caprice, et retournâmes à la cuisine.

La suite next week !

FIN

Source: Lire l'article complet de Les 7 du Québec

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