Hirak*, NED et ONG algériennes — Ahmed BENSAADA

Hirak*, NED et ONG algériennes — Ahmed BENSAADA

On l’aura remarqué : dès que l’on parle de financements étrangers, une réaction pavlovienne est immédiatement activée : les yeux sont exorbités, la salive est sécrétée, les langues sont aiguisées et les claviers subissent, inexorablement, la frénésie des phalangettes. Seules les méninges restent en mode « repos ».

On a beau exhiber des documents sérieux, des références solides ou des témoignages en béton. Rien n’y fait.

Mais, ne perdons pas espoir et essayons de réveiller ces méninges anesthésiées.

Lorsque j’ai entrepris d’écrire mon article « Huit ans après : la « printanisation » de l’Algérie » (publié le 4 avril 2019), j’ai eu besoin de consulter le site de la NED pour me renseigner sur le financement des ONG algériennes.

Ouvrons ici une petite parenthèse. En 2011, à l’écriture de mon premier livre sur le « printemps » arabe, « Arabesque américaine », le site de la NED offrait la possibilité de consulter les rapports des six dernières années. Après la publication de ce livre, l’accès n’était permis qu’au seul rapport de l’année précédente. Et c’est toujours le cas jusqu’aujourd’hui.

Je suis donc allé télécharger le rapport NED 2018 relatif à l’Algérie en date du 26 mars 2019, comme mentionné dans le document qu’il est possible de consulter en ligne en cliquant sur le lien suivant :

Rapport NED Algérie 2018 (26 mars 2019)

Comme on peut le constater, les montants et les bénéficiaires sont clairement indiqués. Pour la première subvention, le CIPE (Center for International Private Enterprise), un des quatre satellites de la NED est nommé en toute lettres.

La publication de mon article sur la printanisation de l’Algérie avait provoqué des remous et des questionnements, mais avait aussi engendré des tonnes de quolibets du genre « complotiste » et « conspirationniste ».

Pour des fins de vérifications, je suis revenu au site de la NED le 8 octobre 2019 afin de revoir le financement Algérie 2018. Quelle ne fût ma surprise de remarquer que le rapport avait été modifié :

Cliquez ici pour lire le rapport NED Algérie 2018 (8 octobre 2019)

Les textes et les montants sont les mêmes, mais la désignation des bénéficiaires a complètement disparu.

Pourquoi une institution aussi imposante que la NED a-t-elle été amenée à biffer les noms des bénéficiaires de ses subventions ?

Aurait-elle reçu des instructions de sa tutelle ? Ou est-ce que les ONGistes algériens se seraient plaints ?

Les deux éventualités suggèrent, de toute façon, une collaboration active entre les ONG et la NED et ce, durant le Hirak.

Poursuivons notre idée. Qu’en est-il du rapport 2019 ? Va-t-on connaître les noms des heureuses ONG algériennes qui ont gagné le jackpot ou ce sera motus et bouche cousue ?

Voici en ligne le rapport 2019 :

Rapport NED Algérie 2019

De l’argent, des domaines d’activité, des missions, mais point de bénéficiaires. La nouvelle règle qui consiste à taire les noms des ONG algériennes financées est donc adoptée.

Mais ce qu’il y a de très intéressant, c’est le pourquoi de ce financement en cette période cruciale de l’histoire de l’Algérie.

Voici une traduction en français de ce rapport 2019 :

NED – Algeria 2019

Plaidoyer pour la justice transitionnelle et l’état de droit

Droits humains

36 000 $

Promouvoir l’état de droit, les droits de l’homme et les pratiques de justice transitionnelle. L’organisation organisera des débats et une conférence sur l’état de droit et l’indépendance de la magistrature, organisera un séminaire sur la mémoire collective et la justice transitionnelle, continuera de soutenir son centre de recherche sur la préservation de la mémoire et des droits de l’homme et renforcera son programme radiophonique hebdomadaire sur des sujets liés aux droits de l’homme et à la justice transitionnelle en Algérie.

Jeter les bases d’un engagement politique

Institut républicain international (IRI)

200 000 $

Soutenir les démocrates algériens dans leur participation active à la transition politique actuelle. L’institut engagera diverses parties prenantes gouvernementales et non gouvernementales par le biais de consultations et d’un dialogue sur leurs priorités et besoins initiaux. L’institut établira des relations avec les parties prenantes et jettera les bases d’un engagement futur visant à rétablir la confiance entre les principaux acteurs politiques et ceux de la société civile grâce au dialogue sur les questions politiques, sociales et économiques fondamentales.

Promouvoir les droits de l’homme

Droits humains

30 000 $

Renforcer les capacités des défenseurs des droits humains en Algérie. L’organisation organisera des ateliers de formation sur la communication avancée, les stratégies de plaidoyer et les mécanismes des Nations Unies et régionaux des droits de l’homme. Elle organisera également des consultations sur la sûreté et la sécurité des défenseurs des droits de l’homme et produira un manuel de documentation pour enregistrer et suivre les cas de défenseurs des droits de l’homme.

Promouvoir l’engagement des jeunes

Éducation civique

25 000 $

Promouvoir l’activisme civique auprès des jeunes marginalisés en Algérie. L’organisation organisera une série d’ateliers de renforcement des capacités pour les jeunes et les acteurs civiques sur les compétences en leadership, les droits des citoyens, la participation politique des jeunes, les valeurs démocratiques et le système économique et politique de l’Algérie ; organiser des visites sur le terrain dans les entreprises locales et les organisations communautaires ; et diriger des projets communautaires d’action sociale.

Le tableau suivant résume les missions assignées par la NED aux ONG algériennes qu’elle finance :

Domaine

Montant

Mission

Plaidoyer pour la justice transitionnelle et l’état de droit

Droits humains

36 000 $

Promouvoir l’état de droit, les droits de l’homme et les pratiques de justice transitionnelle.

Jeter les bases d’un engagement politique

International Republican Institute (IRI)

200 000 $

Soutenir les démocrates algériens dans leur participation active à la transition politique actuelle.

Promouvoir les droits de l’homme

Droits humains

30 000 $

Renforcer les capacités des défenseurs des droits humains en Algérie.

Promouvoir l’engagement des jeunes

Éducation civique

25 000 $

Promouvoir l’activisme civique auprès des jeunes marginalisés en Algérie.

Tout d’abord, commençons par l’IRI. Cette composante de la NED était dirigée par feu le sénateur John McCain (1936 – 2018). Ce belliqueux sénateur a été personnellement très impliqué dans les révolutions colorées, mais aussi dans l’Euromaïdan (Ukraine) et le « printemps » arabe. C’était un fervent adepte de la « lutte non violente » théorisée par le philosophe américain Gene Sharp (1928 – 2018) et popularisé par les Serbes de CANVAS.

Viktor Iouchtchenko et John McCain (Kiev, Février 2005)

Révolution Orange (Ukraine)

John Mc Cain (Kiev, 15 décembre 2013)

Euromaïdan (Ukraine)

Et qu’est-ce que nous a proposé l’IRI pour notre Hirak ? 200 000$ pour « soutenir les démocrates algériens dans leur participation active à la transition politique actuelle ».

On aurait tellement aimé connaître la chanceuse ONG récipiendaire !

Ah ! La générosité de l’IRI ! Dommage, John McCain en personne aurait déambulé dans les rues d’Alger après la « démocratisation » de l’Algérie.

John Mc Cain visite les pays arabes printanisés

Un simple contrôle de ses « investissements »

La générosité de la NED ne s’arrête pas là : 36 000$ pour « promouvoir l’état de droit », 30 000$ pour « renforcer les capacités des défenseurs des droits humains en Algérie » et 25 000$ pour « promouvoir l’activisme civique auprès des jeunes marginalisés en Algérie ».

La NED qui vient à la rescousse des « démocrates », de « l’état de droit », des « défenseurs des droits humains » et des « activistes civiques ». En plein Hirak ! Quel élan altruiste !

Alors, la réaction pavlovienne est-elle toujours là ou est-ce que les méninges sont finalement sorties de leur torpeur ?

Ahmed BENSAADA

* Hirak est un mot arabe signifiant étymologiquement « mouvement ». Il désigne des mouvements de contestations populaires dans les pays du monde arabe.

Notes du Grand Soir :

Notre site a publié de nombreux articles prouvant de manière irréfutable que la NED est un paravent de la CIA. Celui-ci, par exemple, qui est une interview d’un ancien agent de la CIA : https://www.legrandsoir.info/interview-avec-philip-agee-ancien-agent-d…

Maxime Vivas, administrateur du Grand Soir en a apporté la preuve dans son livre « La face cachée de Reporters sans frontières » (2007). Il a montré aussi par ailleurs sur notre site le rôle actif de la NED au Venezuela, au Tibet, au Xinjiang…

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Source: Lire l'article complet de Le Grand Soir

À propos de l'auteur Le Grand Soir

« Journal Militant d'Information Alternative » « Informer n'est pas une liberté pour la presse mais un devoir »C'est quoi, Le Grand Soir ? Bonne question. Un journal qui ne croit plus aux "médias de masse"... Un journal radicalement opposé au "Clash des civilisations", c'est certain. Anti-impérialiste, c'est sûr. Anticapitaliste, ça va de soi. Un journal qui ne court pas après l'actualité immédiate (ça fatigue de courir et pour quel résultat à la fin ?) Un journal qui croit au sens des mots "solidarité" et "internationalisme". Un journal qui accorde la priorité et le bénéfice du doute à ceux qui sont en "situation de résistance". Un journal qui se méfie du gauchisme (cet art de tirer contre son camp). Donc un journal qui se méfie des critiques faciles à distance. Un journal radical, mais pas extrémiste. Un journal qui essaie de donner à lire et à réfléchir (à vous de juger). Un journal animé par des militants qui ne se prennent pas trop au sérieux mais qui prennent leur combat très au sérieux.

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