Trente ans après l'échec de l'accord du lac Meech, les adeptes du fédéralisme renouvelé n'ont toujours pas retrouvé leur souffle. Retour sur une histoire de trahisons.

Trente ans après l'échec de l'accord du lac Meech, les adeptes du fédéralisme renouvelé n'ont toujours pas retrouvé leur souffle. Retour sur une histoire de trahisons.

C’est une histoire de trahisons, petites et grandes.

À l’été 1990, l’éclatement de l’accord du lac Meech, qui prévoit la reconnaissance de la société distincte québécoise au sein du Canada dans la loi fondamentale du pays, coupe court à tout espoir de voir le Québec réintégrer la famille constitutionnelle canadienne « dans l’honneur et l’enthousiasme », huit ans après en avoir été exclu.

La persévérance du premier ministre fédéral, Brian Mulroney, n’a pas su apaiser les craintes de ses détracteurs, dont plusieurs sont téléguidés par son prédécesseur, Pierre Elliott Trudeau.

Faute de l’appui des assemblées législatives du Manitoba et de Terre-Neuve-et-Labrador, l’entente historique s’évapore le 22 juin 1990.

« Le Canada anglais doit comprendre de façon très claire que, quoi qu’on dise et quoi qu’on fasse, le Québec est, aujourd’hui et pour toujours, une société distincte, libre et capable d’assumer son destin et son développement », déclare le premier ministre québécois, Robert Bourassa, à l’Assemblée nationale.

La désintégration de l’accord du lac Meech remet en cause « notre avenir politique », souligne-t-il dans un « message à la population » publié à temps pour la fête nationale. « Nous sommes à un moment critique de notre histoire. »

Trois ans plus tôt, Robert Bourassa pressait les élus de l’Assemblée nationale de ratifier l’accord dont le premier ministre Brian Mulroney et ses homologues provinciaux avaient jeté les bases dans la maison Wilson, un bâtiment de pierres situé en bordure du lac Meech, dans le parc de la Gatineau.

« C’est un pas de géant sur le plan des gains qui ont été faits. On s’est entendus sur les cinq points à notre satisfaction. Il y a là une consécration du caractère distinct du Québec », se réjouissait le chef du gouvernement québécois.

En effet, l’accord du lac Meech prévoit l’ajout dans la loi fondamentale du pays d’une disposition stipulant que « la législature et le gouvernement du Québec ont le rôle de protéger et de promouvoir le caractère distinct du Québec ». « Toute interprétation de la Constitution du Canada doit concorder avec […] la reconnaissance de ce que le Québec forme au sein du Canada une société distincte », peut-on lire.

Les experts se bousculent en commission parlementaire afin de donner leur avis sur l’accord du lac Meech. Parmi eux, le sociologue Fernand Dumont. L’intellectuel avait participé à la rédaction de la Charte de la langue française avec Camille Laurin et Guy Rocher dix ans plus tôt, puis observé son émasculation par les tribunaux. « [La langue française] est l’assurance que nous pouvons encore exprimer l’originalité et le vouloir d’une société distincte. J’insiste : je ne veux pas dire que la langue a cette importance partout à travers le monde. Chaque société se distingue selon sa référence propre. Pour nous, là est le critère le plus net. Et j’enregistre une évidence : une fois reconnu ce critère, la société distincte correspondante doit disposer d’institutions de support, dans l’éducation, dans la législation, dans les instances politiques, dans les milieux de travail, dans les relations internationales », souligne-t-il devant les députés québécois.

La journaliste, écrivaine, animatrice et politicienne Solange Chaput-Rolland « [se] sen[t] en sécurité » avec l’accord constitutionnel. « La société distincte va protéger la loi 101, et notre langue française et notre culture se développeront dans les années qui viennent », se réjouit-elle dans une entrevue au Journal de Montréal.

Les élus québécois sont appelés à se prononcer sur l’accord du lac Meech le 23 juin 1987. « Le Canada a compris et accepté qu’il faut que nous soyons reconnus pour ce que l’on est, notre identité distincte », mentionne Robert Bourassa. Il énumère par la suite les « leviers qui sont nécessaires pour rester ce que nous sommes » : « le contrôle du nombre, avec la démographie, l’immigration et la langue, le contrôle réel de l’argent et de nos compétences avec le pouvoir fédéral de dépenser, la garantie constitutionnelle pour l’interprétation de la Constitution [et la] police d’assurance pour préserver notre avenir qui est la formule d’amendement ». L’accord du lac Meech « donne de l’oxygène, oxygène dont le Québec a besoin », résume-t-il.

En plus de reconnaître que le Québec forme au sein du Canada une société distincte, l’accord du lac Meech garantit la présence de trois juges du Québec à la Cour suprême et la désignation de 24 sénateurs du Québec, et ce, à partir de listes de candidats soumises par le gouvernement québécois.

L’accord du lac Meech octroyait aussi un droit de veto sur toute modification constitutionnelle ainsi qu’un droit de retrait avec compensation d’un programme fédéral à frais partagés dans une compétence des provinces, en plus d’une protection constitutionnelle des ententes Québec-Canada en matière d’immigration.

La résolution d’autorisation de modification de la Constitution canadienne passe la rampe de l’Assemblée nationale, malgré les fortes réticences du Parti québécois. Pour : 95, contre : 18.

La croisade puis l’échec

De son côté, Pierre Elliott Trudeau mène une croisade contre l’accord du lac Meech — un « gâchis total », à ses yeux — qui a été conclu cinq ans après qu’il a rapatrié la Constitution du Canada sans l’accord du Québec. L’ancien premier ministre sonne la charge dans La Presse et le Toronto Star le 27 mai 1989. Il accuse son successeur, Brian Mulroney, un « pleutre », de chercher à rendre l’État canadien « tout à fait impotent » en le livrant à « des eunuques ».

Il reproche à des « politiciens provincialisants » qui ont établi leur demeure à Québec et à Ottawa d’avoir fait alliance avec des « nationalistes » afin de réclamer un statut particulier pour le Québec. « On aurait dû simplement renvoyer se rhabiller cette bande de pleurnichards, [leur] enjoignant d’en finir avec leurs crises d’adolescents gâtés, écrit-il. Mais nos chefs politiques actuels manquent de nerf. En volant au secours de malheureux perdants, ils pensent s’assurer le vote du Québec ; en réalité ils ne font qu’étaler leur bêtise politique et leur méconnaissance des données démographiques concernant le nationalisme. »

Devant le Sénat, il en rajoute. « Nous avons des exemples dans l’histoire où un gouvernement devient totalitaire parce qu’il agit en fonction d’une race et envoie les autres dans des camps de concentration », déclare-t-il, allant jusqu’à prédire devant un auditoire conquis d’avance que le Québec, une fois reconnu comme société distincte, pourrait déporter sa communauté anglophone.

À Terre-Neuve-et-Labrador, Clyde Wells étrille la disposition accordant une place « distincte » au Québec, qui, selon lui, rabaisse toutes les autres provinces au rang de sous-provinces. « Je veux que nous soyons une vraie province », dit l’homme politique, dont la conseillère constitutionnelle Deborah Coyne est de mèche avec Pierre Elliott Trudeau. Ayant des atomes crochus, Mme Coyne et M. Trudeau auront un enfant en 1991.

Porté au pouvoir, Clyde Wells convainc l’Assemblée législative de Terre-Neuve-et-Labrador de retirer officiellement l’appui de la province à l’accord du lac Meech.

Le désarroi s’empare de l’équipe du premier ministre canadien, Brian Mulroney. Son ministre Lucien Bouchard quitte le gouvernement conservateur après avoir envoyé un télégramme au chef péquiste Jacques Parizeau — dans le dos de M. Mulroney — afin qu’il le lise dans un rassemblement du PQ à Alma marquant le 10e anniversaire du référendum de 1980. « René Lévesque a fait découvrir aux Québécois le droit inaliénable de décider eux-mêmes de leur destin », souligne le ministre conservateur dans son message.

Il s’agira pour Brian Mulroney de « la plus grande déception [de sa] vie ». « Moi, je pensais que c’était mon leader du Québec, mon associé principal, alors qu’il était en train de tripoter avec le PQ », s’indignera-t-il dans une entrevue à TVA en 2007.

Convoqués à Ottawa, les 11 premiers ministres s’entendent pour « sauver Meech » au terme d’âpres négociations. Le texte de l’entente intervenue le 9 juin 1990 porte la signature des 11 chefs de gouvernement, y compris celle de Clyde Wells. Il s’engage à soutenir l’accord du lac Meech, mais seulement s’il reçoit l’appui de la législature ou de la population de sa province, précise-t-il.

À Winnipeg, arborant une plume d’aigle, le député d’origine autochtone Elijah Harper refuse la tenue du vote à l’Assemblée législative du Manitoba, protestant contre l’absence des groupes autochtones lors de la négociation de l’accord constitutionnel.

Prétextant que Meech est déjà mort, M. Wells refuse finalement de soumettre le texte de l’accord constitutionnel à l’Assemblée législative de Saint-Jean de Terre-Neuve. « Le Québec nous a mis le couteau sur la gorge avec Churchill Falls. On les tient exactement de la même manière avec Meech », lance le ministre terre-neuvien des Finances, Hubert Kitchen, revanchard.

« [Clyde Wells] a trahi sa signature. Il a trahi sa parole. Il a trahi son pays. Meech n’a pas été défait, il n’a pas été battu : il n’y a jamais eu de vote ! » se désole M. Mulroney dans sa biographie Brian Mulroney, l’homme des beaux risques.

Ses alliés lui tourneront le dos. Le Parti progressiste-conservateur sera pratiquement rayé de la carte électorale en 1993.

La Chambre des communes a reconnu au moyen de motions le « caractère distinct » du Québec en 1995, puis la « nation québécoise » en 2006.

Trente ans après l’échec de l’accord du lac Meech, les adeptes du fédéralisme renouvelé n’ont toujours pas retrouvé leur souffle.  

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À propos de l'auteur Le Devoir

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