Nestlé Waters un colosse aux pieds de plastiques 

Nestlé Waters un colosse aux pieds de plastiques 

Vittel, le 19 juin 2020

Constat

Par un communiqué de presse du 10 juin 2020 Nestlé annonce une réorientation stratégique concernant ses ventes d’eau en Amérique du Nord.

Il s’agit pour la multinationale de vendre ses marques locales (Poland Spring, Deep Park, Ozarka, Ice Moutain, Arrowhead et Pure Life) afin de pouvoir se concentrer sur ses marques de haut de gamme : San Pellegrino, Acqua Panna et Perrier (marques citées dans l’ordre du communiqué). Pour la multinationale cela conduirait à sacrifier 44% de ses ventes d’eau en Amérique du Nord soit l’équivalent annuel de 3,4 milliards de francs suisses. Au passage les gens de Vittel et Contrexéville apprécieront que leur eau ne fasse pas partie des eaux haut de gamme pour Nestlé !

Nestlé justifie cette réorientation stratégique par l’hostilité des populations d’Amérique du Nord envers le plastique et se soulager ainsi d’un fardeau environnemental tout en s’engageant à atteindre la neutralité carbone pour le groupe d’ici 2025 et en reconstituant les bassins versants d’ici 2025 par reconstitution de 100% de l’eau qu’elle utilise.

Tous ces objectifs semblent pouvoir être contenus dans la déclaration de Mark Schneider, Administrateur délégué de Nestlé :

« La création d’une activité plus ciblée nous permet de suivre de façon plus agressive les tendances de consommation émergentes, telles que l’eau fonctionnelle, tout en redoublant d’efforts sur notre programme de durabilité. Cette stratégie offre la meilleure opportunité de croissance rentable à long terme dans cette catégorie tout en attirant les consommateurs soucieux de l’environnement et de la santé. Nestlé est l’une des entreprises pionnières dans la commercialisation mondiale de l’eau et reste engagée dans l’hydratation saine. Nous travaillons sans relâche pour que les consommateurs puissent profiter de nos boissons d’une manière respectueuse de l’environnement ».

Cette déclaration semble avoir été reprise par M. Ronan Le Fanic, directeur de Nestlé à Vittel, dans son interview par France 3 à l’occasion du magazine Pièces à conviction au cours duquel il déclarait : « nous avons une mission de santé publique, en offrant de l’eau minérale plutôt que des boissons sucrées nous luttons contre le fléau de l’obésité ». Tout en reconnaissant que l’eau était une bien commun. Et puisqu’il est commun, surtout ne pas remettre en cause la priorité aux habitants et en même temps aux industriels ! Un grand moment.

Analyse du Collectif Eau 88 (juin 2020)

Nestlé fait le ménage des situations embarrassantes qui s’accumulent.

Fin septembre 2019 Nestlé annonce qu’en Suisse la multinationale va substituer l’eau Vittel Bonne Source par l’eau Vittel Grande Source pour économiser un peu d’eau de la nappe profonde des GTI menacée d’assèchement (de l’ordre de 300 000 m3 d’ici fin 2021 selon Nestlé sur le million autorisé).

En octobre 2019, le Comité de Bassin de l’Agence de l’Eau Rhin Meuse annonce l’annulation de la solution alternative des pipelines de Valfroicourt, dans les tuyaux depuis 2016, pourtant votée, revotée, applaudie par une Concertation Publique Préalable biaisée en 2018 et 2019, et enfin revotée une dernière fois en mai 2019, soutenue indéfectiblement par les élus du territoire, le conseil départemental et le préfet. Qui peut bien avoir préconisé cette solution, si ce n’est un démineur de situation embarrassante. On oublie simplement au passage de dire que cette décision reporte l’équilibre de la nappe GTI à 2027, alors qu’il devait être acquis en 2015 et que l’essentiel des coûts sera supporté par la population. En admettant que l’équilibre sera obtenu en 2027, qu’en est-il des solutions qui permettront la restauration de la nappe ? Nous n’en voyons que deux : la réalisation d’un pipeline depuis Valfroicourt ou l’arrêt par décision préfectorale des prélèvements de Nestlé dans cette nappe, dernière solution que nous préconisons depuis 4 années. A moins de supprimer l’eau du robinet aux populations locales. On voit bien qu’avec l’abandon des pipelines c’est la fin de la contestation citoyenne qui est attendue. Il est d’ailleurs probable que pour une bonne partie de la population « tout est rentré dans l’ordre ». En fait rien n’est réglé et la contestation va se poursuivre.

Passons à l’Amérique du Nord où notre Collectif a noué de solides liens avec les activistes anti-Nestlé de l’Ontario au Canada et aux Usa.

Les marques que Nestlé entend conserver sont les marques haut de gamme venant d’Italie (Acqua Panna, San Pellegrino) et de France (Perrier). En cédant son portefeuille des marques locales Nestlé entend désamorcer la contestation internationale qui soude nos deux continents depuis fin 2018 et cherche à renvoyer les activistes à des conflits locaux, qu’il faudra donc régler localement.

Par ailleurs en dispersant ses actifs dans des entreprise locales, Nestlé cherche à disperser son emprunte carbone et son emprunte plastique qui font du tort à la multinationale. Une question se pose toutefois : Nestlé dit vouloir vendre ses marques (Brands), mais va-t-elle aussi vendre ses forages ou passer sous la cape de sociétés écrans locales, ce qui au passage a l’avantage de réduire un peu plus l’emploi ? On peut s’interroger au regard du précédent de São Lourenço au Brésil dans le Minas Geraïs il y a 15 ans.

On peut s’interroger sur l’argument de Nestlé affirmant vouloir réduire son emprunte carbone et plastique. La sienne peut être mais globalement celle de l’eau en bouteille c’est tout simplement faux. Raisonnons. Nestlé vend ses marques, la production de bouteilles plastique se poursuit avec d’autres propriétaires. Nestlé se concentre sur ses eaux haut de gamme vers le continent Nord-Américain et accroît donc sa production de bouteilles plastique en accroissant aussi les transports depuis l’Europe. Au total l’emprunte carbone et plastique a augmenté globalement.

Toujours plus fort, Nestlé annonce reconstituer les bassins versants par reconstitution de 100% de l’eau qu’elle prélève. Si l’on s’en tient à Vittel, situation que nous connaissons bien, Nestlé est à l’origine du déficit de 1 milliard de litres d’eau chaque année depuis au moins 50 ans dans la nappe profonde des Grès du Trias Inférieur (GTI). Si l’on arrêtait tout prélèvement dans cette nappe (eau potable de la population, de l’agriculture, des autres industries) il faudrait au moins 50 ans pour reconstituer cette nappe, alors que la pluviométrie diminue et les températures moyennes augmentent. Dans les Vosges, à Vittel l’impact environnemental du changement climatique est ressenti par la population. Certes, si Nestlé n’est pas responsable de ce changement, il l’aggrave sur le secteur de Vittel Contrexéville comme en témoignent l’état de la végétation et la majoration de l’aléa retrait-gonflement de l’argile dans un secteur qui n’est pourtant pas cartographié comme sensible à ce risque. Sans parler de ces communes régulièrement privées d’eau potable en été et pour lesquelles il faut amener de l’eau par camion-citerne.

Quant au plastique personne n’est dupe. Le recyclable, le recyclé, l’éco, le bio sourcé… Et quand bien même à la fin, toujours des microfibres dans notre corps, dans l’eau des ruisseaux, du robinet, des sols, et bien sûr dans la mer (pas que des micro fibres dans le 7ème continent !). Un écocide sans précédent qui nous fait penser que le jour d’après continue sur les artères du jour d’avant. L’explosion du marché de l’eau en bouteille n’a été possible que par le plastique, inventé à Vittel en 1967 et le retour au verre n’est possible que sur des marchés de niche. Les minéraliers sont dans l’impasse.

Alors, vu depuis Vittel ?

Monsieur Hervé Lévis, directeur de Nestlé à Vittel il y a un an, déclarait en cercle restreints qu’il n’y avait pas de perspectives pour Nestlé à Vittel au-delà de 2030. Nos « autorités » nous y conduisent tout doucement (2027…) tout en accroissant le déficit en eau, en empêchant la recharge de la nappe profonde et en acceptant la perte d’emplois. Moins 120 emplois annoncés il y a un an, combien dans les annonces à venir ?

Croître ou disparaître, une belle leçon de darwinisme néo-libéral en cours !

Pour le Collectif Eau 88

Bernard Schmitt


Source: Lire l'article complet de Mondialisation.ca

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