Se masquer ou ne pas se masquer?

Se masquer ou ne pas se masquer?

Comme on l’a observé dans de nombreux pays, la pandémie a fait émerger dans les médias — télévisés surtout — de nouvelles figures médiatiques. Des médecins, le plus souvent spécialisés en infectiologie, en microbiologie ou en épidémiologie sont ainsi devenus du jour au lendemain des références incontournables pour décrire jour après jour, de façon simple et compréhensible pour un large public, l’évolution de la propagation du virus et les fameuses mesures barrières.

Cependant, au fil des semaines, on a aussi observé une certaine propension chez certains à glisser de la description objective des faits aux opinions moins fondées et plus intuitives — parfois même aux discours purement subjectifs sur le « respect » dû à leur « profession ». Ces médecins ont aujourd’hui franchi une autre étape en passant carrément aux prescriptions. Regroupés le moment d’une conférence de presse ils exigent que le gouvernement décrète l’obligation du port du masque même lorsque la distance de deux mètres est respectée. Ils invoquent bien sûr « la science », mais ce semble plutôt leur soudaine notoriété qui les fait réagir en groupe, comme si le nombre faisait preuve et pouvait remplacer les fameuses « données probantes » — vérifiées et tenant compte de plusieurs variables (et pas la seule contagion possible) — pour fonder une décision de santé publique. Cela conduit à s’interroger sur les effets pervers des médias en temps de crise.

Alors que le maître mot de la direction de la santé publique et même du premier ministre Legault a été, depuis le début de cette crise sanitaire, de prendre des décisions « fondées sur la science et les données probantes », on ne peut que trouver surprenante l’intervention soudaine d’un « collectif » de médecins médiatiques. Ainsi, un docteur affirme à la télévision que « le masque est plus efficace que le lavage des mains ». Cela est possible, mais où sont les fameuses « données probantes » publiées sur cette question ? Et est-ce vraiment le cas quand la distance minimale de deux mètres est respectée ? Une autre affirme au Devoir (12 juin) que le masque diminue « grandement le risque de contagion lors de contacts contagieux ». Oui, mais à plus de deux mètres aussi ? Et, surtout, la majorité des contacts ne sont pas entre contagieux, ceux-ci n’étant pas distribués de manière homogène dans l’espace.

Le sens commun suggère le port du masque, mais la science se méfie justement du « sens commun ». C’est d’ailleurs pour cela que les méthodes du début du XXe siècle qui laissaient au seul médecin le soin de décider en raison de son expérience auprès des patients quel traitement était efficace ont été remplacées au milieu des années 1940 par des essais cliniques randomisés et avec placebo.

Le fait que le Dr Amir Khadir, ancien député de Québec solidaire, semble (à la télévision) le porte-parole du groupe est intéressant. À titre d’ancien député, il était déjà connu, et sa verve en fait naturellement le porte-parole de cette nouvelle cause. Il était d’ailleurs vite réapparu à la petite lucarne pour nous parler non plus de politique, mais de la COVID-19. C’est dans ce contexte qu’il avait pris rapidement fait et cause pour la fameuse chloroquine, alors vantée en France par un autre médecin devenu soudainement médiatique au moment de la pandémie, le Pr Didier Raoult.

Alors qu’aucune étude n’était encore parue, à l’exception de celle du Pr Raoult, fondée sur des données limitées et plus que problématiques, le Dr Khadir affirmait avec conviction « que ce médicament devrait être déjà utilisé, à tout le moins pour prévenir les infections chez les travailleurs de la santé » (La Presse, 29 mars). Au même moment, une étude clinique plus sérieuse était alors en cours à Montréal et ailleurs pour confirmer la validité de ces résultats préliminaires. Or, les auteurs de cette étude considéraient plutôt qu’il était « trop tôt pour adopter ce type de mesure, étant donné le risque que peut représenter la prise d’hydroxychloroquine (HCQ), et son utilité pour soigner d’autres maladies, ce qui soulève le spectre d’une pénurie » (La Presse, 29 mars). Le temps du militantisme n’est pas le temps de la science : à vouloir aller trop vite et sauter aux conclusions sur la base d’une « intuition », on peut générer plus de problèmes (et de coûts) que de solutions.

Le Dr Arruda note d’ailleurs que les études sur le port obligatoire du masque sont encore critiquées. On ose espérer que les pressions médiatiques ne le feront pas changer de méthode et que, s’il modifie la petite phrase publiée chaque jour recommandant de « porter le masque SI la distance de deux mètres n’est pas respectée », cela sera justifié en s’appuyant sur des études sérieuses et non le fait de pressions médiatiques. Car dire que telle ville ou tel pays a rendu le masque obligatoire et que tel endroit a aussi moins de morts est loin de constituer une donnée probante, étant donné le grand nombre de variables en jeu.

Avant d’imiter, de peur d’une deuxième vague, des décisions prises ailleurs pour des raisons complexes et parfois obscures, on devrait plutôt prendre le temps de se demander si le contexte local justifie qu’on les imite. Les pétitions et les manifestations publiques ne peuvent se substituer aux analyses complexes effectuées par les nombreux experts de la santé publique du Québec.

À propos de l'auteur Le Devoir

Le Devoir a été fondé le 10 janvier 1910 par le journaliste et homme politique Henri Bourassa. Le fondateur avait souhaité que son journal demeure totalement indépendant et qu’il ne puisse être vendu à aucun groupe, ce qui est toujours le cas cent ans plus tard.De journal de combat à sa création, Le Devoir a évolué vers la formule du journal d’information dans la tradition nord-américaine. Il s’engage à défendre les idées et les causes qui assureront l’avancement politique, économique, culturel et social de la société québécoise.www.ledevoir.com

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