Le pangolin est innocent et la Chine a le dos trop large. — Yann Faure

Le pangolin est innocent et la Chine a le dos trop large. — Yann Faure

Dès le mois de février les mitrailleuses médiatiques ont haché en charpie le pangolin et la Chine faussement présentée comme sa «patrie». Depuis le malheureux petit animal écaillé, victime d’une erreur judiciaire, a disparu des écrans qui font l’histoire. Pour ce qui est de la Chine, rien ne montre que les descendants de Mao sont à l’origine du Covid 19… Aujourd’hui le doute vient bien plus du vison, celui qui est martyrisé en cages pour que les bourgeoises et les poules de luxes n’aient pas froid en hiver. Allons donc, le mal viendrait du capital !

Le pangolin n’y est pour rien et ça change tout. Ça change tout car la responsabilité du calvaire pandémique enduré sur les cinq continents pourrait bien se situer du côté du luxe, de la richesse ostentatoire, de l’imposition mondialisée d’une forme de réussite sociale évaluée à la seule aune de ce qu’on possède et porte sur le dos.

Le pangolin n’y est pour rien, mais la production industrielle de fourrure à destination d’acheteurs fortunés en revanche y est pour tout. Le vison serait l’animal intermédiaire du coronavirus légué par la chauve-souris à notre espèce.

Pas n’importe quel vison, le vison sauvage, élevé en batterie dans des cages. Le vison, né en captivité, élevé dans des usines, dépecé par dizaines de milliers dans
chaque unité aussi bien de l’Eure-et-Loir que dans le Wisconsin, en Pologne, au Danemark et en Chine. Ou en Hollande, où plusieurs cas d’opérateurs malades du covid-19 ont été recensés. Selon l’OMS, il est très probable que les premières transmissions d’animal à humain ont eu lieu entre le vison et l’homme.

Le pangolin était pourtant le coupable idéal. Au cœur de l’hiver et de la propagation du coronavirus, l’Occident s’est précipité sur l’os que la Chine lui donnait à ronger : un marché d’animaux sauvages dans la lointaine Wuhan, quelques dizaines de malades (supposés les premiers) qui s’y seraient contaminés … une enquête scientifique erronée, vite publiée, actant la compatibilité génétique à 99% du coronavirus qui nous affecte avec un coronavirus porté par le pangolin, des vidéos montrant des asiatiques à l’appétit insatiable et aux mœurs archaïques, qui en raison de traditions ancestrales et de superstitions absurdes, n’hésitent pas à dévorer avec gloutonnerie toutes sortes de viande que le monde moderne libre et éduqué considère, lui, comme autant de consommations impropres et monstrueuses. L’interprétation s’est propagée dans les éditos et les têtes des lecteurs avec plus de facilité que le virus lui-même : « Ah si les chinois avaient une meilleure hygiène. Ah si les chinois abdiquaient leurs coutumes arriérées ! » et les articles de la presse occidentale en rajoutant : « En Chine, on mange tout ce qui a quatre pattes sauf les tables, tout ce qui nage sauf les bateaux et tout ce qui vole sauf les avions ». Surtout, comble de l’horreur, des « animaux vivants ». Il allait presque comme une évidence, que le chinois mange cru, se délecte de chair qui bouge encore, on l’imagine bien sang poil et plume entre les dents à la manière des barbares du 1er millénaire, c’est à dire d’avant la civilisation. La solution de nos maux était alors toute trouvée : qu’on ferme ces marchés, résidus du passé, aussi mal fréquentés que mal aseptisés et le problème se résoudra de lui-même. Car tout est de la faute de la demande, tout est de la faute des ’’consommateurs’’ eux-mêmes … à qui il faut faire renoncer à de très mauvaises habitudes, dangereuses pour toute l’humanité.

La vidéo de bouffeurs de chauves-souris frites qui a circulé sur les réseaux n’a, en vérité, pas été tournée à Wuhan mais en Indonésie. Une seconde enquête scientifique, attestée cette fois, montre que la compatibilité entre le coronavirus humain et celui du pangolin est de 90% et non 99%. Rien ne permet de prouver que du pangolin était en vente sur le marché aux poissons incriminé, (même « caché sous les étals », comme on l’a dit et écrit dans notre pays). Et pour cause, la carte du marché ne le mentionne pas. Les pangolins sont en voie d’extinction en Chine, leur commerce est prohibé dans ce pays au régime plus qu’autoritaire et passible d’une lourde peine de prison. Des milliers de laboratoires pharmaceutiques utilisent d’énormes quantités d’écailles de pangolin pour leurs préparations thérapeutiques. Ces écailles, issus d’un braconnage massif de pangolins africains, arrivent en contrebande par tonnes et conteneurs et se vendent à prix d’or – ou, pour être plus précis, à prix d’ivoire. Un tel commerce ne concerne pas le particulier, même gourmet, mais les triades (la mafia). En Chine, le pangolin vaut bien plus mort que vivant, pour ses écailles et non pour sa chair. Alors que Wuhan, cité de science et de haute technologie, est l’une des villes les plus vidéo-surveillées du monde, on n’a pas été en mesure de capter une seule image de ces animaux dans ses murs. Logique, à l’heure du Darknet, si l’on y vend du pangolin vivant, ce n’est vraisemblablement ni au détail, ni sur la place publique. Les saisies des douanes aux frontières le corroborent.

Ajoutons que la Chine a, depuis un an, arrêté les remboursements par sa sécurité sociale de médicaments à base de pangolin – probablement pour endiguer le trafic de cette espèce mondialement menacée et les remontrances de la communauté internationale à ce sujet. Autant d’éléments propres à réfuter la contribution du paisible fourmilier à la chaîne de la contamination, passés à peu près inaperçus. Tout se passe comme si le pangolin était l’arbre qui cache la forêt industrielle d’un système organisé de production de richesses autant que de virus.

Car les zoonoses naissent surtout et avant tout de l’élevage industriel. Les zoonoses représentent 60% des maladies infectieuses, 75% des maladies émergentes et les maladies infectieuses sont responsables de 16% des décès humains sur la planète. A mesure que cette industrie grossit, les zoonoses se multiplient. Focaliser l’attention sur le braconnage, le commerce illégal et les consommateurs supposés libres de leurs choix a permis de masquer la responsabilité des modalités industrielles contemporaines des animaux et de leurs produits.

Dans l’indifférence, la parole dominante véhicule la fable récurrente d’épidémies et d’autres fléaux induits par le comportement individuel de chasseurs isolés qui se seraient blessés aux confins perdus de pays sous-développés. Alors même que c’est ce prétendu ’’développement’’ qui est à la source de nos maux. Même en Chine, d’innombrables entreprises privées d’élevage d’animaux, autrefois sauvages, pullulent. On a aussi essayé, cette dernière décennie, d’élever des pangolins, mais ça ne marche pas. En liberté, ils vivent ; en cage ils succombent. Par contre, on élève des furets, des renards, des civettes, des visons. En Finlande, on gave des ’’renards monstres’’ pour leur fourrure. L’occident pratique l’élevage intensif, de poulets, d’oies, de bœufs et de porcs pour la consommation de viande. Qu’on pense à notre ferme des mille vaches, à nos élevages de souris de laboratoires, aux vaches à hublot pour comprendre qu’il est illusoire d’aller chercher au bout de territoires reculés l’origine des maladies. En triant les gènes, en concentrant les bêtes, en les gavant d’antibiotiques, on affaiblit les organismes des animaux, leurs protections naturelles ou immunitaires. On facilite ainsi les mutations virales, la transmission des agents pathogènes et leur mise en circulation.

Ces dernières semaines, en Allemagne comme aux États-Unis et en France, on a dénombré un nombre particulièrement élevé et tout-à-fait anormal de malades du Covid-19 parmi les employés des abattoirs. La filière ne s’est pas interrompue pour autant – Donald Trump a même interdit sa mise à l’arrêt. On a argué la difficulté de faire respecter la distanciation physique entre travailleurs sur ces lieux mais éludé, en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire, l’hypothèse d’une contamination de la viande. Le complexe agroalimentaire et ses supports de communication volontaires ou involontaires ont refoulé dans un quasi oubli l’ensemble des maladies du passé dont il a été le principal vecteur : grippe aviaire, grippe porcine, grippe bovine, etc.

Même les abeilles sont malades, transformées en ouvrières exploitées au service de la monoculture. Dans les champs d’amandiers de Californie, on amène les ruches par camion, on les trie génétiquement, on les abreuve de médicaments, on sélectionne leurs reines. Épuisées, standardisées, presque clonées, le premier virus qui passe les décimes bien avant l’âge. C’est Germinal chez les hyménoptères.

Le pangolin n’est sans doute pas l’hôte intermédiaire du coronavirus. C’est très probable que ce soit le vison. Des collectifs se battent depuis plusieurs années déjà pour dénoncer les conditions carcérales de ces petits mammifères. Emprisonnés dans des batteries interminables de cages, nourris en série, les visons tout mignons deviennent fous derrière les barreaux. Ils excrètent les uns sur les autres, leur nourriture est souillée, ils sont confinés parmi les dépouilles de leurs congénères qui pourrissent, de mort lente, en général sans qu’on les sépare. One Voice a tourné des images terribles des élevages industriels de ces mustélidés, notamment en France où leur fourrure est arrachée pour l’industrie du luxe. Le vison américain est le plus valorisé. On en trouve aussi en Chine dans des centres commerciaux qui ressemblent aux Wall-Mart étasuniens – la nouvelle classes aisée y débarque par cars entiers avec des étoiles dans les yeux. Là-bas, comme dans le reste du monde qui a promu modes et modèles, le port ostentatoire de ces manteaux de fourrure hors de prix revient à endosser un statut, à s’élever au-dessus des simples mortels. Le rêve de luxe a posé sa main froide sur l’épaule frêle de ce qui composait notre vibrante humanité. La richesse et ses tenues d’apparat ont corrompu le monde.

Non loin de Tangshan, on éviscère encore à mains nues tandis que sur un site de production rationalisé comme celui de l’Aojilisi Farm dans la province du Shandong, 40 000 animaux sont détenus quotidiennement et on en dépèce 3 000 unités par jours – bientôt ce sera 10 000 par les méthodes automatisées les plus « modernes ». Leurs peaux seront vendues à Harbin ou dans les luxueuses boutiques de Hongerpu qui ressemblent beaucoup à ce que l’Occident valorise si puissamment.

Mais le monde est aveuglé. Déjà on trouve dans des poèmes d’écolier l’empreinte d’un imaginaire qui s’est formé décorrélé de son sujet. L’innocence de celui qui suit m’a fait de la peine :

<< Le Pangolin

Toi, mon joli pangolin,

Tu n’as vraiment pas été malin.

Car maintenant à cause de toi

Je ne peux même plus sortir de chez moi

A cause de ton manque de réflexion

Nous voilà tous à la maison.

Tu as fini par avoir vent des projets humains

Et que beaucoup repoussaient les urgences à demain

Monsieur le pangolin nous te disons au revoir

En ce lundi 11 mai

Nous avons espoir

Maintenant du balai ! >>

J’ai aussi croisé la route de dessins, de créations, de peintures. Le pangolin, animal hybride et fascinant a marqué les esprits. Avec lui, l’histoire que la planète s’est raconté.

Voix étouffée, au commencement des débats sur l’origine du coronavirus, une scientifique américaine qualifiait le story-telling du wet market de Wuhan de ’’simple divertissement’’. Ce récit a néanmoins fourni une étonnante et paradoxale occasion à l’Occident de réaffirmer sa croyance dans ses valeurs techno-industrielles … et nourrit jusqu’à la verve du ’’philosophe’’ Luc Ferry, lorsqu’il s’applique à défendre les vertus écologiques du capitalisme. Il faut le remercier pour cette ineffable synthèse de la pensée de sa classe et de son temps :

<< Faut-il rappeler que le Covid-19 est parfaitement naturel, que ce ne sont pas « nos modes de vies modernes » qui ont causé la pandémie mais des coutumes ancestrales et locales, préservées qui plus est par un système communiste tout sauf libéral ? Quiconque a visité un marché chinois est sidéré à la vue de ces chiens, chatons et poussins écorchés vifs, de rats, civettes, serpents, pangolins et chauves-souris qui attendent une mort atroce entassés dans des cages insalubres. Une vidéo circule sur la toile où l’on voit un groupe d’hommes qui déjeunent de petites souris
vivantes. Les malheureuses se débattent dans une sauce noirâtre et les convives les mâchent à pleines dents encore toutes vives après les avoir trempées dans leur jus. Il est clair que ces pratiques sont si peu ’’les nôtres’’, qu’elles susciteraient plutôt une vague d’indignation dans nos contrées démocratico-libérales. En vérité, les voyages, qui existent depuis des siècles, ne font au pire qu’accélérer la diffusion des maladies. Dénoncer les « failles et les excès » de l’humanité « mondialisée » relève donc de sophismes anticapitalistes et d’amalgames apocalyptiques tout juste bons à faire peur aux petits enfants. Non seulement nos sociétés développées par l’économie de marché et la mondialisation sont aux antipodes des pratiques traditionnelles qui ont engendré la crise actuelle, mais sans la logique de l’innovation capitaliste qui nous émancipe peu à peu, sans doute pas assez vite mais quand même, d’un passé millénaire de mépris de la nature et de maltraitance animale, non seulement l’écologie politique n’aurait jamais vu le jour, mais les sciences et les techniques qui permettent d’envisager des solutions non plus
. >> (Le Figaro, 21 mai 2020).

Ne dites pas à Luc Ferry, qu’un massacre en gants blancs est toujours un massacre. Qu’industriellement on tue plus massivement qu’avec des arcs et des flèches. Il s’en fiche pourvu qu’on tue sans voir. Colporter l’image de marchands chinois inconséquents vendant des pangolins à la sauvette à des gloutons rustiques, toujours impénitents va dans son sens. L’industrie de la viande, la consommation de masse, la concentration de richesses y sont parfaitement escamotées du tableau.

Cailloux de poil dans la chaussure capitaliste, les visons martyrisés des abattoirs rappellent que le luxe et l’envie sont au principe des causes plus profondes qui ravagent la planète. Ces visons martyrisés pour des manteaux vaniteux et inutiles, s’ils sont la source de la pandémie et si on veut bien la voir, adressent un message ensanglanté à ceux qui se croiraient civilisés : celui de renoncer en tout premier à leur incommensurable barbarie.

Yann Faure

( Le surtitre, le «chapo» et les illustrations sont du Grand Soir).


Episodes précédents :

Pangolin express (15 avril) :

https://www.facebook.com/yann.de.la.XR/posts/1631215753747396

Pangolin, non, on ne sait rien (31 mars)

https://www.facebook.com/yann.de.la.XR/posts/1617536628448642


Quelques sources :

OMS-Visons, les premiers cas connus de transmission à l’homme :

https://www.sciencesetavenir.fr/sante/contamination-du-covid-par-des-v…

Les pandémies et l’élevage industriel

https://reporterre.net/Pour-eviter-les-pandemies-cessons-l-elevage-industriel

Les élevages de visons infectés aux Pays-Bas :

https://www.sudouest.fr/2020/04/26/coronavirus-des-visons-d-elevage-in…

One voice – ferme de l’horreur en Eure-et-Loir :

https://one-voice.fr/fr/blog/lagonie-des-visons-dans-un-elevage-de-leu…

Parole aux éleveurs de visons :

https://fourrure-info.fr/media/dp-cnif-030918.pdf

Chine, dans l’enfer des fourrures (reportage) :

https://www.vice.com/fr/article/pavqw9/chine-dans-lenfer-des-fermes-a-…

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Source: Lire l'article complet de Le Grand Soir

À propos de l'auteur Le Grand Soir

« Journal Militant d'Information Alternative » « Informer n'est pas une liberté pour la presse mais un devoir »C'est quoi, Le Grand Soir ? Bonne question. Un journal qui ne croit plus aux "médias de masse"... Un journal radicalement opposé au "Clash des civilisations", c'est certain. Anti-impérialiste, c'est sûr. Anticapitaliste, ça va de soi. Un journal qui ne court pas après l'actualité immédiate (ça fatigue de courir et pour quel résultat à la fin ?) Un journal qui croit au sens des mots "solidarité" et "internationalisme". Un journal qui accorde la priorité et le bénéfice du doute à ceux qui sont en "situation de résistance". Un journal qui se méfie du gauchisme (cet art de tirer contre son camp). Donc un journal qui se méfie des critiques faciles à distance. Un journal radical, mais pas extrémiste. Un journal qui essaie de donner à lire et à réfléchir (à vous de juger). Un journal animé par des militants qui ne se prennent pas trop au sérieux mais qui prennent leur combat très au sérieux.

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