Corée du Nord: disparition et réapparition de Kim Jong-Un, le dessous des cartes…

Corée du Nord: disparition et réapparition de Kim Jong-Un, le dessous des cartes…

Du 12 avril au 25 mai, le dirigeant nord-coréen a brusquement disparu des écrans, ce qui a laissé la place à de nombreuses interprétations, rumeurs, supputations. Kim Jong-Un était-il mort ? Cette question a circulé au sein de nombreuses rédactions, de chancelleries et sur le web.

Les premiers à émettre l’hypothèse d’un décès, le 24 avril, sont d’anciens hauts responsables nord-coréens réfugiés à Séoul et récemment élus députés au parlement sud-coréen. A Pyongyang, des inquiétudes concernant la santé du dirigeant existaient également mais celles-ci étaient mises sur le compte d’un possible cluster lié au Covid-19 dans la capitale Nord-coréenne. A Hong-Kong et aux Etats-Unis, une opération du cœur ratée qui aurait entrainé la mort de Kim Jong-Un tenait la corde des spéculations et ce malgré les appels à la prudence et les démentis en provenance des services de renseignement de Séoul.

Surprise, le 1er mai, Kim Jong-Un apparaissait en public, jovial et souriant, lors de l’inauguration d’une usine d’engrais, à Sunchon une localité située à 80 km de la capitale, démentant ainsi tous les bruits de couloirs. Mais, le lendemain, le dirigeant s’éclipsait à nouveau jusqu’au 25 mai.

Que s’est-il passé, en Corée du Nord, entre le 12 avril et le 25 mai 2020 ?

En réalité, la veille de sa « disparition », le 11 avril, d’importants changements avaient déjà eu lieu dans le saint des saints : le Comité des Affaires d’État (C.A.E), organe suprême de l’exécutif nord-coréen. Cinq des treize membres de ce comité étaient remplacés par de nouvelles figures. Le Général Ri Son-Gwon nommé ministre des Affaires Étrangères en janvier 2020, entrait au C.A.E, confirmant ainsi un retour de l’Armée Populaire de Corée à la direction opérationnelle du pays. Le lendemain, le 12 une réunion du Praesidium de l’Assemblée Populaire entérinait ce renouvellement partiel du C.A.E.

Le 14 mai, le journal Rodong Sinmun, organe officiel du pays lançait un appel à l’armée pour qu’elle joue à nouveau un rôle moteur dans le développement économique du pays, comme elle l’avait fait entre 1997 et mai 2016, où elle en a été écartée par le congrès du Parti des Travailleurs. Pendant cette période, l’armée avait fourni la main d’œuvre et le matériel nécessaire aux travaux indispensables pour la survie de la Corée du Nord. Elle avait pris en main la direction des entreprises stratégiques, mais aussi la distribution des produits de première nécessité à la population civile, palliant ainsi un Parti et ses cadres civils totalement défaillants.

Pour preuve de ce grand retour de l’armée aux commande, le Rodong Sinmun annonçait également un remaniement au sein des renseignements militaires. Deux généraux, Rim Kwang-Il et Kwak Chang-Sik étaient placés à leur tête. Le 24 mai, selon l’agence de presse nord-coréenne Yonhap, les forces stratégiques ont été placées en état d’alerte et des discussions ont eu lieu lors d’un comité militaire sur le renforcement et l’augmentation de la dissuasion nucléaire, avec le possible lancement prochainement du premier sous-marin nucléaire lanceur d’engin nord-coréen, selon Séoul.

En prime, durant cette période un autre événement surprenant a eu lieu renforçant les craintes et les rumeurs : les portraits Kim Jong-IL et de Kim Il- Sung ont été retirés de la place centrale de Pyongyang. Traditionnellement ses portraits ne sont enlevés qu’à l’occasion du décès d’un dirigeant. Il faudra attendre le 20 mai pour que le Rodong Sinmun apporte une réponse aux questionnements : « les dirigeants Kim Il- Sung et Kim Jong-Il ont été replacés dans un contexte mettant en relief leur patriotisme et leur amour pour leur peuple, tout en démystifiant les éventuels pouvoirs surnaturels qui leur ont longtemps été attribués. »

Le Rodong Sinmun expliquait aussi que la place Kim Il Sung, avec la tribune officielle sur laquelle étaient accrochés les portraits, était en réfection et serait inaugurée à l’automne, pour les festivités célébrant la fondation de la RPDC le 9 septembre. Mais le plus important à retenir c’est la promulgation de la date du 25 avril ( le 25 avril 1932 Kim Il Sung fondait, avec d’autres résistants contre l’occupant japonais l’Armée Populaire Révolutionnaire de Corée). Traditionnellement cette date était célébrée tous les 5 ans dorénavant, elle sera considérée comme une fête nationale et donnera lieu à une célébration annuelle.

C’est donc bien un remodelage et un rééquilibrage au sein des structures du pouvoir qui a eu lieu pendant la « disparition » de Kim Jong-Un. L’armée, avec de nouveaux hauts responsables à sa tête, a retrouvé un rôle de premier plan économique et politique.  Cela signe-t-il un retour à des tensions dans la péninsule ? Rien n’est moins sûr.

A l’heure où tout l’Extrême-Orient nord-asiatique s’apprête à connaître une mutation importante du fait de découvertes de gisements importants d’hydrocarbures à la frontière sino-russe et des contrats d’échanges importants entre Séoul, Pékin et Moscou, la République Populaire Démocratique de Corée sait qu’elle ne pourra pas rester spectatrice.

Cependant tout changement brutal amènerait à une déstabilisation qui ne serait souhaitable pour personne.

Comme le souligne Patrick Maurus dans son ouvrage « Les Trois Corées », la Corée du Nord est une pièce centrale, la clef de voûte de tout un équilibre géostratégique, avec la Corée du Sud et la Corée chinoise, au nord du fleuve Tumen, en République Populaire de Chine, appelée officiellement Province Autonome Coréenne de Chine. Comment relier la Corée du sud à la Corée chinoise si celle du Nord reste fermée et comment en faire un espace d’échanges économiques ?

La solution passera par la Russie et la Chine. L’annulation de 90 %, en 2014 par la Russie, de la dette de la RPDC contractée auprès de l’URSS, et la conversion des 10 % restant en investissements conjoints d’infrastructures ferroviaires et gazières entre les deux pays, réalisables sur 20 ans, va dans le sens d’un désenclavement de Pyongyang, avec à la clef une jonction avec Séoul ; des pourparlers en ce sens entre des opérateurs ferroviaires européens, spécialisés dans le LGV, et des émissaires de Pyongyang s’étant déjà tenus.

Les milieux d’affaires sud-coréens poussent en ce sens, investissant déjà, aux côtés des Chinois, dans les infrastructures industrielles et urbaines qui fleurissent à la frontière sino-coréenne, côté chinois. Ils y sont invités par les autorités de Pékin, et nul doute que le sujet sera évoqué lors de la visite du président chinois Xi-Jinping à Séoul, prévue cette année, après la fin de crise sanitaire. Ce sera la deuxième visite en deux ans d’un dirigeant Chinois au sud de la péninsule coréenne.

A quoi correspond cet activisme pressant ?

La Sibérie russe, confrontée à un effondrement démographique local, voit des habitants venus de Chine arriver, nantis de prêts d’investissements, fournis à des taux quasi négatifs par la Bank of China. Quel est l’attrait de ces nouveaux colons pour la Sibérie ? Un business via Vladivostok, peuplé désormais majoritairement de ressortissants chinois et nord-coréens, certainement, mais ce sont plutôt les richesses du sous-sol, plus précisément en hydrocarbures, en particulier celles de la République autonome du Birobidjan (où les panneaux indicateurs en chinois remplacent depuis quelques années ceux en russe ou en Yiddish ), située à la frontière entre la Russie et la Province autonome Coréenne de Chine, qui focalisent toutes les attentions.

Ce dynamisme économique sera le facteur d’une amélioration certaine et durable de la situation géostratégique et politique dans toute la région, et de par sa position, la Corée du Nord y jouera un rôle. Les investisseurs ainsi que le puissant patronat sud-coréens poussent à un rapprochement ferme entre Séoul et Pyongyang, attirés par les richesses du sous-sol nord-coréen, par une main d’œuvre qualifiée et une position centrale incontournable, quitte à jouer la carte d’un éloignement avec l’embarrassant et très occupant allié américain.

Tous les changements qui interviennent ou qui sont susceptibles d’intervenir, en Corée du Nord se font dans le but de favoriser cette démarche. Bien évidemment, Washington et Tokyo ont compris tout ce qu’ils avaient à perdre, quant à leur influence régionale militaire pour l’un et économique pour l’autre. Pour autant, ni le maintien des sanctions par la communauté internationale, à l’initiative de Washington, ni la dénonciation par Tokyo du militarisme agressif nord-coréen, ne ralentiront la dynamique économique des trois Corées.

Stéphane Lefèvre


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