Qui sont ces ténors autoproclamés du Hirak algérien?

Qui sont ces ténors autoproclamés du Hirak algérien?

Les bonnes feuilles

Sauver le Hirak de ses démons

Extrait de la préface de Majed Nehmé

[…] 

On ne peut soupçonner Ahmed Bensaada, l’auteur de ce livre-enquête, d’être hostile au Hirak, qu’il avait appelé de tous ses vœux. Il le dit sans ambages dès les premières lignes de son enquête : « Cet évènement majeur dans la vie politique de l’Algérie a bouleversé tous les codes du pays. Il a modifié la psychologie d’un peuple, a aiguisé son sens de la discipline, a soudé ses rangs dans un objectif commun contre le despotisme et la hogra et a réussi avec brio le déboulonnage d’un système prédateur et sa meute de serfs. Une vraie campagne de salubrité publique scandée de concert dans les rues de toutes les villes du pays avec la classe, la véhémence et le ton que requièrent ces moments historiques… »

Mais l’adhésion à un mouvement historique refondateur et salutaire ne peut se faire, pour un esprit critique et vigilant comme Ahmed Bensaada, en fermant les yeux devant les tentatives de certains agitateurs professionnels pour récupérer ce soulèvement populaire et patriotique en vue de le dévier de sa trajectoire et de le mettre au service d’un plan étranger inavoué car inavouable. Son adhésion au Hirak était mue uniquement par son attachement à son pays, son identité, son indépendance, sa souveraineté chèrement acquise sans laquelle aucune réforme structurelle ne saurait être engagée sérieusement et durablement. 

Vigilant, fin observateur des stratégies minutieusement et méthodiquement mises en place par les néoconservateurs américains en particulier et occidentaux en général, adeptes du « regime change » et du « chaos constructif », Ahmed Bensaada, avec le flair qu’on lui connaît, a très vite décelé, documents à l’appui, les tentatives de récupération de ce mouvement historique. Il avait, à vrai dire, observé les agissements de certains acteurs, qui se sont autoproclamés leaders de l’actuelle contestation depuis son premier livre d’investigation paru en 2011, « Arabesque$ – Enquête sur le rôle des États-Unis dans les révoltes arabes », et qui sera plusieurs fois réédité au Canada, en Belgique et en Algérie, traduit en arabe et bientôt en espagnol. On se rappelle comment, dans la foulée des mal nommés printemps arabes, une tentative de « printanisation » de l’Algérie avait eu lieu mais avait lamentablement échoué.

Il avait déjà pressenti le danger d’une telle récupération visant l’Algérie. Car la stratégie de déstabilisation était globale et visait en fait tous les pays « récalcitrants » dans le monde. De Cuba jusqu’au Liban, du Venezuela jusqu’au Yémen, en passant par Hong Kong, l’ancien espace post-soviétique, la Syrie, l’Iran, la Libye, la Tunisie, voire même l’Irak qui, bien qu’il ait été envahi en 2003 ― après un blocus barbare de 1990 à 2003 qui a fauché la vie à des centaines de milliers de civils ― continue de servir de laboratoire aux machinations déstabilisatrices des néoconservateurs américains. 

[…] L’enquête actuelle de Bensaada part d’une déclaration stupéfiante de Lahouari Addi, un activiste professionnel franco-algérien qui officie en France, professeur de sociologie à l’IEP de Lyon de son état, qui propose, sans autre forme de procès, ni consultation populaire démocratique quelconque, et sans même l’approbation des forces vives du Hirak, la prise du pouvoir par un triumvirat composé de Mustapha Bouchachi, Zoubida Assoul et Karim Tabbou. Rien d’un moins ! « Pourquoi le sociologue a-t-il proposé ces personnes en particulier et ce, très peu de temps après le début des manifestations ? Les connaissait-il personnellement ? Avait-il discuté avec elles et pris connaissance de leurs programmes respectifs ? Y avait-il une coalition sous-jacente au Hirak pour proposer une liste en particulier ? Quel était le fil conducteur qui reliait ces personnes au professeur lyonnais ? », se demande l’auteur.

En suivant le docteur Bensaada dans ses investigations, le lecteur ne sera pas déçu. Ils ont tous été liés, d’une façon ou d’une autre, à des organismes américains d’exportation de la démocratie ! En plus de ces liaisons coupables avec des puissances étrangères, nos trois hirakistes, relève Bensaada, ont en commun leur accointance avec la nébuleuse islamiste, survivance du FIS interdit, qui a du sang algérien sur les mains, ou leurs soutiens basés à l’étranger qui jouissent de la protection des puissances dites démocratiques et anti-terroristes. L’arrestation de Karim Tabbou pour « atteinte à l’unité nationale » aura d’ailleurs été l’occasion rêvée pour la nébuleuse islamiste soutenue par le Qatar pour courir à son secours et dénigrer l’Algérie !

[…]

L’enquête d’Ahmed Bensaada est une contribution majeure pour la compréhension des jeux et enjeux qui se cachent derrière les postures nihilistes des puissances étrangères vis-à-vis de l’Algérie par le biais de pantins locaux. Des puissances qui prêchent aux autres ce qu’elles ne font pas chez elles. C’est aussi un appel à un sursaut national pour sauver le Hirak de ses démons et de ses fossoyeurs. Sa conclusion ne supporte aucune ambiguïté sur ce point : « Le Hirak, conclut-il, qui a été un évènement unique et grandiose dans l’histoire de l’Algérie, se doit d’être intrinsèquement algéro-algérien et de ne permettre aucune collusion avec des intérêts étrangers. Ce sont ces conditions qui garantissent l’épanouissement de l’Algérie de demain, démocratique, prospère et juste… »

Féconde sera la démocratisation (Extrait)

Par Ahmed Bensaada

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Suivant le cheminement de sa réflexion hirakiste, Addi mit de l’avant (lui aussi !) les noms de certaines « célébrités » du mouvement populaire, même si d’après lui, « Le Hirak n’a pas vocation à être structuré »7. 

Ainsi, le 14 mars 2019, soit moins d’un mois après le début du Hirak, il écrivit : 

« [] les décideurs doivent accepter le caractère public de l’autorité de l’Etat. Ils doivent demander à celui qui fait fonction de président aujourd’hui de démissionner et de nommer une instance de transition qui exerce les fonctions de chef d’Etat. Mustapha Bouchachi, Zoubida Assoul et Karim Tabbou devraient être sollicités pour exercer les prérogatives d’une présidence collégiale qui nommera un gouvernement provisoire qui gérera les affaires courantes et préparera les élections présidentielle et législative dans un délai de 6 à 12 mois. Les généraux doivent aider à la réalisation de ce scénario et se dire une fois pour toute que l’armée appartient au peuple et non l’inverse »8.

Pourquoi le sociologue a-t-il proposé ces personnes en particulier et ce, très peu de temps après le début des manifestations ? Les connaissait-il personnellement ? Avait-il discuté avec elles et pris connaissance de leurs programmes respectifs ? Y avait-il une coalition sous-jacente au Hirak pour proposer une liste en particulier ? Quel était le fil conducteur qui reliait ces personnes au professeur lyonnais ?

Tout le monde avait remarqué, bien entendu, que ces noms avaient émergé ― comme par enchantement― très tôt de la houle du Hirak. Mais que ces personnes en particulier soient « désignées » par Lahouari Addi, cela est loin d’être anodin. En effet, la recherche de dénominateurs communs exige aussi bien un retour vers le passé qu’une observation de l’actualité récente. 

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Ainsi, dans les années 1990 – 2000, et ce durant plusieurs années, Lahouari Addi a fait partie de l’« International Forum for Democratic Studies Research Council » de la NED (en français : Conseil de recherche du Forum international d’études démocratiques)11.

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Outre Addi, la liste des membres de ce conseil de recherche cite les noms de célébrités de la « démocratisation » américaine. Par exemple, dans le rapport annuel 2005 de la NED on trouve, entre autres, d’influents politologues américains comme Francis Fukuyama, Samuel P. Huntington ou Donald L. Horowitz. Le premier, néo-conservateur de la première heure, a déclaré : 

« J’ai travaillé pour l’ancien vice-ministre de la Défense Paul Wolfowitz à deux reprises, d’abord à l’Agence de contrôle des armements, puis au State Department ; […] J’ai par ailleurs travaillé avec son mentor, Albert Wohlstetter, au sein de la firme de consultants Pan Heuristics, et comme lui j’ai été [salarié] plusieurs années par la RAND Corporation »14. 

Rappelons que Paul Wolfowitz est un des néo-conservateurs américains les plus radicaux, qu’il a travaillé dans l’administration Bush fils en s’illustrant comme un fervent artisan et défenseur de l’invasion de l’Irak. D’autre part, la RAND Corporation est considérée comme le think tank le plus influent des États-Unis. Financée en majorité par le gouvernement américain (essentiellement par le secteur militaire), elle produit des rapports d’analyse politique et de renseignement pour l’armée et les décideurs américains.

De son côté, le professeur Samuel P. Huntington est mondialement connu pour sa ouvrage intitulé « Le choc des civilisations », alors que le professeur Donald L. Horowitz est spécialisé dans les « conflits ethniques ». Ce dernier a été nommé en 2006 par Condoleeza Rice au « Comité consultatif de la Secrétaire d’État pour la promotion de la démocratie » afin de la conseiller ainsi que l’administration de l’USAID (United States Agency for International Development, un autre organisme, comme la NED, spécialisé dans l’exportation de la démocratie)15.

Cette longue liste mentionne aussi quelques faucons néoconservateurs comme Joshua Muravchik qui avait demandé, en 2006, rien de moins que : « Bombardez l’Iran »16.

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Robe noire et droit-de-l’hommisme (Extrait)

Par Ahmed Bensaada

La seconde Assemblée mondiale du WMD s’est tenue à São Paulo (Brésil) du 12 au 15 novembre 2000. Comme on doit s’en douter, les vedettes de cet évènement étaient, sans conteste, les activistes d’Otpor. D’ailleurs, deux de ses plus éminents membres étaient présents :  Slobodan Djinovic et Slobodan Homen36. Et leur contribution n’est pas passée inaperçue.

Dans une session organisée et modérée par l’IRI, Slobodan Homen présenta une communication intitulée : « Des élections décisives comme opportunités de promotion de la démocratie : quelles sont les meilleures stratégies ? ».

De son côté, Slobodan Djinovic anima un workshop modéré par le NDI, avec le titre évocateur suivant : « Comment les ONG peuvent-elles aider à surmonter les obstacles et à réduire les coûts humains dans les transitions difficiles ? ».

Et le plus intéressant dans cette histoire, c’est la mention accompagnant l’évènement : « Ce workshop est focalisé sur l’étude de quatre cas : la Serbie, l’Algérie, la Palestine et la Roumanie »37.

Un workshop animé par un leader d’Otpor, dans un évènement organisé par la NED et focalisé sur l’Algérie ? Et quand cela ? En 2000 ! Une décennie avant le printemps arabe, presque deux décennies avant le Hirak !

Mais quelle est la relation entre tout cela et maître Bouchachi, me dira-t-on ? La réponse est dans la liste des participants de la seconde Assemblée mondiale du WMD : Mostefa Bouchachi était présent38 en qualité d’« Avocat à la Cour agréé auprès de la Cour Suprême » en compagnie de Hakim Addad, fondateur du RAJ (Rassemblement Actions Jeunesse) en 199239.  Comme précisé dans plusieurs articles sur le sujet, le RAJ est une des organisations les plus financées par la NED40. De plus, en 2000, le RAJ était bien connu de la NED puisque cette dernière avait commencé à le subventionner en 199741. Alors que Mostefa Bouchachi n’était venu qu’en auditeur, Hakim Addad a coanimé un workshop portant un titre explicite : « Le réseautage des jeunes militants pour la démocratie »42. À noter que les rapporteurs de ce workshop étaient des représentants de la NED et de la Friedrich Ebert Stiftung (un organisme allemand de financement similaire à la NED, bien connu en Algérie). Faut-il rappeler que, comme le RAJ, la LADDH a été financée par la NED ?

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Chronique d’une liaison annoncée (Extrait)

Par Ahmed Bensaada

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L’analyse présentée dans ce qui précède montre un premier dénominateur commun entre Lahouari Addi et deux (à défaut de trois) des personnes dont il a suggéré les noms : leurs relations avec les États-Unis et leurs organismes d’« exportation » de la démocratie. Il est évident que Lahouari Addi, Mostefa Bouchachi et Zoubida Assoul ont tous eu des accointances avec des intérêts étasuniens. 

Passons maintenant au second trait commun qui caractérise ces « ténors » du Hirak. Lorsqu’en février dernier, le jour même de la célébration du premier anniversaire du Hirak, M. Bouchachi a rendu visite (avec d’autres hirakistes) à l’ex-numéro deux du FIS (Front islamique du Salut) en la personne de Ali Benhadj, ce fut un tollé général 113. Comment celui qui se considère comme le porte-drapeau du Hirak et de ses valeurs démocratiques pouvait-il frayer avec une personne qui déclarait, il n’y a pas si longtemps, qu’il n’était pas démocrate et que la démocratie était « Kofr » (impie) ?

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En effet, ce n’était pas la première marque de sympathie de M. Bouchachi à l’égard des ex-membres du FIS. Lors du décès du numéro un de ce parti, Abbassi Madani, il s’était empressé de twitter ses condoléances en priant « qu’Allah l’accueille dans son vaste paradis ». Ce à quoi lui répondit une internaute : « Mon père, première victime civile de ce terroriste et ses acolytes, vous salut de sa tombe cher ‘‘démocrate’’. Vous avez perdu une occasion en or de vous taire…116 ».

La proximité de Maître Bouchachi avec la chaîne Al Magharibia, illustre bien cette affinité avec le mouvement islamiste. Ses fréquentes apparitions à l’écran et les marques de déférence dont il bénéficie de la part de cette chaîne et ce, des années avant le Hirak, trahissent une évidente sympathie à l’égard de celui qu’on surnommait, comme mentionné précédemment, « l’avocat du FIS » 117. 

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En février dernier, lorsque Lahouari Addi arriva au lieu du débat organisé par « Rachad », il fut accueilli tout sourire par M. Zitout. Accolade et embrassade s’ensuivirent, témoignant d’une camaraderie difficilement dissimulable. Ce n’était visiblement pas la première fois qu’ils se rencontraient 122.

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Lahouari Addi et Mourad Dhina sont aussi de vieilles connaissances, comme le montre le tableau ci-dessus. Cela est aussi évident à la familiarité expressive (tutoiement, utilisation des prénoms, etc.) clairement visible dans cette vidéo de Rachad TV datée du 21 octobre 2019 (en plein Hirak) et où le premier est l’invité du second 127. D’ailleurs, n’est-ce pas M. Addi qui avait déclaré : « Mourad Dhina est un Erdogan algérien, il défend un islam compatible avec les droits de l’homme et la démocratie. Mais pour le gouvernement algérien il n’y a rien de pire que des islamistes autonomes… 128 ».

À noter que ces propos ont été rapportés par Marie Verdier (La Croix) en 2012, des années avant le Hirak. 

En ce qui concerne Zoubida Assoul, ses interventions sur Al Magharibia ne sont plus à compter 129. En plus des émissions qui lui ont été consacrées, elle intervient régulièrement en direct sur cette chaîne pour analyser et critiquer la vie politique du pays. 

Selon Maghreb Intelligence, de nombreuses personnalités de l’opposition ont été invitées à Paris par Al Magharibia pour fêter l’anniversaire de la chaîne, en février 2019 (quelques jours avant le début du Hirak). Et la source de préciser :

« Les billets d’avion, les chambres d’hôtels, les locaux de la réunion, les dîners, les boissons, tout, absolument tout, a été pris en charge par la comptabilité de la chaîne islamiste Al Magharibia qui défend clairement et ouvertement les positions de l’ex-FIS et, surtout, les « bienfaits » du Qatar et de sa diplomatie sournoise »130.

Parmi les invités, les noms de Zoubida Assoul et de Karim Tabbou ont été cités. La présence à Paris, à cette période, de ces deux figures du Hirak a été confirmée par Naoufel Brahimi El-Mili dans son livre « Histoire secrète de la chute de Bouteflika » : « Par une étrange coïncidence, ce dimanche-là [17 février 2019] des personnalités algériennes, liées au mouvement ‘‘Mouwatana’’, se trouvent à Paris. Elles répondent présent. Parmi elles, Karim Tabou, Zoubida Assoul et Soufiane Djilali et un certain ‘‘Amir DZ’’, activiste sur la Toile et blogueur très suivi, qui prend le micro et galvanise la foule avec son parler ‘‘jeune’’…131 »

[…]

La bronca qui suivit la publication de la nouvelle fit vaciller quelques certitudes. Maître Bouchachi et Zoubida Assoul démentirent l’information. Les politiques à la mémoire courte comprennent à leurs dépens que certaines liaisons peuvent être dangereuses, très dangereuses. Commentant ces relations démocrato-islamistes, Lahouari Addi rédigea un article affublé d’un titre explicite : « Faut-il avoir peur des islamistes ? » 139. Il va sans dire que poser la question de cette façon, c’est y répondre par la négation. 

L’explication rudimentaire du sociologue est basée sur deux arguments aussi solides qu’un château de sable en plein ouragan : le respect de la diversité idéologique et le « qui-tue-quisme »140. M. Addi feint de ne pas comprendre que ce n’est pas l’islamisme en général qui a été visé par le tollé, mais l’alliance avec des personnes ayant un lourd passé qui prônent une idéologie qui a généré le chaos et la désolation durant la décennie noire. D’autre part, il y a une différence entre permettre la diversité idéologique et avoir des liens aussi étroits et des canaux de communication aussi bien huilés avec une mouvance particulière de l’islamisme dont l’histoire est douteuse. Quant au « qui-tue-quisme », ce n’est qu’un subterfuge simpliste pour absoudre les terroristes de leurs crimes.

En fait, Lahouari Addi remet au goût du jour sa fameuse théorie de la « régression féconde ». À ce propos, le journaliste Hassan Zenati précise que cette approche est celle d’un « groupe d’intellectuels algériens vivant en Europe, inspirés par la théorie du ‘‘chaos créateur’’ des néo-conservateurs américains qui soutenaient qu’un pouvoir islamiste ne serait au pire qu’une ‘‘régression féconde’’ sans lendemain, mais qui permettrait tôt ou tard de trouver les voies démocratiques ». Il ajouta que l’un des chefs de file de ce groupe est le sociologue Lahouari Addi141.

Ce qui nous ramène au tout début de cette analyse : la relation de Lahouari Addi avec la NED et les néoconservateurs américains. Mais aussi aux liens entre certains « ténors » du Hirak et les intérêts étasuniens. Cela n’est pas sans nous rappeler la volonté américaine de favoriser l’installation d’un pouvoir islamiste dans les pays arabes, comme ce fut le cas en Égypte, en Syrie, en Libye ou au Yémen. 

L’Algérie au cœur

Extrait de la postface de Richard Labévière 

[…]

Les ONG sont, sans doute, la trouvaille la plus machiavélique des pays occidentaux dits « démocratiques ». Elles ont été inventées dans les années 1950, en pleine Guerre froide pour affaiblir le bloc communiste de l’intérieur, utilisant différents paravents d’associations d’entraide humanitaire et sanitaire, d’alphabétisation et – bien-sûr – de médias dits « démocratiques » avec beaucoup de guillemets : Radio Free Americia, Free Europe, Free tout ce qu’on veut… Quelques-unes de ces ONG : National Endowment for Democracy (NED), National Democratic Institute (NDI), Freedom House, Open Society Institute et la fameuse Otpor – qui signifie en serbe cyrillique « résistance ». Cette dernière a été créée en 1998 avec le soutien du National Endowment for Democracy et du milliardaire d’origine hongroise George Soros. Après la casse de l’ex-Yougoslavie, Otpor est devenue le centre de formation pour « l’action non violente » et a produit de nombreux activistes « révolutionnaires » notamment en Géorgie, en Ukraine, en Biélorussie, aux Maldives, en Égypte et, dernièrement, au Venezuela.

[…]

Et la recette est tellement efficace qu’elle continue d’être consciencieusement appliquée dans les pays qui ont l’audace de ne pas se conformer aux injonctions de Washington, de Londres, des autres chancelleries européennes, de Tel-Aviv et des pays du Golfe, c’est-à-dire des principaux acteurs de la mondialisation ultralibérale actuelle.

[…]

Car c’est bien la question essentielle. Les révolutions française (1789), russe (1917), chinoise et cubaine (1949), algérienne (1954) et sandiniste (1979) ont provoqué de profonds basculements historiques, marquant un avant et un après décisifs de « substance », au sens hégélien du terme. Dans cette séquence contradictoire, qui fait progresser « la raison dans l’histoire », la révolution nationale algérienne tient une place tout à fait particulière parce qu’elle met fin à une occupation et une exploitation coloniale qui perdurait depuis 1830. 

Et aujourd’hui encore, la révolution algérienne demeure emblématique et centrale dans la vie et la mémoire des peuples, parce qu’elle incarne une victoire sans appel sur le fait colonial, renvoyant définitivement ce mode de gouvernance aux oubliettes de l’histoire. L’affirmation d’une Algérie nationale, souveraine et indépendante reste une menace et un défi pour les tenants et profiteurs des derniers colonialismes en acte et en puissance, au premier rang desquels l’entité sioniste, son « État juif » d’apartheid qui occupe, annexe, colonise et opprime les Territoires palestiniens.

[…]

Plus largement, l’existence d’une Algérie souveraine et indépendante gêne les protagonistes et les profiteurs de la mondialisation contemporaine : ultralibérale, anglo-saxonne, destructrice des ressources naturelles et de la liberté des peuples. L’obsession de cette machinerie morbide : casser les États-nations, les services publics et les politiques de redistribution sociale. 

L’Algérie gêne encore doublement les apprentis sorciers de la mondialisation : d’abord parce que c’est un grand pays pétrolier et gazier qui pèse au sein des organisations des pays producteurs et exportateurs. Et quelles que soient les variations du prix du baril, ces ressources algériennes – gérées nationalement – font obstacles aux intérêts des États-Unis et des pays du Golfe. 

[…]

L’autre défi algérien – insupportable à tous les nostalgiques du colonialisme – c’est, bien-sûr une diplomatie de non-ingérence et de médiation à l’usage de l’auto-détermination des peuples de Palestine et du Sahara Occidental en passant par de multiplies théâtres africains et asiatiques. La diplomatie algérienne demeure l’un des grands vecteurs d’émancipation et de libération des peuples, parce que sa vraie révolution nationale ne peut être assimilable, sinon récupérée par quiconque.

[…]

Encore plus largement, l’affirmation nationale d’une Algérie souveraine et indépendante reste une menace pour les actuels faiseurs de mondialisation, parce que l’État-nation constitue – toujours et encore – la « monade » au sens leibnizien du terme, la cellule indispensable d’une théodicée de la résistance. Le grand historien de la Méditerranée, Fernand Braudel, nous a enseigné que tout processus d’édification nationale s’inscrit dans une durée longue et contradictoire. Avant de connaître une relative stabilité constitutionnelle et institutionnelle, le pays de la Révolution française s’est étripé, des siècles durant, entre catholiques et protestants, entre monarchistes et républicains, entre laïcs et cléricaux, la séparation de l’Église et de l’État datant d’une loi de… 1905. Par conséquent, personne n’est en droit de faire la leçon à quelque pays que ce soit… et certainement pas à l’Algérie.

[…]

S’adressant à l’intelligence collective, Ahmed Bensaada l’écrit de manière limpide et saisissante : la question n’est pas d’être pour ou contre le Hirak ; la question n’est pas d’exagérer, de nier ou d’instrumentaliser les questions internes qui travaillent la société algérienne, comme toute société au monde. La vraie question est de rappeler qu’il s’agit de l’affaire des Algériens eux-mêmes, et que ces défis d’avenir ne peuvent être abandonnés à des officines étrangères, dissimulées derrières les masques d’ONG aux financements et feuilles de routes des plus opaques.

Ahmed Bensaada

Editions APIC, Alger 2020


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