Islam et Christianisme (Volney)

Non, non, ce n’est point Dieu qui a fait l’homme à son image; c’est l’homme qui a figuré Dieu sur la sienne, il lui a donné son esprit, l’a revêtu de ses penchans, lui a prêté ses jugemens… Et lorsqu’en ce mélange il s’est surpris contradictoire à ses propres principes, affectant une humilité hypocrite, il a taxé d’impuissance sa raison, et nommé mystères de Dieu les absurdités de son entendement.

Il a dit: Dieu est immuable; et il lui a adressé des vœux pour le changer. Il l’a dit incompréhensible, et il l’a sans cesse interprété.

Il s’est élevé sur la terre des imposteurs qui se sont dits confidens de Dieu, et qui, s’érigeant en docteurs des peuples, ont ouvert des voies de mensonge et d’iniquité…

(Constantin François de Chassebœuf, comte de Volney, Les Ruines ou Méditation sur les révolutions des Empires, Quatrième édition, Courgier Imprimeur-Libraire, Paris, 1808 [première édition : 1791], page 85)

Dans Les Ruines ou Méditation sur les révolutions des Empires (1791), le philosophe matérialiste français Constantin François de Chassebœuf, comte de Volney (1757–1820) s’imagine en législateur athée ne connaissant rien aux religions de la terre et se rendant sur un immense lieu de rencontre en plein air, pour se les faire introduire. Sur cette agora naturelle gigantesque se tient, drapeaux au vent, oriflammes, enseignes, gonfalons et symboles au clair, tous les représentants de toutes les religions de la terre. Comme le législateur envisage de leur proposer une sorte de syncrétisme laïc, un peu dans l’esprit globalisant et optimiste de la Révolution Française, il se les fait introduire par un hôte rationaliste qui, sans partager leurs croyances, connaît ces cultes. Sans lésiner sur l’expression de son agacement, qui est celui de tout incroyant spontané et lucide des temps modernes (17ième-21ième siècles), l’hôte, au cours de sa longue énumération, en vient à présenter les sectateurs de l’Islam et ceux du Christianisme.

Et à mesure que les groupes vinrent se placer, me faisant remarquer les symboles et les attributs de chacun, [mon hôte] commença de m’expliquer leurs caractères en ces mots :

« Ce premier groupe, me dit-il, formé d’étendards verts qui portent un croissant, un bandeau et un sabre est celui des sectateurs du prophète arabe. Dire qu’il y a un Dieu (sans savoir ce qu’il est); croire aux paroles d’un homme (sans entendre sa langue); aller dans un désert prier Dieu (qui est partout); laver ses mains d’eau (et ne pas s’abstenir de sang); jeûner le jour (et manger de nuit); donner l’aumône de son bien (et ravir celui d’autrui); tels sont les moyens de perfection institués par Mahomet; tels sont les cris de ralliement de ses fidèles croyans. Quiconque n’y répond pas est un réprouvé, frappé d’anathème et dévoué au glaive. Un Dieu clément, auteur de la vie, a donné ces lois d’oppression et de meurtre : il les a faites pour tout l’univers, quoiqu’il ne les ait révélées qu’à un homme. Il les a établies de toute éternité, quoiqu’il ne les ait publiées que d’hier. Elles suffisent à tous les besoins, et cependant il y joint un volume : ce volume devait répandre la lumière, montrer l’évidence, amener la perfection, le bonheur ; et cependant, du vivant même de l’Apôtre, ses pages offrant à chaque phrase des sens obscurs, ambigus, contraires, il a fallu l’expliquer, le commenter; et ses interprètes divisés d’opinions se sont partagés en sectes opposées et ennemies. L’une soutient qu’Ali est le vrai successeur. L’autre défend Omar et Aboubekre. Celle-ci nie l’éternité du Qôran, celle-là la nécessité des ablutions, des prières : le Carmate proscrit le pèlerinage et permet le vin : le Hakemite prêche la transmission des ames : ainsi jusqu’au nombre de soixante-douze partis, dont tu peux compter les enseignes. Dans cette opposition, chacun s’attribuant exclusivement l’évidence, et taxant les autres d’hérésie, de rebellion, a tourné contre tous son apostolat sanguinaire. Et cette religion qui célèbre un Dieu clément et miséricordieux, auteur et père commun de tous les hommes, devenue un flambeau de discorde, un motif de meurtre et de guerre, n’a cessé depuis douze cents ans d’inonder la terre de sang, et de répandre le ravage et le désordre d’un bout à l’autre de l’ancien hémisphère.

Ces hommes remarquables par leurs énormes turbans blancs, par leurs amples manches, par leurs longs chapelets, sont les imans [sic], les mollas, les muphtis, et près d’eux les derviches au bonnet pointu, et les santons aux cheveux épars. Les voilà qui font avec véhémence la profession de foi, et commencent de disputer sur les souillures graves ou légères, sur la matière et la forme des ablutions, sur les attributs de Dieu et ses perfections, sur le chaîtan et les anges méchans ou bons, sur la mort, la résurrection, l’interrogatoire dans le tombeau, le jugement, le passage du pont étroit comme un cheveu, la balance des œuvres, les peines de l’enfer et les délices du paradis.

A côté, ce second groupe, encore plus nombreux, composé d’étendards à fond blanc, parsemés de croix, est celui des adorateurs de Jesus [sic]. Reconnaissant le même Dieu que les musulmans, fondant leur croyance sur les mêmes livres, admettant comme eux un premier homme qui perd tout le genre humain en mangeant une pomme; ils leur vouent cependant une sainte horreur, et par piété ils se traitent mutuellement de blasphémateurs et d’impies. Le grand point de leur dissention réside surtout en ce qu’après avoir admis un Dieu un et indivisible, les chrétiens le divisent ensuite en trois personnes, qu’ils veulent être chacune un Dieu entier et complet, sans cesser de former entr’elles un tout identique. Et ils ajoutent que cet être, qui remplit l’univers, s’est réduit dans le corps d’un homme, et qu’il a pris des organes matériels, périssables, circonscrits, sans cesser d’être immatériel, éternel, infini. Les musulmans, qui ne comprennent pas ces mystères, quoiqu’ils conçoivent l’éternité du Qôran et la mission du prophète, les taxent de folies, et les rejettent comme des visions de cerveaux malades : et de là des haines implacables.

D’autre part, divisés entre eux sur plusieurs points de leur propre croyance, les chrétiens forment des partis non moins divers; et les querelles qui les agitent sont d’autant plus opiniâtres et plus violentes, que les objets sur lesquels elles se fondent étant inaccessibles aux sens, et par conséquent d’une démonstration impossible, les opinions de chacun n’ont de règle de base que dans les caprices et la volonté. Ainsi, convenant que Dieu est un être incompréhensible, inconnu, ils disputent néanmoins sur son essence, sur sa manière d’agir, sur ses attributs. Convenant que la transformation qu’ils lui supposent en homme est une énigme au dessus de l’entendement, ils disputent cependant sur la confusion ou la distinction des deux volontés et des deux natures, sur le changement de substance, sur la présence réelle ou feinte, sur le mode de l’incarnation, etc, etc.

(Constantin François de Chassebœuf, comte de Volney, Les Ruines ou Méditation sur les révolutions des Empires, Quatrième édition, Courgier Imprimeur-Libraire, Paris, 1808 [première édition : 1791], pp 145-149)

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