Syriera bien qui rira le dernier

Syriera bien qui rira le dernier

Ce ne sera pas encore pour cette fois… Dans notre dernier billet, nous avons fait un sort à la rumeur du divorce syro-russe, maintes fois annoncé en fanfare par la MSN impériale depuis 2015, presque autant que la destruction du désormais légendaire «dernier hôpital d’Alep». Le manège était bien huilé : démolie par les faits, l’intox était mise de côté pendant quelques temps avant de ressortir de plus belle par les plumitifs en mal de sensation.

Le dernier caquètement en date a été démonté par une remarquable analyse du National Interest. Contrairement aux éléments de langage distillés par les CNN & Co, l’approche russe est on ne peut plus logique : après avoir gagné militairement, il s’agit de remettre la Syrie sur pied, d’en faire un État stable, apaisé et économiquement viable. Un pays où les milices rentrent dans le rang (ce qui peut certes conduire parfois à quelques bisbilles avec l’Iran), où les profiteurs de guerre et autres oligarques ne se constituent pas des fiefs. C’est là qu’entre en scène Rami Makhlouf…

Cousin d’Assad et businessman richissime, il a, dès le début du conflit, été partisan de la ligne dure. Finançant des milices loyalistes sur ses propres fonds, il n’en continuait pas moins à faire des affaires, profitant de sa position unique au sein du système. Jusqu’à ce que, en avril dernier, le gouvernement ne l’accuse d’évasion fiscale et ne saisisse une partie de sa fortune.

Loin d’être l’homme de Moscou, comme le serinent sans rire les médias américains qui voudraient voir dans sa récente disgrâce la preuve d’une rupture syro-russe, Makhlouf représente au contraire tout ce que le Kremlin déteste dans la nouvelle Syrie à reconstruire : un Etat dans l’Etat corrompu, reposant sur des pratiques mafieuses, et des milices échappant à tout contrôle gouvernemental. Une sorte de Nicolas Fouquet ou de Khodorkovski à la sauce syrienne…

Ce n’est pas un hasard si nous citons l’ancien PDG de Youkos. Il semble en effet que Poutine fasse de l’élimination des hauts pontes frauduleux de Damas une affaire presque personnelle, qui n’est pas sans rappeler sa propre mise au pas des oligarques lors de son arrivée au pouvoir il y a vingt ans. Dans cette croisade, il a d’ailleurs l’entier soutien de la femme et de la sœur d’Assad, scandalisées par l’étalage provocant des richesses de la famille Makhlouf alors que la majorité de la population tente difficilement de joindre les deux bouts après une décennie de destructions.

La chute du tycoon ne représente donc pas une quelconque friction entre Assad et les Russes ; elle symbolise au contraire le ralliement du premier à l’ambitieux projet d’après-guerre des seconds.

Ils sont d’ailleurs tellement peu en désaccord que l’ours est sur le point d’ouvrir de nouvelles bases en Syrie, en sus de celles de Tartous et de Hmeimim. Quant à Assad, il vient non seulement de recevoir des hélicoptères et des blindés, comme nous l’indiquions dans le dernier billet, mais également des MiG 29 modernisés. De quoi faire quelques jolies acrobaties et peut-être plus…

A Idlib, nous en étions restés au cessez-le-feu début mars :

Ironie du sort ou pique du Kremlin à l’égard du sultan, c’est à l’ombre de la statue de Catherine II que s’est déroulée la rencontre entre Poutine et Erdogan. Quand on sait que la tsarine de toutes les Russies a, en son temps, mis une fessée à l’empire ottoman, la coïncidence est parlante…

Ainsi donc, Moscou et Ankara ont fini par signer un cessez-le-feu mettant fin (temporairement ?) aux hostilités à Idlib. Puisque les Russes ont décidé, il y a un mois, de ne pas s’opposer frontalement aux Turcs qui envahissaient le territoire syrien en envoyant convoi sur convoi, la cessation des hostilités était la conséquence logique de toute l’affaire.

Si le cessez-le-feu en soi peut être vu comme un revers pour Damas dans sa volonté de remettre la main sur toute la Syrie, ses clauses sont par contre une défaite cinglante pour le sultan. Les récentes conquêtes loyalistes sont entérinées et les demandes d’Ankara de revenir aux limites de Sochi sont balayées d’un revers de main, tout comme le fait d’établir une zone d’exclusion aérienne.

Plus intéressant encore, la M4 est neutralisée, des patrouilles russo-turques y sont prévues et une ceinture de 12 km (6 au nord, 6 au sud) est censée la protéger.

Or cette route passe en plein milieu de l’Idlibistan. Le sort de la zone barbue (1) au sud de la M4 est inconnu mais, si la voie est réellement sécurisée, les modérément modérés se trouveront coupés de leurs arrières. Dès lors, une évacuation n’est pas impossible, ce qui ferait gagner aux loyalistes une portion significative de territoire sans combattre.

Deuxième point intéressant, dont personne ne parle : quid de Jisr al-Chogour ? Cette place-forte djihadiste (2), perdue par le gouvernement en 2015, se trouve sur la M4 et est donc comprise dans le cordon de sécurité. Peut-on décemment imaginer que les milices qui la tiennent désarmeront ? Toujours est-il que, dans le cas où cet accord serait réellement mis en place, la vision de soldats russes patrouillant au milieu des regards acérés des djihadistes tchétchènes ou turkmènes vaudrait son pesant d’or.

Depuis, mis à part une attaque surprise meurtrière d’un groupe djihadiste contre les loyalistes et quelques attentats des barbus contre leur futurs ex-bienfaiteurs turcs (dernier en date il y a trois jours qui a coûté la vie à un soldat), c’est le status quo, encore renforcé par la crise pandémique mondiale. Des patrouilles russo-turques sur la M4 ont bien lieu mais elles restent partielles et n’arrivent qu’à mi-route ; Jisr al-Chogour semble encore à des années-lumière.

L’ours a-t-il ouvert un œil pour rappeler au sultan ses engagements ? Il se pourrait en effet que la situation se réchauffe quelque peu à Idlib si l’on en croit le large déploiement de troupes loyalistes près de la ligne de front. Déjà, le mois dernier, des pilotes russes et syriens avaient effectué des vols d’entraînement conjoints de plus de douze heures non-stop. En préparation d’une opération à venir ? Depuis, il y a eu cet énorme arrivage de matériel pour l’armée syrienne. A suivre…

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À propos de l'auteur Chroniques du Grand Jeu

« La géopolitique autrement, pour mieux la comprendre... »Présent à l'esprit de tout dirigeant anglo-saxon ou russe, le concept de Grand jeu est étonnamment méconnu en France. C'est pourtant lui qui explique une bonne part des événements géopolitiques de la planète. Crise ukrainienne, 11 septembre, tracé des pipelines, guerre de Tchétchénie, développement des BRICS, invasion de l'Irak, partenariat oriental de l'UE, guerre d'Afghanistan, extension de l'OTAN, conflit syrien, crises du gaz, guerre de Géorgie... tous ces événements se rattachent directement ou indirectement au Grand jeu. Il ne faut certes pas compter sur les médias grand public pour décrypter l'état du monde ; les journaux honnêtes font preuve d'une méconnaissance crasse, les malhonnêtes désinforment sciemment. Ces humbles chroniques ont pour but d'y remédier. Le ton y est souvent désinvolte, parfois mordant. Mais derrière la façade visant à familiariser avec la chose géopolitique, l'information est solide, étayée, référencée. Le lecteur qui visite ce site pour la première fois est fortement invité à d'abord lire Qu'est-ce que le Grand jeu ? qui lui donnera la base théorique lui permettant de comprendre les enjeux de l’actuelle partie d’échecs mondiale.Par Observatus geopoliticusTags associés : amerique latine, asie centrale, caucase, chine, economie, etats-unis, europe, extreme-orient, gaz, histoire, moyen-orient, petrole, russie, sous-continent indien, ukraine

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