Critique des concepts de «Coup d’État mondial des banques centrales«/«Coup d’État planétaire ourdi par l’oligarchie financière» (Partie II)

Après avoir montré en quoi il était dangereux de ne cibler que «l’oligarchie financière» cette petite bande de rentiers «tondeurs de coupons» comme le disait Lénine il me faut maintenant pousser ma critique dans tous les recoins.

Ou est donc ce coup d’ État mondial des banques centrales ? Puisque la BCE n’ est qu’un organe des banques centrales de chaque état. Il s’ agit à mon avis plutôt d’un coup de force visant à empêcher les forces centrifuges et souverainistes de faire éclater l’ UE, mais aussi de favoriser la constitution d’une finance européenne intégrée.

Se souvenir que la Deutsche Bank était en situation de faillite et les banques italiennes en difficultés. Il n’en fallait pas plus pour relancer l’union bancaire mise en chantier en 2012 pour digérer les effets de la crise financière de 2008. Le Figaro avait publié une tribune signée Les Arvernes, un groupe «de hautes fonctionnaires, de professeurs, d’essayistes et d’entrepreneurs», affirmant « Il faut relancer l’intégration bancaire». On peut y lire ceci  : «Il faut progresser de manière décisive dans la constitution d’une vraie finance européenne intégrée. Pour avancer, il faut assainir enfin complètement les secteurs bancaires nationaux fragiles (notamment l’Italie), les recapitaliser et si le secteur privé n’est pas prêt à le faire, commencer à utiliser les instruments de résolution de l’union bancaire. Les très grandes banques européennes restent elles aussi trop grosses, trop peu capitalisées et font peser un risque systémique réel. Elles doivent elles aussi renforcer encore leurs fonds propres, comme le demande le FMI. Mario Draghi vient de déclarer que l’Europe compte trop de banques.» (http://www.lefigaro.fr/vox/economie/2016/10/13/31007-20161013ARTFIG00119-deutsche-bank-banques-italiennes-il-faut-relancer-l-integration-bancaire.

«Le Brexit offre l’opportunité de remettre à l’honneur une conception plus continentale de la finance. Il appartient à la France de porter en Europe cette ambition. Elle en a les moyens, grâce à son industrie bancaire qui peut jouer un rôle de leader dans la recomposition bancaire européenne.» Le Figaro

Il faut savoir qu’en 1930, à l’occasion du plan Young, la France fut à l’initiative de la création de la BRI (banque des règlements internationaux). La BRI/BSI passe pour être la banque centrale des banques centrales, elle supervise les politiques monétaires des différentes banques centrales. En tant que membre fondateur de la BRI, la France est membre d’office du Conseil d’administration et fait partie des principaux actionnaires, La Banque de France participe à l’ensemble des réunions bimestrielles de la BRI qui regroupent les gouverneurs des principales banques centrales de la planète. Elle est représentée dans l’ensemble des comités que la BRI chapeaute directement, notamment le Comité de Bâle (1) sur le contrôle bancaire ( mise en place des Bâle I-II-III) , Comité sur le système financier mondial, et le Comité sur les paiements et les infrastructures de marché.

Nous voyons ici clairement que le système de crédit international, n’ a pas besoin d’un «coup d’ État» (sic) de l’oligarchie financière pour s’imposer. L’ oligarchie financière (principalement américaine) était suffisamment puissante en 1971 pour provoquer l’ abandon du lien dollar-or qui remettait en cause les accords de Bretton Woods par une réforme du système monétaire international qualifiés à l’ époque de «coup d’ État».

Au moment où j’ écris ces lignes,nous apprenons que E. Macron et la chancelière allemande A. Merkel viennent de conclure (lundi 18 mai 2020) un vaste plan de relance de l’ économie européenne. Ce plan, pas encore accepté par les 27 membres de UE, envisage une mutualisation des dettes publiques des états de l’UE. Un fonds de relance serait créé d’un montant de 500 milliards d’euros versé “par le canal du budget communautaire, aux Etats, régions et secteurs qui ont été le plus durement touchés par la pandémie”, sous forme de subventions et non pas de prêts.

Ce revirement de l’Allemagne,correspond à l’arrêt de Karlsruhe contre la BCE. Merckel se rendant compte que l’arrêt pouvait de facto entraîner l’euro dans la catastrophe a contourné l’obstacle en appuyant le plan de relance, sachant que dès le 1er juillet l’Allemagne prend la présidence de l’UE. Ceci confirme une reprise en main du couple franco-allemand, qui va pouvoir grâce aux subventions, se rallier les états endettés Italie, Espagne, Grèce… (3). Nous voyons bien qu’il s’ agit d’un coup de force visant à renforcer l’intégration européenne par une reprise en main du couple franco-allemand de la gestion de la dette publique devant au final soulager la BCE.

La baisse du taux de profit ne peut plus être compensée par sa masse.

Ce qui est intéressant dans l’ article de Luniterre « Coup d’ Etat mondial des banques centrales » c’ est qu’il pense que dorénavant le capital financier n’ a plus de marge, que la baisse tendancielle du taux de profit ne peu plus être compensée par sa masse. Que l’ usage de la création monétaire (« fausse monnaie ») par les banques centrales n’est plus en capacité de relancer le système productif de plus-value. C’est pour moi une vieille histoire déjà débattue, ( voir mon article La classe productrice de plus value à l’ échelle mondiale. (partie I I)

Comme l’eau a coulé sous les ponts depuis, que le «ballon d’oxygène» Chinois s’essouffle comme le souligne Luniterre. La Chine est contrainte elle aussi de passer sous les fourches caudines de l’automatisation, de la robotisation et des hausses de productivité (créant des sans travail = du chômage de masse).

« Avec l’extension de l’automatisation et de la robotisation, si la productivité individuelle de chaque travailleur se trouve décuplée, la nécessité d’utiliser de la main-d’œuvre, du « travail vivant », se trouve, elle, drastiquement réduite pour aboutir à une même quantité de produits finis, supposés répondre à une demande du marché, qui se trouve en réalité désormais réduite du fait de la non-réinjection d’une partie du capital dans le circuit de la consommation, détruisant ainsi la dynamique de « croissance » du cycle « production-consommation ». Luniterre  « Au tournant des années 80 tous les ferments d’une crise majeure s’étaient donc déjà accumulés et ce n’est que le ballon d’oxygène chinois qui a permis le sauvetage provisoire du système. Mais ballon d’oxygène provisoire vu qu’il ne reposait, précisément, que sur la désindustrialisation des pays occidentaux, sans générer, pour autant, un marché chinois suffisamment endogène, même encore aujourd’hui (1). Outre que l’interdépendance est finalement un talon d’Achille pour l’ensemble comme pour chacun des deux « partenaires », US et chinois, elle n’a pas empêché l’accumulation d’un nouveau pôle financier en Chine, générateur, en tant que challenger de l’impérialisme US, d’une nouvelle rivalité à l’échelle planétaire, et donc de nouvelles tensions internationales»Luniterre

Le «ballon d’ oxygène» reposait principalement sur le bas coût du travail , d’ou l’afflux d’IDE en Chine dans le secteur manufacturier. La désindustrialisation des pays occidentaux notamment mines de charbon et aciéries, est le résultat du moteur à explosion et du pétrole. Cependant il ne faut pas oublier qu’en 1979 c’est opéré le retournement monétariste à l’ échelle mondiale et ses 3-D accompagné de la liquidation de «l’État providence ». Depuis la Chine est passée aux normes internationales de productivité (achats massifs de robots). La Chine est devenue le plus gros importateur mondial de robots et on prévoit que d’ici 2018. Il faut donc s’ attendre à des licenciements massifs en Chine et au renforcement d’ un contrôle personnalisé étatique de la population, que le coronavirus a mis en exergue et qui se répand sur la planète.

«Mais à mesure que le taux de profit poursuit sa baisse, la croissance de la masse du profit tombera au point de la ‘suraccumulation absolue’, point de basculement des crises.» On a vu plus haut qu’après un court recul l’accumulation mondiale de capital productif manufacturier s’est poursuivie en dépit de la grande récession, notamment du fait son accumulation en Chine où les investissements ne sont pas étroitement soumis à l’exigence de rentabilité.[10] (5)» F.Chesnais  L’état de l’économie mondiale au début de la grande récession Covid-19: repères historiques, analyses et illustrations

Cela arrive effectivement en période de crise, et touche principalement les petits capitalistes, Marx dans le T III du Capital développe amplement sur le sujet (toute la partie du chapitre XV p.266 ed. De Moscou «Exédent de capital accompagné d’une population excédentaire».

« La masse des petits capitaux éparpillés est ainsi contrainte à s’engager dans la voie de l’ aventure ; spéculation, gonflement abusif du crédit, bluff sur les actions, crises. Ce qu’on applelle la pléthora (pléthore) de capital pour lequel la chute du taux de profit n’ est pas compensée par sa masse-et c’ est le cas toujours des bourgeonnements de capital frais qui viennent de se former-ou la pléthore qui, sous forme de crédit, met ces capitaux, incapables d’ exercer une action à leur propre bénéfice, à la disposition de ceux qui dirigent les grands secteurs commerciaux ou industriels (…) (Le Capital ,T.3, ed. Moscou,p. 267).

Si je comprends bien la démarche de Luniterre est de considérer que les contradictions du capital se développent en spirale de l’inférieur au supérieur, et semble vouloir nous dire que la pléthore s’est généralisée, que le système ne peut plus se tirer d’ affaire par la contre-tendance de la masse de profit, que le serpent en arrive pour vivre à se mordre la queue. Preuve en est qu’il est contraint de distribuer de la monnaie pour engendrer une consommation qui fait défaut. La théorie de la sous consommation critiquée par Marx comme une tautologie (6).

C’est la question centrale qui se pose entre «les théoriciens de l’ effondrement» et ceux qui combattent cette vision, elle traverse tous les courants politiques. Elle fut au centre du débat Pannekoek et Rosa Luxemburg (elle défendait la théorie de l’ effondrement). Ce débat qui se poursuit encore actuellement, ne concerne pas les limites du capitalisme, que nous reconnaissons tous, celles où le travail mort aura réduit à néant le travail vivant et de facto la théorie de la valeur (Thèse bien argumentée par Temps Critique).

Tout laisse à penser que le capitalisme est en bout de course ?

« L’étude publiée en 2017 par McKinsey estime que 55% des emplois japonais, 46% des emplois étasuniens et 46% des emplois des cinq plus grandes économies européennes disparaîtront en raison de l’informatisation du travail d’ici à 2030.[25] La plus récente et la plus conservatrice est celle publiée par l’OCDE en avril 2019, où l’informatisation et la robotisation feraient disparaître 14% des emplois d’ici à vingt ans.[26] Les principaux secteurs d’emploi ayant entre 50 et 70% de chances d’être automatisés sont ceux que l’OCDE définit comme «moyennement qualifiés», «dont la nature routinière rend assez facile la codification en une série d’instructions qu’une machine peut accomplir». Autrement dit, les ouvriers qualifiés, les opérateurs de machines, les ouvriers des chaînes d’assemblage, ou encore les salarié·e·s remplissant des tâches administratives routinières. Les indices de croissance de la productivité totale des facteurs montés dans la figure 8 vont dans le sens d’un recours encore limité du capital à l’IA (intelligence artificielle) dans l’industrie»(sources F.Chesnais)

Mais aussi, ce fait nouveau, qui dépasse maintenant la tentative de «dernier recours des banques centrales», l’utilisation du QE (Quantitative easing ) un dérivatif de la planche à billet, qui devait relancer l’ économie mondiale après la crise de 2008. Le QE est un échec, et aujourd’hui nous assistons à la baisse des taux d’intérêts en dessous de zéro et de la création de monnaie genre Bit coin c’ est à dire une méfiance accrue dans les valeurs refuges traditionnelles (or et monnaies fortes).

La dette publique comme valeur refuge

La dette publique devient dorénavant la valeur refuge, en France, c’ est «le trou de la sécu» qui a ouvert le bal en transformant la dette en produit financier. La dette de la secu a permis de créer la CRDS géré par la CADES Caisse d’Amortissement de la Dette Sociale, une assignation directe du capital financier sur les salaires, retraites….(7) La dette internationale est aussi un produit financier, et pire ils en sont arrivés au système du chapeau de Balzac qui poursuivit par ses créanciers menaçait les plus menaçants de les retirer du chapeau, ils perdaient ainsi toute chance d’être tiré au sort quand Balzac décidait d’apurer une partie de ses dettes. Avec les taux d’intérêts en dessous de zero c’ est le même scénario qui s’opère, comme en témoigne Bruno Bertez :

« Quand une dette offre un rendement négatif, cela signifie que vous payez pour prêter votre argent à ce débiteur. Pourquoi ? Parce que vous considérez que ce débiteur est meilleur que les autres et en particulier meilleur que la banque où vous gardez votre argent.  Les rendements négatifs sont une chose complexe mais retenez ceci : c’est le meilleur indicateur de crise. Les acheteurs de ces emprunts recherchent sécurité et liquidité, ils sacrifient le rendement totalement. Le rendement ne les intéresse pas, ce qui les intéresse c’est de retrouver leur capital, même s’il est un peu amputé.» Bruno Bertez 15 juin 2019.

En résumé , il m’ a été donné de faire la démonstration que le «coup d’ état mondial» n’était  qu’un coup de force notamment de la BCE contre les tendances centrifuges dans l’UE, qui confirmé par le plan franco-allemand une volonté déjà ancienne de mettre en place une finance européenne intégrée. Ensuite de reprendre le débat sur «la crise finale» par pourrissement des contre-tendances à la chute du taux de profit, par l’ accroissement du capital constant par rapport au capital variable. Et pour finir le recours à la dette publique comme valeur refuge.

G.Bad le 28 mai 2020.


NOTES

1) Le Comité regroupe désormais 28 juridictions avec Luxembourg et Espagne puis, depuis 2009 : Afrique du Sud, Arabie Saoudite, Argentine, Australie, Brésil, Chine, Corée, Hong Kong, Inde, Indonésie, Mexique, Singapour, Turquie, Russie et Union Européenne.

2) La transformation se fait déjà sentir partout au pays. On a troqué les serveurs pour des humanoïdes dans certains restaurants, et un fournisseur d’Apple, Foxconn, a supprimé 60 000 emplois dans une de ses usines, en remplaçant les travailleurs par des robots pour assembler les iPhone et autres téléphones intelligents de Samsung.

3)Mylène Gaulard, Les limites de la croissance chinoise, op.cit.

4)« C’est pure tautologie que de dire : les crises proviennent de ce que la consommation solvable ou les consommateurs capables de payer font défaut. Le système capitaliste ne connaît d’autres modes de consommation que payants, à l’exception de ceux de l’indigent ou du « filou ». Dire que des marchandises sont invendables ne signifie rien d’autre que : il ne s’est pas trouvé pour elles d’acheteurs capables de payer, donc de consommateurs (que les marchandises soient achetées en dernière analyse pour la consommation productive ou individuelle).»

5)Karl Marx, Le Capital, Livre II

Source: Lire l'article complet de Les 7 du Québec

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