La roue du paon

La roue du paon

Avant d’être un twitteur compulsif, on peut présumer que Donald Trump, président en titre des États-Unis, a d’abord été et demeure avant tout un twitte surdimensionné aux proportions et prétentions impériales. On peut également se laisser bercer à l’idée que cela ne peut guère se produire dans une monarchie constitutionnelle dont c’était précisément la raison d’être : calmer les ardeurs du monarque.

L’actuel prince Charles n’est pas le premier à être le mal-aimé de la famille royale. Le titre de prince de Galles s’avère le plus mauvais des emplois dans une monarchie à la britannique : le rôle du prince héritier dont personne ne souhaite qu’il hérite de la couronne à commencer par ses parents. Ce qui a été le cas du futur Édouard VII qui a dû attendre que sa mère lève enfin les pattes pendant presque toute sa vie. Le règne de Victoria a duré 64 ans. Celui d’Elisabeth II approche les 70 ans.

L’autre emploi dans la distribution monarchique qui n’est pas un rôle payant est celui d’un figurant muet : le prince consort. L’autre grand consort avant l’actuel prince Philipp a été le mari de la reine Victoria : le Prince Albert.

Le problème des familles royales en Angleterre a longtemps été la difficulté à se reproduire dans des unions légitimes. Ça remonte aux Tudor, pour se poursuivre sous les Stuart et une fois que la religion se mêle de la reproduction, la ligne de succession saute d’un lit à l’autre.

Lorsqu’on a invité Guillaume III d’Orange en Angleterre (1689-1702) pour combattre Jacques II qui était un Stuart catholique, il faut dire que Guillaume était déjà marié à Mary, la propre fille de Jacques II, qui était protestante.

Après la victoire de la Boyne où Jacques II a été défait, ce dernier est retourné en France pour y rester. Mary Stuart a hérité de la couronne d’Angleterre et on a invité Guillaume à devenir son prince consort. Sa réponse a été on ne peut plus limpide : « Si vous voulez que je fasse la djobbe, donnez-moi le titre qui vient avec. Sinon, je retourne en Hollande ».

On a alors amélioré l’offre en y ajoutant de partager la couronne avec la reine. Cette fois, Guillaume a accepté non pas parce qu’il aimait particulièrement la reine ou l’Angleterre, mais pour pouvoir mieux assurer la protection de la Hollande des visées des Français. Le mariage de Guillaume et de Mary s’est révélé improductif du fait que lui était plutôt homosexuel et, elle, plutôt lesbienne.

À la mort de Guillaume, c’est Ann, la sœur de Mary, une autre fille protestante de Jacques II qui a hérité de la couronne. Ann était également lesbienne, mais la bisexualité ne lui répugnait pas puisqu’elle a mené à terme 17 grossesses dont un seul enfant a survécu pour mourir dans sa onzième année.

À sa mort, on est revenu à la case départ et pour ne pas se retrouver avec une Stuart de la branche catholique, on a fini par dégoter une petite fille de Jacques 1er qui était Grande électrice du Hanovre et surtout protestante. C’est à ce moment que l’actuelle famille régnante a fait son entrée en scène avec George 1er (1714-1727) qui se refusera toujours à prononcer un mot d’anglais et sera unanimement honni par ses nouveaux sujets. Sa seule qualité était de ne pas être catholique.

Le concubinage chez les Hanovriens était notoirement incestueux. Le père de George 1er avait eu deux sœurs pour maîtresses, Clara et Maria. Il avait vécu pendant plusieurs années avec la première qui lui avait donné des enfants. George 1er avait partagé pendant un moment les faveurs de Maria avec son père ; puis avait pris pour maîtresse la fille de Clara, qui était sa demie-sœur ; pour sauter ensuite dans le lit de sa belle-soeur qui était la femme de son demi-frère. Lorsqu’il débarque en Angleterre, il laisse derrière lui son épouse légitime dont il a divorcé après avoir commandé l’assassinat de son amant. Sans oublier d’emprisonner son ex dans un château dont elle ne sortira plus.

La première vision que les Britanniques ont eu de l’actuelle famille royale a été celle d’un roi désespérément, maladivement et agressivement allemand, flanqué de deux maîtresses allemandes, la schullenberg, maigre comme un piquet de clôture que le peuple s’est empressé de surnommer « le poteau de mai » et la kielmansegge, sa demie-soeur qui était ronde comme une rotonde qu’on a baptisée « l‘éléphante ».

Une fois vers la fin de sa vie, George 1er va tâter d’une maîtresse anglaise. La Brett. Mais, l’expérience anglaise n’a pas été concluante. De toute façon, George 1er était anglophobe et au moindre prétexte, il retournait au Hanovre pour y prendre de longues vacances de l’Angleterre jusqu’à la toute dernière des dernières.

Pour les Anglais, le bon côté d’avoir un roi qui se contentait de l’être en titre a été de permettre au Parlement de diriger de plus en plus les affaires du pays. C’est ainsi que naissent les monarchies constitutionnelles.

« On s’était fait à l’idée que le premier George était grossier, a écrit un poète. Mais qui aurait pu imaginer qu’un second aurait pu le dépasser ! » George 1I était persuadé qu’en dehors du Hanovre où il avait vu le jour, la civilisation n’existait pas.  Il va sans dire que George II (1727-1760) n’était pas très populaire. Un jour qu’il voguait en mer, son navire essuie une forte tempête. Le lendemain, lorsque l’officier de quart s’enquiert des conditions atmosphériques : « Comment est le vent pour le roi aujourd’hui ? » ce dernier lui rétorque : « Comme le peuple ! Contre lui ! » 

George II n’avait ni dignité, ni savoir, ni morale, ni esprit et de sa plus tendre jeunesse à son vieil âge, il fut grossier, vulgaire et sensuel. Il voyait rouge à la seule vue d’un livre, mais il a fait un bon mot à propos du général James Wolfe. À quelqu’un qui se plaignait de la nomination de ce « fou enragé » à la tête d’une des armées d’invasion du Canada en 1759, George II avait répondu : « Dans ce cas-là, ça ne serait pas une mauvaise chose qu’il morde certains de mes généraux. »

George III (1760-1820) succède à George II à l’âge de 22 ans. Il n’est pas son fils, mais son petit-fils. Son père, prince de Galles, est mort sur un terrain de criquet frappé par une balle de criquet. La haine que le couple royal portait à leur fils Frédéric s’est reportée sur leur petit-fils. C’est un agité dans les gestes et le débit. Il parle vite, mais au moins il parle anglais. C’est le premier de la dynastie à pouvoir le faire.

Lorsqu‘il monte sur le trône, il est célibataire, mais il se marie assez rapidement avec une princesse allemande, la future reine Charlotte. Son épouse lui donnera 15 enfants, mais le pauvre George était souvent la proie de crises de jalousie. Il s’introduisait de nuit dans la chambre de la reine avec une chandelle et tirait le rideau du lit pour vérifier si elle était bien couchée dans ses draps.

Politiquement, le roi n’est pas à la hauteur d’une situation extrêmement grave dans les colonies et en Europe, d’autant moins qu’il insiste pour intervenir plutôt que de laisser ses premiers ministres s’en occuper. Sous son règne, les États-Unis se révoltent et obtiennent leur indépendance. La Révolution française éclate, suivie par Napoléon. Mais à ce moment-là, George n’a plus de soucis. Il est devenu fou.

Sa maladie est devenue évidente en 1788, le jour où il est descendu de son carrosse dans le parc du château de Windsor pour aller serrer la main d’un chêne qu’il avait mépris pour Frédéric de Prusse.

Victime de deux tentatives d’assassinat, il n’a pas eu la vie facile. Chaque fois, il a fait preuve d’un sang-froid remarquable. Lorsqu’une femme tente de le poignarder et qu’on la maîtrise avant qu’elle n’y parvienne, il s’écrie : « Ne lui faites pas de mal, vous voyez bien qu’elle est folle ! »

Sa véritable passion est la campagne. On va le surnommer Farmer George. Un jour qu’il visite les écuries de Windsor, il rencontre un jeune homme à qui il demande qu’elle est sa tâche. « Garçon d’écurie ! lui répond ce dernier sur un ton revendicateur. Et pour tout ça, je ne suis que logé et nourri ! » Et le roi de lui rétorquer : « De quoi te plains-tu ? Je n’ai rien de plus ! »

Depuis 1805, il est sourd, mais les plombs sautent définitivement en 1811 et jusqu’à sa mort en 1820, le pauvre George va errer dans son château de Windsor en entretenant des conversations animées avec différents interlocuteurs invisibles. Dans ses contacts avec les autres, il avait pris l’habitude de terminer toutes ses phrases par un mot, toujours la même ponctuation : Peacock ! Comme un paon fait la roue.

À sa façon, c’est un peu ce que fait Donald Trump. Et on peut facilement l’imaginer arpentant les corridors de la Maison-Blanche, faisant la roue à son tour en répétant ad nauseam : Great again ! Great again ! Great again !

 

Crédit photo (Trump) : Reuters

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