Covid-19: Quel sort pour l’Artemisia?

Covid-19: Quel sort pour l’Artemisia?

Récemment, une nouvelle venue est arrivée de Madagascar sur la scène encombrée des traitements et vaccins putatifs du Covid-19, l’Artemisia annua (armoise annuelle), un antipaludéen de la pharmacopée traditionnelle africaine. Pour se voir immédiatement opposer une fin de non-recevoir par le chœur unanime de l’intelligentsia scientifico-médiatique qui campe en ce moment jour et nuit sur nos ondes, au prétexte qu’elle « n’a pas été testée ». C’est tout juste si ces esprits d’élite n’ont pas brandi croix, gousses d’ail et eau bénite en s’exclamant Vade retro, Satanas ! 

Le président malgache Andry Rajoelina, pris d’une colère compréhensible, a fustigé le racisme des Occidentaux en ces termes,

Si c’était un pays européen qui avait découvert ce remède, est-ce qu’il y aurait autant de doutes ? Je ne pense pas […] Le problème, c’est que cela vient d’Afrique. Et on ne peut pas accepter qu’un pays comme Madagascar, qui est le 163e pays le plus pauvre du monde, ait mis en place cette formule pour sauver le monde ».

Qu’il se rassure. Ce n’est pas tant de racisme qu’il s’agit que d’un nouveau phénomène sociétal : l’obscurantisme scientiste. Aujourd’hui en Occident, c’est chimie ou rien. La recherche doit se faire exclusivement dans des laboratoires de pointe rutilants, où des chercheurs affairés manient des nouvelles molécules chimiques « prometteuses », voire « révolutionnaires » hors de prix au sein d’officines dûment accréditées par le système de Big Pharma : Sanofi, Gilead, AbbVie, Pfizer, etc.

Tout le reste tombe dans l’une des catégories suivantes : charlatanisme dangereux, poudre de perlimpinpin, terraplatisme/complotisme ou placebos, au choix.

C’est oublier un peu vite que la plupart de nos médicaments ont entamé leur carrière en tant que plantes. A ce jour, 60%, pour être exacte. [1] La pénicilline, médicament chef de file des antibiotiques qui a représenté la plus grande avancée thérapeutique de tous les temps, est issue d’une moisissure, autrement dit d’un organisme de la famille des champignons. L’aspirine, anti-douleur et fébrifuge le plus vendu au monde, vient du saule blanc. La digitaline est issue de la digitale pourpre. Le curare, employé en chirurgie, provient du suc de lianes amazoniennes. La désormais célébrissime chloroquine est la copie synthétique de la quinine, elle-même extraite de l’écorce d’un arbre, le quinquina. Le citron suffit à soigner le scorbut, maladie due à une avitaminose C. Les opiacés issus du pavot (Papaver somniferum) ont une telle efficacité contre la douleur qu’ils sont devenus, à eux seuls, une branche de l’industrie pharmaceutique des USA (avec des résultats parfois mortels, parce qu’on n’a pas encore réussi à résoudre le problème des addictions qu’ils engendrent et des morts par surdosage qui peuvent s’ensuivre, mais qu’importe ! Les prescriptions et les ventes ne s’en poursuivent pas moins. Business is business). Ce ne sont que quelques exemples, auxquels ont peut ajouter 42% des médicaments anti-cancéreux. [2]

Rien que cela.

Le quinquina, dont l’écorce est un vieux remède des colons blancs contre la malaria. Les officiels britanniques en Inde y ajoutaient de l’eau, du sucre, du citron vert et du gin pour la rendre moins amère ; c’est ainsi que le gin tonica vu le jour. Encore aujourd’hui, l’ « Indian tonic » de votre supermarché affiche des extraits d’écorce de quinquina – hélas en trop petite quantité pour être efficaces contre le Covid-19 – dans ses ingrédients.

Auparavant, quand la science était encore de la science et non du scientisme, même les journalistes les plus frileux auraient applaudi les chercheurs qui s’empareraient de l’armoise annuelle préconisée par Madagascar, en isoleraient le principe actif, le testeraient in vitro et en cas de succès in vivo, avant de l’envoyer, si seconde réussite il y avait, dans le processus de synthèse (qui consiste à créer une molécule synthétique de même formule chimique, de façon à pouvoir la produire en masse à moindre coût), puis dans la batterie de tests et de contre-tests destinée à en déterminer les posologies, effets secondaires, interactions, etc, qui lui auraient peut-être permis, en fin de parcours, de décrocher le Graal du médicament: l’AMM (autorisation de mise sur le marché), de s’installer sur les étagères des pharmacies et d’être utile au monde.

Est-ce que, s’ils avaient sévi à l’époque, les obscurantistes scientistes « modernes » auraient également envoyé paître Alexander Fleming avec sa pénicilline, cette humble moisissure à deux francs six sous ?

C’est à craindre.

Heureusement, quelques vrais scientifiques subsistent (bientôt en tant qu’espèce protégée?) et l’armoise annuelle sera bien testée. Merci à eux.

 Corinne Autey-Roussel

Références :

[1] Le Figaro, « Les médicaments issus des plantes »
https://sante.lefigaro.fr/actualite/2013/04/16/20375-medicaments-issus-plantes[2] France Culture, « De la plante à la molécule de synthèse »
https://www.franceculture.fr/emissions/lsd-la-serie-documentaire/de-la-plante-au-medicament-24-de-la-plante-a-la-molecule-de-synthese

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