Israël frappe la Syrie pour maintenir les États-Unis au Levant. Vingt ans après le retrait inconditionnel d’Israël du Liban, où en sommes-nous? 2/3

Israël frappe la Syrie pour maintenir les États-Unis au Levant. Vingt ans après le retrait inconditionnel d’Israël du Liban, où en sommes-nous? 2/3

Après avoir perdu sa deuxième guerre au Liban, Israël a découvert que le seul moyen de réprimer le Hezbollah consistait à fermer le couloir d’approvisionnement entre le Liban et la Syrie. Pour y parvenir, il fallait renverser le gouvernement de Bachar al-Assad et mettre des bâtons dans les roues de l’Axe de la Résistance, qui s’étend de Téhéran à Bagad, Damas, Beyrouth et Gaza. Le hic, c’est qu’Israël et les USA, soutenus par l’Arabie saoudite, le Qatar, les Émirats, la Turquie, l’Europe et bien d’autres pays, n’ont pas réussi à atteindre leur objectif de faire de la Syrie un État failli. Le président Assad a fait appel à ses alliés dont la propre sécurité nationale se trouvait menacée aussi. Si la Syrie était tombée, les djihadistes d’Al-Qaïda et du groupe armé « État islamique » combattraient dans les rues de Beyrouth, Bagdad et Téhéran. Les djihadistes auraient été également assez puissants pour faire sortir la Russie de sa base navale syrienne et exporter la guerre au-delà des frontières du Levant. Ainsi, Israël et les USA n’ont pas réussi à détruire la Syrie et à coincer le Hezbollah. Bien au contraire, le Hezbollah est devenu plus fort que jamais. La Résistance a récolté les fruits de sa victoire. Elle a acquis un pouvoir décisionnaire auprès des institutions clés au Liban.

Israël voulait détruire le Hezbollah parce qu’il fait obstacle à ses plans expansionnistes au Liban, à savoir s’accaparer de l’eau du Liban et d’une partie de son territoire, forcer un accord de paix n’étant rien de moins qu’une reddition inconditionnelle, et rompre l’alliance entre le Liban et l’Iran et priver Téhéran de son plus puissant allié au Moyen-Orient. Au cours des quarante dernières années ayant suivi la victoire de la « République islamique » en 1979, dont l’imam Rouhollah Khomeini était à la tête et qui a renversé le chah d’Iran, le dirigeant par procuration des USA, Washington ne cesse d’imposer des sanctions, parce que l’Iran refuse de se soumettre à son pouvoir et parce qu’il soutient l’opposition à Israël de ses alliés au Moyen-Orient, principalement la Palestine, le Liban et la Syrie.

En 2006, les USA ont participé à la planification de la guerre d’Israël contre le Liban. Lors du sommet du G8 de 2006, le président George W. Bush a décrit les relations entre le Hezbollah, l’Iran et la Syrie comme l’une des causes profondes de « l’instabilité » : « Le monde doit régler le cas du Hezbollah et de la Syrie et continuer à travailler pour isoler l’Iran ». (Roshandel J. et Lean C.N. Iran, Israel and the United States, ABC-CLIO, CA, p. 109, 2011)

La secrétaire d’État des USA Condoleezza Rice refusait toute médiation en vue d’un cessez-le-feu avant que « les conditions soient favorables », en croyant qu’Israël gagnerait la guerre. Le Hezbollah a non seulement été laissé seul à lui-même contre les USA et Israël, mais des Libanais mandataires des USA et de l’Arabie saoudite (le premier ministre Fouad Siniora et le dirigeant druze Walid Joumblatt) ont soutenu la position des USA et d’Israël en prétendant qu’un cessez-le-feu n’avait « aucun sens ». (Wilkins H. The Making Of Lebanese Foreign Policy : understanding the 2006 Hezbollah-Israeli War, Routledge, Introduction, 2013)

Israël ne parvenant pas à atteindre ses objectifs, les USA ont accepté d’assurer une médiation pour mettre fin à la guerre. Les négociations étaient axées sur la cessation de toutes les hostilités (et non sur un cessez-le-feu) entre les deux pays. Tel-Aviv et Washington n’ont pas réussi à obtenir le déploiement des forces des Nations Unies au Liban, la FINUL, à la frontière avec la Syrie. Les USA ont cherché à soutenir Israël dans sa tentative de gagner par la négociation ce qu’il n’avait pu obtenir par la force de son énorme machine de guerre en 33 jours de conflit en 2006. « L’objectif d’Israël n’a jamais été réaliste », a reconnu la ministre israélienne des Affaires étrangères, Tzipi Livni.

Après l’échec de sa tentative de contrôle de la frontière libano-syrienne à la suite de sa défaite en 2006, il ne restait plus à Israël qu’une seule solution pour contenir le Hezbollah : fermer la route passant par Damas et trouver un moyen de couper la chaîne d’approvisionnement du Hezbollah. Pour cela, une guerre contre la Syrie s’imposait.

Un affrontement direct contre le Hezbollah n’étant plus dans les cartons, la Syrie est devenue la nouvelle cible de la campagne visant à isoler l’Iran, comme l’a déclaré le président Bush. Les motifs ayant mené à la guerre en Syrie ont été décrits à tort par de nombreux chercheurs et analystes du monde entier comme le résultat d’un « printemps arabe » contre un régime dictatorial. L’Arabie Saoudite, le Bahreïn et d’autres pays du Golfe sont des dictatures dirigées par les mêmes familles depuis des décennies, ce qui n’empêche pourtant pas l’Occident de les considérer comme leurs plus proches partenaires pétroliers!

En fait, la guerre contre la Syrie a commencé juste après l’attaque d’Al-Qaida contre les USA le 11 septembre. Le général américain quatre étoiles Wesley Clark a révélé que le plan de Washington dont il avait été mis au fait dans les jours qui ont suivi le 11 septembre était « d’occuper l’Irak, la Syrie, le Liban, la Libye, la Somalie, le Soudan et en finir par l’Iran ». Quelques mois seulement après l’invasion de l’Irak par les USA, le secrétaire d’État Colin Powell a rendu visite au président Bachar al-Assad pour l’avertir que les USA envahiraient la Syries’il ne cessait pas de soutenir les organisations anti-israéliennes, le Hezbollah et les groupes palestiniens, et que le président syrien connaîtrait le même sort que le président irakien Saddam Hussein.

L’invasion de l’Irak en 2003 était loin d’être une sinécure. L’occupation américaine avait donné naissance à une nouvelle résistance, tant chez les sunnites que chez les chiites. C’est ce qui a amené le président Assad à ne pas plier sous la menace des USA, sans savoir ce que l’avenir réservait à la Syrie. Des dizaines de pays, dont l’Arabie saoudite, le Qatar, la Jordanie, la Turquie, les Émirats, l’Europe et les USA, ont tous été derrière une opération de changement de régime par l’entremise de mandataires takfiris. Les conséquences de la déstabilisation de la Syrie ont fourni à Al-Qaïda une occasion exceptionnelle de prospérer en Syrie et à un groupe plus sanguinaire encore de prendre racine, le groupe armé « État islamique » (Daech). Le président Assad a fait appel à ses quelques alliés, l’Iran, la Russie et le Hezbollah, pour contrer cette coalition massive réunie pour créer un État failli en Syrie. La guerre syrienne qui s’ensuivit a permis à l’armée syrienne d’acquérir une expérience sans précédent, a donné naissance à une nouvelle résistance syrienne et a donné l’occasion au Hezbollah de parfaire ses connaissances de l’art de la guerre, tout en fournissant à l’Iran une base que Téhéran n’aurait jamais cru pouvoir obtenir au Levant.

Le Hezbollah avait forcé le retrait inconditionnel d’Israël du Liban en 2000 et contrecarré tous les plans israélo-américains pour un « nouveau Moyen-Orient » après la deuxième guerre israélienne contre le Liban en 2006. Neuf longues années de guerre en Syrie ont obligé le Hezbollah à raffiner ses tactiques et ses armements, ce qui lui a donné une victoire sans précédent. Israël qui, par ses actions, avait suscité la création du Hezbollah, a enseigné à cet acteur quasi étatique une multitude de compétences l’amenant à acquérir encore plus de formation et d’armes pour contrer les guerres et gêner les objectifs de l’ennemi. L’ancien chef d’état-major et candidat au poste de premier ministre d’Israël, Benny Gantz, estime que le Hezbollah est devenu l’une des armées irrégulières les plus fortes du Moyen-Orient, capable d’imposer ses règles d’engagement et son « équilibre de la dissuasion » à l’armée conventionnelle la plus puissante du Moyen-Orient.

« Il n’y a que quatre ou cinq pays ayant une puissance de feu supérieure à celle du Hezbollah : les USA, la Chine, la Russie, Israël, la France et le Royaume-Uni », a déclaré Gantz lors de la conférence de Herzliya en 2014.

C’était l’évaluation d’Israël en 2014. En février dernier, soit six ans plus tard, le ministre israélien de la Défense Naftali Bennet en rajoutait : « Chaque fois que vous frappez un convoi, vous en manquez cinq et le Hezbollah se rapproche lentement de la masse critique de roquettes [missiles] qui nous menacent. »

Israël s’était fixé comme objectif de faire tomber Assad en Syrie et de séparer la Syrie de l’Axe de la Résistance. Le ministre israélien de la Défense Moshe Ya’alon a affirmé qu’« Israël préfère Daech à Assad à sa frontière ». Sauf qu’Israël, les USA, l’Europe, l’Arabie Saoudite, le Qatar et les Émirats ont perdu la guerre. Israël cherche maintenant à faire durer le conflit parce qu’il craint que les USA lancent la serviette. C’est pourquoi Israël poursuit ses frappes sur des centaines de cibles en Syrie, la plupart du temps sans aucune valeur stratégique.

Des sources au sein de l’Axe de la Résistance en Syrie disent qu’« Israël a ciblé le QG iranien à l’aéroport de Damas (Israël a détruit deux étages de ce bâtiment aux vitrages verts). Le lendemain, l’Iran l’a remis en état et il est de nouveau opérationnel. Israël a ciblé à plusieurs reprises des entrepôts contenant des armes iraniennes, mais aussi un centre d’entraînement abandonné dans la région de Kiswa qui est vide depuis des années. Leur but est de signaler aux USA qu’Israël est menacé et que le départ des forces US mettrait en péril la sécurité nationale d’Israël. Les avions israéliens ne peuvent plus faire quoi que ce soit pour nuire aux capacités de la Syrie. L’Iran n’exporte pas d’armes, il en fabrique. S’il a fallu à Israël 9 ans et 300 raids aériens pour détruire les entrepôts iraniens en Syrie, il n’a fallu à l’Iran qu’un an pour réapprovisionner l’armée syrienne et l’équiper de missiles de précision beaucoup plus perfectionnés, tous des missiles stratégiques se trouvant dans des entrepôts souterrains ».

L’Iran n’a que quelques centaines de conseillers et d’officiers en Syrie, mais dirige quelques dizaines de milliers d’alliés au Liban, en Irak, au Pakistan et en Afghanistan, ainsi que des forces syriennes auxiliaires qui rappellent des formations militaires organisées de façon irrégulière.

En Syrie, le Hezbollah a pu mener ses activités dans une zone dix fois plus grande que le Liban, ce qui lui a donné une expérience unique que toute armée dans le monde souhaiterait avoir. Il a également subi des attaques d’un membre de l’OTAN, la Turquie, qui a lancé des drones armés sur le champ de bataille. Cette attaque a permis au Hezbollah d’acquérir une énorme expérience et de tirer des leçons qui ont été intégrées dans les programmes d’études des écoles et collèges militaires en Iran auxquels participent le Hezbollah et ses alliés.

Le président Assad ne dit pas qu’il est temps pour ses alliés (en particulier le Hezbollah) de quitter la Syrie. Selon la source, il est plutôt d’avis que « la Syrie a une dette envers le Hezbollah. Peu importe où il veut se rendre, la Syrie le souhaitera aussi ». Les USA et Israël ont créé une alliance indissoluble entre la Syrie, l’Iran et le Hezbollah.

Au Liban, le Hezbollah a commencé à récolter ses gains. Il a réussi à imposer le nom du président de la République, le général Michel Aoun, malgré l’opposition répétée de l’Arabie saoudite et des USA, les perdants de la guerre en Syrie. Le Liban est resté sans président pendant plusieurs mois jusqu’à ce que le général Aoun assume la présidence.

Le Hezbollah a rejeté de nombreuses offres de pays différents en confiant la présidence du Parlement à nul autre que Nabih Berri, leader du mouvement Amal, qui occupe ce trône depuis des décennies. Il faut que le Hezbollah détienne un véritable pouvoir (mais pas absolu) au Liban pour appeler à la nomination du président de la République et du président du Parlement.

Quant au poste de premier ministre, il ne peut être pourvu sans l’assentiment du Hezbollah. Le Hezbollah a suffisamment de poids politique auprès de la Chambre des représentants et de la présidence de la République pour proposer, accepter ou diriger la nomination d’un premier ministre. L’ancien premier ministre Saad Hariri veille à maintenir ses contacts amicaux quotidiens avec le Hezbollah parce qu’il souhaite vivement revenir au pouvoir. Hariri sait que pour ouvrir la porte menant au poste du premier ministre, il faut franchir le seuil du Hezbollah.

Ce qui ne veut pas dire que le Hezbollah veut prendre le contrôle de tout le Liban. Les dirigeants du Hezbollah voient bien que le leader druze Kamal Joumblatt, le leader sunnite Rafic Hariri, le leader chrétien maronite Bachir Gemayel et les Palestiniens ont tous échoué à prendre le contrôle du Liban et à s’emparer du pays. Le Hezbollah ne veut pas succomber aux mêmes erreurs en faisant pareil. La contre-influence d’autres pays est bien ancrée au Liban. Par exemple, l’ambassadeur des USA à Beyrouth menace le gouvernement libanais parce qu’il veut relever de son poste le gouverneur de la Banque centrale, Riad Salama. Les USA ont également emmené un agent libano-israélien, Amer Al-Fakhouri, dans un avion qui l’a fait atterrir à l’ambassade américaine en faisant fi de la souveraineté libanaise. Les USA soutiennent l’armée libanaise et les forces de sécurité intérieure pour maintenir leur domination sur certains membres clés.

La Syrie a donné au secrétaire général du Hezbollah, Sayyed Hassan Nasrallah, des pouvoirs au Liban qu’il n’aurait pu obtenir sans l’intervention d’Israël et de ses alliés en Syrie. Le Hezbollah a réussi à préserver son approvisionnement militaire via la Syrie en défaisant les takfiris (Al-Qaïda et Daech) et en les empêchant d’établir un « émirat islamique » au Liban et en Syrie.

Mais la victoire du Hezbollah a un prix : des milliers de martyrs et des milliers de blessés. Cependant, la récolte qui en résulte est si abondante et stratégique que les chiites libanais jouissent désormais d’un pouvoir plus important que jamais au Liban et au Bilad al-Cham depuis l’an 661, lorsque le quatrième calife, l’imam Ali Ibn Abi Talib, a été tué.

Elijah J. Magnier

Traduit de l’anglais par Daniel G.

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