Un padre québécois pour un Cuba libre

Un padre québécois pour un Cuba libre

À la fin des années 1950. Ils étaient tous des héros de la révolution cubaine, le padre Giuliano avait développé des liens d’amitié très forts avec eux, beaucoup plus qu’il avait pu le faire pendant ses jeunes années de prêtrise. (…) Il se rappelait les nuits entières à veiller, aux aguets, sans jamais savoir si le jour se lèverait pour eux ou si la sierra Maestra serait leur tombeau. Plusieurs y laissèrent leur vie, leur avenir, leur santé. Leur famille souffrait tout autant, ignorant s’ils étaient vivants ou morts. C’était le prix à payer pour qu’advienne un monde nouveau. Lui-même avait sacrifié une position enviable dans l’Église, qui le voyait déjà comme évêque ou comme un digne et fort représentant du pape Jean XXIII en Amérique latine.

Avant la révolution, Julien Casavant (Giuliano) croyait en cette Église unie, humaine, une Église du peuple. Mais il avait vite réalisé que l’Église, du moins la haute direction, mangeait dans la main des autorités corrompues et sanguinaires. Elle partageait la même table que ces sbires, les mêmes ressources et les mêmes revenus. Au début, Giuliano avait manifesté son indignation auprès de son évêque, qui l’avait regardé comme un pauvre naïf qui ne comprenait pas où étaient l’intérêt de l’Église et son avenir.

C’est par l’entremise de Frank Païs, un jeune dirigeant universitaire, que le padre Giuliano avait pu entrer en contact avec Ernesto Guevara en décembre 1956, à Santiago de Cuba. Plusieurs manifestations populaires avaient secoué les rues de la ville et mobilisé les forces répressives de Batista. Cette manœuvre avait permis aux rebelles, partis du Mexique à bord du bateau Granma, d’effectuer un débarquement sur une plage près du village de Niquero. Giuliano s’était fait une réputation en aidant les gens de son quartier.

C’était la raison pour laquelle Frank Païs l’avait approché pour cacher dans son église des étudiants recherchés par les autorités. Un de ces jeunes lui avait appris qu’un Argentin arrivé à Cuba avec Fidel, à bord du Granma, était gravement blessé et se cachait dans les montagnes de la sierra Maestra.

Aussitôt, le padre Giuliano s’était senti investi d’une nouvelle mission. Il était parti pour la montagne où des paysans l’avaient informé que le Che – on ne l’appelait pas encore ainsi à l’époque – avait été transporté en lieu sûr, quelque part dans une cabane. Giuliano avait fini par le trouver. Même s’il n’était pas médecin, il voulait le soigner et l’aider si possible. L’Argentin avait été le premier surpris d’avoir un prêtre à ses côtés, lui qui n’était pas croyant. Peu à peu s’était développée entre les deux hommes une amitié qui se consolida au fil des années. Et le Che, malgré la gravité de son état, s’était remis de ses blessures. (…)

En juillet 1957, le padre Giuliano avait décidé de rejoindre Che Guevara et l’armée révolutionnaire dans la sierra Maestra. Le jeune Frank Païs venait d’être assassiné par les forces de l’ordre de Batista, en pleine rue, à Santiago. Âgé d’à peine vingt-deux ans, il était en train de manifester pacifiquement, en compagnie d’autres étudiants, lorsqu’un sbire à la solde de Batista s’était approché, avait posé son revolver sur sa tempe et avait tiré à bout portant. Frank Païs s’était écroulé. Tous les autres étudiants s’étaient enfuis. Il s’agissait d’un meurtre perpétré de sang-froid. Ce crime odieux avait été un déclencheur pour le padre.

 

Extrait de Don Giuliano par Jacques Lanctôt, Libre Expression (2019)

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