Immunité naturelle : le choc de la science et de la politique

Immunité naturelle : le choc de la science et de la politique

On ne cesse de répéter que les politiciens doivent s’inspirer de la science pour prendre leurs décisions, et c’est vrai. Mais réconcilier la science et la politique dans le discours public n’est pas toujours simple, particulièrement en ce moment, alors qu’il faut y ajouter toute une série de nuances. Les élus — et les citoyens qui les écoutent — sont plus à l’aise avec les explications en noir et blanc, ce que n’offre pas cette crise sanitaire sans précédent à l’ère moderne.

Si la science et la politique sont complémentaires, elles n’évoluent pas selon la même dynamique. Il y a parfois un choc. Et ça, les spécialistes de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) ont pris soin de le rappeler en fin de semaine.

Jeudi dernier, François Legault a mis son chapeau de pédagogue en chef pour expliquer en quoi consiste l’immunité naturelle d’une population. « On se retrouve dans une situation où on doit attendre le vaccin, qui va arriver peut-être dans un an, peut-être deux ans », a dit le premier ministre en conférence de presse le 23 avril dernier. « On ne peut pas demander aux gens de rester chez eux pendant deux ans. Donc, l’idée, c’est d’y aller très graduellement pour que les personnes qui sont moins à risque puissent développer des anticorps et être capables de devenir immunisées. »

Cette immunité progressive des citoyens avait été évoquée plusieurs fois par le directeur national de santé publique, le docteur Horacio Arruda, lors de points de presse précédents. Scientifiquement, ce n’est rien de controversé.

La crainte de plusieurs experts à la Direction de la santé publique du Québec est même que certaines régions du Québec aient été si peu exposées au virus qu’une trop faible proportion de la population sera immunisée lors d’une deuxième vague, à l’automne.

Pour freiner un virus, une certaine proportion de la population doit avoir développé des anticorps pour lui résister. Plus il est contagieux, plus ce pourcentage doit être élevé. Pour la rougeole, l’un des plus virulents, c’est un taux astronomique de 95 %. Pour la COVID-19, plus contagieux qu’anticipé au début de la crise, le taux risque de se situer entre 65 % et 85 %.

La voie la plus simple vers une immunisation collective de cette ampleur demeure le vaccin, qui a permis au fil des décennies de prémunir l’humain contre des vagues de rougeole, de coqueluche, de varicelle, de poliomyélite, de pneumonie à pneumocoque et de méningite, notamment, en forçant le développement d’anticorps.

Vous ne croiserez aucun infectiologue, médecin, épidémiologiste ou expert en santé publique crédible qui va affirmer le contraire.

Le hasard faisant parfois bien les choses, nous sommes dans la Semaine nationale de promotion de la vaccination au Canada, qui s’étend du 25 avril au 2 mai. « La science et l’histoire ont montré que les vaccins nous protègent. Les enfants, les aînés, les femmes enceintes et les personnes au système immunitaire affaibli sont les plus à risque de tomber gravement malades lorsqu’une maladie se propage », explique la Dre Angel Chu, vice-présidente d’Immunisation Canada et spécialiste en maladies infectieuses au Centre médical Foothills, à Calgary.

C’est pour cette raison que toute la planète scientifique est à la chasse au vaccin pour contrer la COVID-19. Étant donné que ce n’est pas un virus qui a tendance à muter — contrairement à la grippe saisonnière — une fois le vaccin trouvé, les chances de succès sont bonnes.

Il y a évidemment une autre manière de développer des anticorps : survivre à la maladie. Si le corps a combattu le virus, il saura le reconnaître la prochaine fois et s’armer en conséquence. Plus la proportion de la population qui l’aura vaincu sera importante, moins le virus pourra se transmettre. C’est l’immunité naturelle.

Ce n’est pas davantage une théorie scientifiquement controversée, puisque le principe est le même que celui de la vaccination. Or, la vaste majorité des spécialistes estiment, pour l’instant, que la COVID-19 se comporte comme les autres coronavirus de la même famille et que le vaccin est la voie à suivre.

Or, une bonne piste scientifique n’en fait pas une bonne stratégie politique pour autant.

C’est ce qu’a voulu rappeler l’OMS en fin de semaine, en soulignant les incertitudes qui persistent quant à l’immunité d’une personne qui a été infectée. « Il n’y a actuellement aucune preuve que les personnes qui se sont remises de la COVID-19 et qui ont des anticorps soient prémunies contre une seconde infection », a indiqué l’Organisation dans un communiqué qui a fait grand bruit. « En date du 24 avril 2020, aucune étude n’a évalué si la présence d’anticorps au SRAS-CoV-2 confère une immunité contre une future infection par ce virus chez les humains », précisait l’OMS.

Mais l’inverse est aussi vrai, comme le démontre le second volet de la déclaration de l’OMS, qui a eu bien moins d’écho dans les médias que la mise en garde, mais qui est tout aussi important : « On s’attend à ce que la plupart des personnes infectées par la COVID-19 développent des anticorps qui vont procurer un certain niveau de protection. Ce que nous ne savons pas, c’est à quel niveau et pendant combien de temps. Nous travaillons avec les scientifiques du monde pour en apprendre davantage sur la réponse immunitaire après une infection à la COVID-19. »

Est-ce que la protection naturelle après une infection dure 3 mois, 3 ans ou 30 ans ? Est-ce qu’il faut avoir eu des symptômes pour être immunisés ou si même les porteurs asymptomatiques de la maladie sont ensuite protégés ? Une personne déclarée positive une deuxième fois après avoir été guérie peut-elle transmettre de nouveau la maladie ou la charge virale est-elle trop faible ? L’OMS dit simplement que le virus est trop récent pour le savoir, rien de plus, et qu’il faut être prudent.

Aucun médecin ni scientifique n’a été surpris par une telle déclaration de l’OMS. Par nature, les savants sont précautionneux et sceptiques. Ils doutent jusqu’à ce qu’une preuve hors de tout doute émerge. C’est leur travail.

Mais ce n’est pas le travail des dirigeants de la planète, qui doivent manœuvrer dans un environnement changeant, incertain… et façonné par l’humain, qui a des émotions et des comportements bien particuliers et pas toujours rationnels (c’est un euphémisme !).

C’est pourquoi l’avertissement de l’OMS n’était pas scientifique mais politique. Un rappel que la marche à suivre lors du déconfinement planétaire qui s’amorce doit se faire dans l’ordre.

Les patrons de l’organisation onusienne constataient avec inquiétude que plusieurs pays songeaient à la mise en place d’un « passeport immunitaire », d’un « passeport santé » ou d’un « certificat d’immunité » — comme le Chili la semaine dernière — pour permettre aux personnes qui sont guéries de retourner travailler comme si de rien n’était ou encore de se promener sans entrave, présumant qu’elles sont immunisées.

Sans de meilleures connaissances, un tel « passeport immunitaire » comporte des risques. Un travailleur pourrait être renvoyé au travail sans mesures de protection adéquate. Son comportement au boulot ou en société pourrait inciter d’autres citoyens à suivre son exemple et à baisser la garde. Les consignes sanitaires sont alors plus difficiles à faire respecter. Ainsi de suite.

Ce n’est pas ce scénario que François Legault a évoqué. Le Québec ne contemple pas l’idée d’un « certificat d’immunité ».

Utiliser l’immunité collective comme motivation pour déconfiner une population serait un pari risqué non seulement sur le plan de la santé publique, mais également sur le plan politique. C’est pourquoi Justin Trudeau et l’administratrice en chef de la santé publique du Canada, Theresa Tam, découragent cette avenue, qui mettrait en péril les gains des dernières semaines. « Les gens nous ont dit d’être prudents et c’est ce qu’on fait », a affirmé Horacio Arruda, se défendant de rouvrir l’économie pour atteindre l’immunité collective.

Si le gouvernement du Québec avait choisi cette voie, celle de laisser ses citoyens s’infecter à un rythme soutenu pour être ensuite immunisés, il n’aurait pas tout fermé comme il l’a fait en mars. Il aurait plutôt emprunté le sentier de la Suède, qui a refusé le confinement et a imposé des mesures de distanciation physique sans fermer son économie. La Grande-Bretagne a également flirté avec cette idée au début de la crise, avant de changer d’avis devant un bilan qui s’annonçait trop lourd.

La stratégie suédoise est également critiquée, puisque le pays a un taux de mortalité supérieur à ses voisins scandinaves depuis le début de l’épidémie — 233 décès par million d’habitants, contre 38 pour la Norvège et 36 pour la Finlande.

Politiquement, c’était une voie impossible pour le Québec, qui n’a pas un système de santé capable de supporter l’arrivée massive de nombreux malades en même temps.

Mais il est clair que les Québécois comme les autres Canadiens devront tolérer une certaine circulation du virus dans la communauté, accepter que des gens tombent malades et développent ensuite des anticorps, afin de faire grimper l’immunité collective en attendant un vaccin ou un remède — tout en protégeant entre-temps les plus vulnérables et en s’assurant que le réseau hospitalier peut soigner ceux qui développent des complications.

L’immunité naturelle est un effet secondaire du retour progressif à la normale, et non pas sa raison d’être.

Cette immunité se produira en rouvrant tranquillement la société, notamment les entreprises et les commerces. En mesurant les effets et en ajustant le « robinet de la liberté » au besoin, comme l’affirme Horacio Arruda, une certaine forme d’immunité collective s’imposera, même si d’autres raisons justifient un lent retour à la normale : relancer l’économie, éviter trop de problèmes de santé mentale, prévenir la violence conjugale et familiale, etc.

Le cas des écoles

L’idée d’immunité collective évoquée par François Legault et Horacio Arruda jeudi dernier en annonçant que le Québec allait graduellement se déconfiner n’a pas été reprise lundi en parlant des écoles. Pourquoi ?

Parce qu’il n’est pas encore clair que l’école primaire et les garderies peuvent même contribuer à faire grimper l’immunité collective ! « Ce n’est pas prouvé », a dit François Legault lundi. Et il a raison.

Les chercheurs se grattent encore la tête pour comprendre les facteurs qui protègent les jeunes enfants de ce virus.

D’abord, ils sont très peu malades. La majorité ne développe aucun symptôme et ceux qui semblent affectés ressentent moins de désagréments que s’ils avaient un rhume. D’ailleurs, le gouvernement n’a eu aucun problème avec son service de garde d’urgence mis en place pour aider les travailleurs essentiels, notamment ceux de la santé. Les quelque 5 000 enfants répartis dans 1 000 installations depuis plusieurs semaines n’ont pas provoqué d’éclosions ou de complications, et ce, même s’ils sont en contact avec des médecins, des infirmières ou des préposés aux bénéficiaires sur la ligne de front et particulièrement exposés.

À peine 0,4 % des hospitalisations au Québec ont été recensées chez les moins de 18 ans, selon les plus récents chiffres de l’INSPQ.

D’après les chercheurs australiens Asha Bowen, Christopher Blyth et Kirsty Short, sur les quelque 215 000 morts de la COVID-19, une vingtaine serait des enfants, soit moins de 0,01 % — et tous avec des conditions médicales préalables. Ces chercheurs ne sont d’ailleurs pas très inquiets par la réouverture des écoles, si on en croit leur plus récent article dans The Conversation.

Selon une analyse des cas en Chine, à Singapour, en Corée du Sud, au Japon et en Iran, les enfants ne sont pas des vecteurs importants de transmission du virus. De nouvelles études aux Pays-Bas tendent à démontrer que le virus se propage plus efficacement entre adultes. (La plupart de ces études doivent encore être révisées par des pairs.)

Le grand patron de la lutte au nouveau coronavirus pour l’État fédéral suisse Daniel Koch, délégué de l’Office fédéral de la santé publique, a même déclaré il y a quelques jours que les enfants de moins de 10 ans pouvaient ne jamais développer la COVID-19. « Les jeunes enfants ne sont pas infectés et ne transmettent pas le virus. Ils n’ont tout simplement pas les récepteurs pour contracter la maladie. À partir de 10 ans, le risque monte, même si les enfants de cet âge restent très peu affectés. Le cas des jeunes adultes est plus problématique », a-t-il dit, cité par le journal suisse Le Temps.

Bref, on en connaît encore peu sur le comportement du virus. La science évolue, et dans l’incertitude, mieux vaut rester prudent. Mais il se pourrait que les jeunes du primaire et les tout-petits des garderies soient si peu touchés qu’ils ne contribuent pas à faire grimper l’immunité collective. Ça ne peut donc pas être une raison évoquée pour justifier le retour en CPE et en classe. Pour les entreprises et les commerces, oui, mais pour les enfants, non.

C’est dans toutes ces nuances de gris que les dirigeants du monde évoluent et tentent d’expliquer leurs choix à une population qui s’y perd un peu. Or, le déconfinement qui s’amorcera en mai un peu partout sur la planète recèle énormément d’incertitudes scientifiques. Et donc, politiques.

Se fier à la science n’a jamais été aussi important. Mais la jumeler aux décisions politiques et les expliquer, en si peu de temps, n’a jamais été aussi complexe pour les politiciens.

 

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Source: Lire l'article complet de Vigile.Québec

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