Yémen : après 5 ans de guerre totale, l’Arabie Saoudite est au bord du gouffre

Yémen : après 5 ans de guerre totale, l’Arabie Saoudite est au bord du gouffre

Par Omar Ahmed

Source : Middle East Monitor, le 26 mars 2020

Traduction : lecridespeuples.fr

Il y a exactement cinq ans, la coalition arabe dirigée par l’Arabie Saoudite, et soutenue par les États-Unis, [ainsi que par la Grande-Bretagne et la France], a effectué ses premières frappes aériennes contre le Yémen dans le but de réintégrer le Président en disgrâce et exilé Abdrabbuh Mansour Hadi. C’est un homme d’État fantoche qui n’a ni pouvoir, ni autorité, ni légitimité. Les frappes ont visé le mouvement Houthi, qui est soutenu par les forces armées yéménites. La guerre, selon les Saoudiens, devait être terminée en quelques semaines.

Les effets dévastateurs de la guerre ont fait plus de 112 000 morts et créé la pire crise humanitaire au monde. Le peuple yéménite inébranlable et résilient a empêché la coalition de renverser le gouvernement aligné sur les Houthis et siégeant dans la capitale, Sanaa.

Après cinq ans, en effet, il est juste de dire que les Saoudiens et leurs mercenaires sont au bord de la défaite. Les forces armées yéménites et les « comités populaires », qui comprennent les forces houthies, poursuivent leurs avancées en visant fermement le fief de Marib et la milice pro-Hadi, Islah, qui constitue la force soutenue par la coalition saudo-américaine sur le terrain.

La province de Marib fait actuellement face à des assauts sur plusieurs fronts principaux : dans le district de Nahm de la province de Sanaa à l’ouest ; sur une grande partie d’Al-Jawf récemment libérée dans le nord ; et dans le district de Sirwah —une partie de Marib étant déjà sous contrôle houthi— et au sud dans la province de Baydah. Les frappes aériennes saoudiennes se poursuivent pour soutenir ses forces terrestres mercenaires, bien que, comme l’ont montré les années de conflit, elles soient stratégiquement inefficaces.

La difficulté du terrain, les divisions internes entre les forces mercenaires, la méfiance locale envers Hadi et la relative facilité à établir des relations dans les zones tribales capturées par les Houthis sont également des raisons des succés de la résistance yéménite. L’évolution des systèmes de défense antimissile qui, selon les forces armées yéménites, ont été efficaces contre certaines frappes aériennes saoudiennes, couplée à des opérations transfrontalières plus préventives ciblant les intérêts militaires et économiques saoudiens, sont susceptibles de changer la direction de la guerre.

Les Saoudiens savent que les enjeux sont élevés à Marib, et que perdre cette zone serait la fin de la guerre terrestre saoudienne contre les forces armées pro-houthies, et c’est pourquoi il y a eu de violentes contre-attaques, en particulier à Al-Jawf, qui jusqu’à récemment était entre les mains des combattants pro-Hadi —depuis cinq ans. La province partage non seulement une frontière avec l’Arabie Saoudite, mais la région est également riche en ressources naturelles. Des décennies de politique saoudienne ont cependant assuré que le Yémen est resté pauvre et incapable d’exploiter pleinement ses propres réserves de pétrole.

Il est clair que le soi-disant accord de Riyad n’a pas réussi à susciter un effort concerté entre les mandataires saoudiens et émiratis pour mettre de côté leurs divergences politiques et recentrer leur attention sur les Houthis dans le nord. Les affrontements entre les milices d’Islah, soutenue par l’Arabie Saoudite, et celles qui sont alignées sur le Conseil de transition du Sud (STC) séparatiste soutenu par les Émirats Arabes Unis sont désormais monnaie courante, et se sont intensifiés ces derniers jours dans la ville portuaire méridionale d’Aden.

Le gouvernement basé à Sanaa a clairement indiqué qu’il combattrait inlassablement la coalition et ses mercenaires dans le sud et l’est du pays. Cela implique non seulement des combats dans Aden —de facto détenu par le STC—, qui était sous le contrôle des Houthis en 2015 avant leur expulsion, mais aussi dans la province de Shabwa, riche en pétrole.

Ayant le contrôle de la plupart de la population et de la capitale Sanaa, le soutien de nombreux militaires yéménites, y compris les gardes républicains, et un accès et un contrôle potentiels des ressources du Yémen, le Gouvernement National du Salut aligné sur les Houthis (NSG) pourrait enfin obtenir une reconnaissance internationale aux dépens du gouvernement yéménite « légitime », en exil à Riyad, reconnu par l’ONU et dirigé par Hadi. Pour le moment, le NSG n’a que des relations diplomatiques avec l’Iran et la Syrie.

Plus tôt cette semaine, le porte-parole militaire yéménite pro-Houthis, le Général de brigade Yahya Saree, a déclaré lors d’une conférence de presse qu’il y a eu plus de 257 000 frappes aériennes de la coalition au cours des cinq dernières années et a averti que la sixième année « sera plus difficile et plus douloureuse ». Ce faisant, il a affirmé que le Yémen n’est pas militairement dans la même position qu’au début du conflit.

À la lumière des avancées stratégiques des forces houthies et de leur détermination politique supérieure, il est donc possible que nous voyions un accord politique mettre fin à la guerre, sinon cette année, au plus tard l’année prochaine. Dans un signe prometteur, un membre éminent du Conseil politique suprême, Mohammed Ali Al-Houthi, a tweeté qu’il saluait la décision de l’Arabie Saoudite de soutenir un cessez-le-feu à la demande du Secrétaire Général de l’ONU en raison de la pandémie de coronavirus.

Par conséquent, il reste à voir combien de temps encore les Saoudiens continueront leur intervention désastreuse et illégale au Yémen, en particulier avec la guerre du pétrole et leur faillite imminente, alors que les prix du pétrole chutent, sans parler des crises politiques internes entre le prince héritier de facto Mohammad Bin Salman et ses rivaux. Les Saoudiens découvriront bientôt qu’ils n’ont ni la volonté ni la richesse pour continuer.

L’Arabie Saoudite fait-elle partie de ces pays qui vont disparaître ?

Cela dit, la chute de Marib entre les mains de l’armée yéménite et de ses alliés houthis pourrait être le catalyseur qui mettra fin à la guerre, mais des milliers de civils ont été déplacés à la suite des escalades actuelles. Il y a aussi le siège brutal du port de Hudaydah par la coalition qui doit être réglé ; l’occupation des Émirats arabes unis de Socotra ; et, sans doute le point le plus préoccupant, la présence militaire saoudienne directe dans la province orientale d’Al-Mahrah.

Plus tôt ce mois-ci, j’ai évoqué la façon dont le mouvement de résistance à Al-Mahrah pourrait bientôt se transformer en lutte armée contre une occupation saoudienne. Cela s’est concrétisé quelques jours plus tard, le Conseil national du salut du Sud (SNSC) annonçant un appel à la résistance armée contre les forces étrangères.

Après la défaite de la coalition, l’avenir du NSG et l’alliance entre le mouvement houthi et l’armée yéménite seront des tests de la stabilité et de la sécurité du Yémen. Les alliances tendent uniquement à servir un but contre un ennemi commun. C’est un problème qui ne se posera éventuellement qu’à l’avenir ; pour l’instant, cet ennemi est au bord de la défaite.

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Des Saoudiens torturent et font « disparaître » des civils au Yémen, selon HRW

Source : Middle East Monitor, le 25 mars 2020

Traduction : lecridespeuples.fr

Human Rights Watch (HRW) a publié aujourd’hui un rapport soulignant les abus de l’Arabie Saoudite et des forces qu’elle soutient dans le conflit en cours au Yémen, en particulier dans la province orientale d’Al-Mahrah, qui partage une frontière avec Oman. Le rapport, publié un jour avant le cinquième anniversaire de l’intervention militaire dirigée par l’Arabie Saoudite au Yémen, retrace les graves exactions et violations commises depuis juin de l’année dernière, notamment les arrestations arbitraires, la torture, les disparitions forcées et le transfert illégal de détenus vers le Royaume.

« Les graves abus des forces saoudiennes et de leurs alliés yéménites contre les habitants de Mahrah sont une autre horreur à ajouter à la liste des agissements illégaux de la coalition dirigée par l’Arabie Saoudite au Yémen », a déclaré Michael Page, directeur adjoint de HRW pour le Moyen-Orient. « L’Arabie Saoudite porte gravement atteinte à sa réputation auprès des Yéménites lorsqu’elle se rend coupable de ces pratiques abusives extrajudiciaires pour lesquelles personne n’a de comptes à rendre. »

La province, qui est la deuxième plus grande et la moins peuplée du Yémen, a largement échappé à une grande partie du conflit, mais a vu l’arrivée des troupes saoudiennes en décembre 2017 lorsqu’elles ont saisi l’aéroport de la capitale provinciale, Al-Ghaydah. Les habitants perçoivent les Saoudiens comme une force d’occupation étrangère et certains mouvements de protestation craignent qu’ils aient l’intention d’annexer la province afin de gérer un pipeline vers la mer d’Oman et de dépasser leur dépendance actuelle au détroit d’Ormuz pour les exportations de pétrole. Les Saoudiens ont également pris le contrôle du port de Nishtun.

HRW a déclaré avoir interrogé quatre anciens détenus yéménites, deux membres de leur famille et quatre amis de détenus, ainsi que sept militants yéménites, cinq journalistes, quatre fonctionnaires du gouvernement internationalement reconnu du pays et un responsable houthi au sujet des événements récents à Al- Mahrah. Ils ont documenté les cas de 16 personnes détenues arbitrairement dans la province entre juin de l’année dernière et le mois dernier, et au moins cinq ont été transférées illégalement sur le territoire saoudien. De nombreux membres de la famille des détenus n’ont aucune information sur leur sort, ni même sur le lieu où ils se trouvent.

Un ancien détenu, le journaliste yéménite Bassem, a déclaré qu’il avait été détenu dans un centre de détention informel de l’aéroport d’Al-Ghaydah. Il allègue que ses ravisseurs, soutenus par l’Arabie Saoudite, l’ont torturé avec des décharges électriques et ont menacé de l’emprisonner dans le Royaume.

« Les agents de sécurité saoudiens et yéménites m’ont forcé à signer un engagement à ne pas travailler comme journaliste à Al-Mahrah et à ne pas communiquer avec les alliés iraniens que sont le Hezbollah chiite, le Qatar ou Oman», a-t-il expliqué. « J’ai réalisé que j’étais dans une prison dirigée par l’armée saoudienne à l’aéroport d’Al-Ghaydah et j’ai entendu un homme hurler de douleur sous la torture dans la pièce voisine. Après quelques jours, ils m’ont transféré dans une autre prison dans une base militaire inconnue. Dans cette prison, aucun geôlier n’était yéménite. Personne. Zéro. Ils parlaient tous avec des dialectes saoudiens. »

Les Saoudiens ont cherché à justifier leur présence au Yémen en affirmant qu’ils combattaient Al-Qaïda et empêchaient le trafic d’armes d’Iran via Oman vers le mouvement Houthi dans le nord. Cependant, Muscat (capitale d’Oman), qui a choisi de ne pas participer à la coalition dirigée par l’Arabie Saoudite, a nié que son territoire soit utilisé pour la contrebande d’armes.

L’année dernière, le mouvement de résistance du Conseil national du Salut du Sud-Yémen (SNSC) a été créé. Il s’oppose à toute présence militaire étrangère au Yémen. Le cheikh Ali Al-Harizi, chef tribal de la résistance à Al-Mahrah, a récemment lancé un appel à la lutte armée contre les forces saoudiennes, à la suite de manifestations pacifiques qui se sont heurtées à une violente répression. On ne sait pas dans quelle mesure le SNSC travaille en coopération avec le Gouvernement du Salut National (NSG) basé à Sanaa, qui est affilié aux Houthis, bien que certaines sources affirment qu’Al-Harizi a juré allégeance au NSG.

Le rapport de HRW a exhorté les Saoudiens à respecter le droit international humanitaire et les droits de l’homme, exigeant qu’ils traitent les personnes placées en détention avec humanité. S’ils détiennent quelqu’un pour des motifs raisonnables, le rapport recommande qu’ils transfèrent l’accusé à la garde du gouvernement yéménite pour enquête et poursuites.

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Yémen : plus de 257 000 frappes aériennes menées par l’Arabie Saoudite en 5 ans

Source : Middle East Monitor, le 24 mars 2020

Traduction : lecridespeuples.fr

La coalition dirigée par l’Arabie Saoudite a effectué plus de 257 000 frappes aériennes contre le Yémen depuis le début de son agression il y a cinq ans, a révélé hier le porte-parole de l’armée yéménite, alliée aux Houthis.

Le Général de brigade Yahya Saree a déclaré lors d’une conférence de presse à Sanaa, la capitale du Yémen, que des milliers de Yéménites ont été tués et des dizaines de milliers blessés à la suite de l’intervention militaire de la coalition dirigée par l’Arabie Saoudite et soutenue par les États-Unis (ainsi que la Grande-Bretagne et la France), en plus de destructions importantes des infrastructures et services publics, a rapporté l’agence de presse du Yémen.

L’établissement militaire du Yémen, y compris son quartier général, ses unités, son équipement, son personnel et ses dirigeants, a été la première cible des forces de la coalition, selon Saree. Il a été récemment rapporté que les États-Unis étaient à l’origine de la destruction des défenses aériennes du Yémen avant les frappes aériennes de la coalition.

Les statistiques peuvent être supérieures à celles indiquées car « les raids de la coalition que nous avons annoncés sont limités à ce qui a été enregistré, et il y a des raids qui n’ont pas été recensés, en particulier pendant les premières années de la guerre d’agression », a déclaré le porte-parole.

Cependant, il a également été révélé que les forces conjointes de l’armée nationale et des Houthis ont lancé quelque 1 067 missiles balistiques contre des cibles de la coalition, certaines étant situées sur les territoires saoudien et émirati, avec des informations sur de nouveaux systèmes de missiles de défense qui seront présentés dans un avenir proche.

Saree a affirmé que « le peuple yéménite n’oubliera pas les victimes du massacre de la Grande Salle à Sanaa, ni le massacre des enfants de la banlieue de Saada, et n’oubliera pas les victimes des massacres horribles et atroces de la coalition d’agression dans toutes les régions du pays. »

Le porte-parole de l’armée a ajouté que « le grand peuple yéménite a surmonté de nombreuses tragédies et difficultés au cours des cinq dernières années, et avec l’aide de Dieu, il surmontera ce qui reste avec patience, détermination et sincérité ».

L’agence de presse Saba, basée à Sanaa, a également indiqué que Saree avait averti que la sixième année de la guerre au Yémen «  sera plus dure et plus douloureuse » que les années précédentes, et que le Yémen n’est plus le même aujourd’hui en termes de capacités militaires.

Certains analystes estiment que l’utilisation par Saree du terme « frappes préventives » dans la conférence suggère que Sanaa a franchi le stade de la guerre réactive et a le potentiel de dicter la direction du conflit, en particulier en faisant référence à la capacité du Yémen à endommager gravement l’économie des États agresseurs.

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