Le système de profit sabote la lutte contre la COVID-19

Le système de profit sabote la lutte contre la COVID-19

La course aux profits des grandes entreprises américaines est un facteur majeur qui entrave les efforts des médecins, des infirmières et des autres travailleurs de la santé dans la lutte contre la COVID-19. Telle est la réalité du capitalisme américain, n’en déplaise aux encensements de Trump sur le rôle «incroyable» joué par les «grandes entreprises» dans cette crise.

Le New York Times a détaillé dimanche comment les opérations financières sur le marché de l’équipement médical ont bloqué une initiative du Centre de prévention et de contrôle des maladies (Centers for Disease Control and Prevention – CDC) visant à constituer un stock de respirateurs, appareils maintenant en nombre insuffisant dans l’ensemble des États-Unis.

L’initiative du CDC, lancée en 2007 en réaction à l’épidémie du SRAS et qui s’est poursuivie pendant sept ans, visait à remédier à une pénurie de respirateurs nécessaires en cas de propagation d’un virus de type grippal, similaire à la COVID-19 de cette année. Selon le New York Times, «Le plan consistait à construire une grande réserve d’appareils portables peu coûteux à déployer en cas de pandémie de grippe ou de toute autre crise.»

Ces appareils seraient non seulement moins chers, mais aussi plus simples à utiliser, ce qui nécessiterait moins de formation pour les travailleurs, généralement des inhalothérapeutes, chargés de leur utilisation. Dans la crise actuelle de la COVID-19, le manque de personnel est au moins aussi grave que la pénurie de respirateurs.

Le CDC a choisi une petite entreprise californienne pour concevoir ces nouveaux appareils, qui ne coûteraient que 3.000 dollars pièce, bien en dessous du prix de 10.000 dollars pour les machines encombrantes alors utilisées dans les hôpitaux du pays. C’est Newport Medical Instruments, une filiale d’une entreprise japonaise, qui a remporté l’appel d’offres fédéral. L’entreprise a livré trois prototypes du nouvel appareil en 2011. Les responsables du CDC se sont montrés enthousiastes et ont déclaré au Congrès américain que l’appareil serait sur le marché d’ici septembre 2013.

Mais par la suite, un fabricant américain de dispositifs médicaux beaucoup plus important, Covidien, a acquis Newport Medical Instruments, dans le cadre d’un effort visant à racheter des concurrents plus petits pour les empêcher de réduire ses bénéfices. Covidien notamment fabriquait et commercialisait déjà un respirateur beaucoup plus cher qui serait vite détrôné par l’effort de Newport. Selon le New York Times, «Tant des fonctionnaires que des cadres des entreprises de respirateurs rivales ont déclaré qu’ils soupçonnaient Covidien d’avoir acquis Newport pour l’empêcher de fabriquer un produit moins cher qui saperait ses bénéfices dans le domaine des respirateurs.»

Après que Covidien, évaluée à 12 milliards de dollars, ait englouti Newport Medical pour 100 millions de dollars, ses dirigeants ont demandé au CDC en 2014 de lui permettre de se retirer du contrat de fabrication des respirateurs à bas prix proposé en donnant comme motif que cet appareil n’était pas suffisamment rentable. L’administration Obama a acquiescé à cette demande. Le CDC a donc relancé le processus avec un nouveau contrat passé avec une nouvelle société, le géant néerlandais Philips. Covidien a elle-même été rachetée un an plus tard par Medtronic pour 50 milliards de dollars. Les dirigeants du géant fusionné ont déclaré au New York Times qu’ils ne savaient rien du projet de respirateur à bas prix.

[image]Le siège opérationnel de Medtronic à Fridley, au Minnesota (États-Unis). (Photo: Wikipedia) – https://www.wsws.org/asset/8a2a5ab2-bc85-4a1a-b7eb-7dbf003555cM/image.jpg?rendition=image960[/image]

Le rapport du New York Times conclut: «Cet échec a retardé le développement d’un respirateur abordable d’au moins une demi-décennie, privant les hôpitaux, les États et le gouvernement fédéral de la possibilité de préparer des réserves d’appareils. Le gouvernement fédéral a recommencé avec une autre entreprise en 2014, dont le modèle de respirateur n’a été approuvé que l’année dernière et dont les produits n’ont pas encore été livrés.»

Des facteurs similaires sont à l’origine de la pénurie de masques N95, vécue aujourd’hui par le personnel médical des hôpitaux dans tout le pays. L’un des plus grands fabricants américains de masques N95 est la société 3M, le conglomérat géant basé à Minneapolis, probablement plus connu comme le fabricant des Post-Its et du papier-collant transparent Scotch. De plus en plus de critiques ont été adressées à 3M comme à d’autres fournisseurs de masques de type N95 pour avoir retenu les stocks de matériaux requis et gardé les masques non disponibles sur le marché, et pour avoir permis à leurs distributeurs d’augmenter les prix.

La société 3M a notamment été critiquée pour sa politique consistant à livrer toutes ses fournitures par l’intermédiaire de distributeurs commerciaux, plutôt que de les envoyer directement aux établissements de soins de santé ou aux organismes d’État intéressés à acheter des masques en quantités industrielles et qui sont utilisés par des millions de personnes à chaque jour de la pandémie de la COVID-19.

La semaine dernière, la société a annoncé l’intensification de sa production de masques N95, faisant l’objet d’un article de couverture flatteur dans Bloomberg Businessweek, intitulé «How 3M Plans to Make More Than a Billion Masks By End of Year» (Comment 3M prévoit fabriquer plus d’un milliard de masques d’ici la fin de l’année) et qui salue la société pour «sa contribution remarquablement importante» à la lutte contre la COVID-19.

Le milliardaire des sports et des médias Mark Cuban, un critique occasionnel de l’administration Trump, a dénoncé la société 3M en la nommant clairement: «Je suis heureux que 3M ait augmenté sa capacité. Mais l’offre n’a pas été adaptée à la demande, a-t-il déclaré à Bloomberg News. Pourquoi 3M ne dit-elle pas à ses distributeurs: “Prenez le téléphone, vendez vos stocks aux hôpitaux, sinon nous ne vous laisserons plus jamais acheter nos produits”»?

Citant des rapports de gonflage des prix, Cuban poursuit: «ces distributeurs veulent faire autant d’argent que possible… C’est mal, c’est criminel.»

Interrogé samedi sur les propos de Cuban, le président Trump a défendu 3M, affirmant qu’un de ses amis milliardaires, Ken Langone, PDG de Home Depot, s’était porté garant de la société.

«Je pense que 3M a fait un travail incroyable, a déclaré Trump aux journalistes alors qu’il quittait la Maison Blanche pour se rendre à une séance de photos à Norfolk, en Virginie, où un navire-hôpital de la marine américaine s’apprêtait à mettre le cap sur New York. Je viens de parler à Ken Langone. Je pense qu’il est au conseil d’administration de 3M. Il m’a appelé et il m’a dit que le travail qu’ils ont fait est excellent. Je pense que 3M, d’après ce que tout le monde dit, a fait un travail incroyable.»

Une autre dénonciation du fait de profiter de la situation au détriment de la production des masques N95 est venue d’une autre source inattendue, à savoir le fervent droitier Tyler Merritt, un ancien pilote d’hélicoptère des forces spéciales de l’Armée. Propriétaire d’une entreprise de textile basée à Savannah, en Géorgie, il se spécialise dans la commercialisation de t-shirts ornés de slogans provocateurs pro-Trump et critiquant le footballeur quart-arrière de la LNF Colin Kaepernick, ou défendant le droit de porter les armes et autres idées réactionnaires et chauvinistes.

Merritt a déclaré en ondes, d’abord sur Fox News, puis dimanche sur MSNBC, que plusieurs grandes entreprises bloquent les efforts visant à convertir des usines comme la sienne à la production de masques chirurgicaux, de masques N95 et autres fournitures nécessaires. Montrant un morceau de tissu coupé et moulé pour fabriquer des masques N95, Merritt a déclaré à MSNBC que ce tissu «fait l’objet de spéculation par certaines entreprises». Ce textile est commercialisé comme une marchandise. Avant, il coûtait 6.000 dollars la tonne. Maintenant il coûte plus de 600.000 dollars la tonne… C’est méprisable ce que font certaines entreprises.»

Merritt n’a cité aucun nom, et son intervieweur de MSNBC – qui travaille pour un réseau appartenant à Comcast Corporation – n’a pas cherché à identifier exactement à quels criminels du monde des affaires il faisait référence. Mais il ne fait aucun doute que les accusations de Merritt sont fondées: les grandes entreprises et les divers intermédiaires engrangent des profits tout en mettant en danger la vie de millions de personnes face à la menace de la COVID-19.

Deux autres éléments essentiels à la lutte contre la pandémie de COVID-19 ­– procéder massivement à des tests et développer un vaccin – sont également entravés par la recherche du profit et la division du monde en États-nations concurrents. Comme le WSWS l’a déjà signalé, les plans de développement d’un vaccin contre la COVID-19 à la suite de l’épidémie du SRAS de 2002 ont échoué, aucune entreprise n’ayant investi dans la recherche. Si un tel vaccin avait été développé, il aurait pu être testé lors de l’épidémie initiale au Wuhan pour voir s’il pouvait prévenir la COVID-19. Le retard incroyablement long pour procéder massivement à des tests aux États-Unis et dans de nombreux autres pays est le résultat combiné d’une mauvaise gestion gouvernementale et de la subordination de ce besoin social vital aux intérêts des géants pharmaceutiques.

Patrick Martin

Article paru en anglais, WSWS,, le 31 mars 2020

Image en vedette: pixabay.com


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