La stratégie de Colbert pour sortir de la dépendance du bois

La stratégie de Colbert pour sortir de la dépendance du bois

par Gaëtan Clapasson, Antoine Doutremepuich, Jean-Baptiste Petiticollin

A l’heure où Bruno Lemaire s’interroge sur la relocalisation de certaines activités compte tenu de notre niveau de dépendance vis-à-vis de la Chine, il est peut-être de rappeler certains points de repère cognitifs tirés des enseignements passés de l’Histoire de France. La pensée stratégique de Colbert entre dans ce périmètre de réflexion pour déterminer la manière dont cette notion a été prise en compte à l’époque.

Au 17ème siècle, le Royaume de France fait face à la Fronde, période de troubles et de guerre civile qui s’est étendue sur quatre années, de 1648 à 1652, pendant la minorité de Louis XIV. Parallèlement, le Royaume est engagé dans la guerre des Trente ans contre l’Espagne (1635-1659). Cette période de révoltes est une vive réaction à la montée de l’autorité monarchique dans le Royaume de France, commencée dès le début du 17ème siècle, et qui connaît son apogée sous le règne de Louis XIV épaulé par le cardinal de Richelieu. De plus, le Royaume doit imposer une situation financière et fiscale difficile due aux prélèvements nécessaires pour alimenter la guerre de Trente Ans. Cette situation provoque une conjonction de multiples oppositions aussi bien parlementaires, qu’aristocratiques et populaires[1]. La seconde période de la Fronde, dite la « fronde des princes », conduite par le prince de Condé installé en Guyenne, est bien pire pour la marine de guerre qui voit en 1650 des frégates espagnoles pénétrer les ports Français comme en Gironde en 1650 pour appuyer les soulèvements de Bordeaux. 

La marine à « bout de bois » pour se défendre 

A la fin de ces différents conflits, la marine Française accuse le coup et ne détient que deux ou trois vaisseaux capables d’affronter la haute mer. Pour pallier ce manque, le Royaume doit louer ou acheter des navires étrangers et importer du bois dont l’approvisionnement en temps de guerre peut être compromis. La construction d’un bateau de guerre peut nécessiter jusqu’à 4000 chênes centenaires. Par conséquent, le défrichage et la surexploitation des forêts royales provoquent une baisse régulière de la surface boisée. A cette époque, la politique française n’avait pas mis en place une stratégie de gestion des forêts.

Pour le bois de chêne, l’importation provient principalement d’Italie et d’Albanie et pour le pin, utilisé pour le gréement, il provient d’Europe du Nord. À cause du déficit national en ressource forestière, la maîtrise des routes du bois devient alors stratégique.

Figure 1: Évolution des forêts françaises depuis le Moyen âge[2]

Couplé aux besoins de la marine, le bois est un pilier essentiel au développement industriel tel que la forge, la saline, la verrerie, la tuilerie, et la papeterie. D’une part, les industriels ont besoin de cette ressource pour leurs activités et d’autre part, l’augmentation de la population rurale et les progrès des techniques agricoles nécessitent d’élargir les terres cultivables[3]. En l’absence de réglementation, les défrichements portent non seulement sur les terrains incultes, mais ils se font aussi aux dépens des forêts.
Entre 1450 et 1700, la surface agricole utile a pratiquement doublé pour atteindre 30 millions d’hectares et inversement, la superficie des forêts a drastiquement chuté à 9 hectares, signe du pillage qui a été effectué pour les différents besoins.

D’une manière générale, la forêt française avait non seulement régressé en quantité, mais encore en qualité : la futaie (une forêt composée de grands arbres adultes issus de semis.), encore très abondante un siècle auparavant, avait presque disparu des régions de plaine, la majeure partie des forêts consistant alors en taillis mal aménagés. Cette situation était d’autant plus fâcheuse que le bois constituait toujours alors la principale matière première et la principale source d’énergie (source combustible). Les différents conflits ont imposé une pression financière sur les Français afin de subvenir aux besoins de la guerre. En l’absence de ressource pour construire nos navires et de réglementation pour conserver notre patrimoine, le bois est devenu en moins d’un siècle une ressource stratégique dont la France dépend.

Le réveil stratégique nommé « Colbert » 

En 1661, sous l’impulsion du ministre de Louis XIV, Jean-Baptiste Colbert, commence la grande réformation qui réglemente le bois sur les forêts royales, mais aussi sur une bonne part des forêts ecclésiastiques et des forêts communales. Cette réformation consiste à faire l’inventaire des droits que possèdent les riverains, à dresser la liste des abus, usurpations et des délits commis dans ces forêts. Une partie des officiers forestiers est révoquée. À l’issue de cette réformation, le royaume récupère plus de 70 000 arpents de bois et commence à émettre des amendes.

En 1669, après avoir annoncé que « la France périra faute de bois », Colbert décide alors de réorganiser toute la filière, de la culture du chêne au chantier naval. Il s’agit de l’ordonnance de Colbert de 1669 qui marque le début d’une planification stratégique pour sortir des dépendances. L’Ordonnance de 1669 va avoir un très grand impact sur les paysages, qui se mesure pleinement à partir de la seconde moitié du 18ème siècle. Cette réforme instaure un véritable code forestier, unifiant le droit, définissant des règles de gestion sylvicole à appliquer. Elle introduit la notion « du bon usage » de la forêt : les pratiques sont sévèrement réglementées, chèvres et moutons sont proscrits dans les forêts royales, nobiliaires et ecclésiastiques. L’ordonnance définit aussi le principe de planification de la gestion forestière sur cent ans afin d’en assurer sa pérennité. Ce souci de durabilité préoccupe également les forestiers germaniques qui échangent et partagent leurs réflexions avec leurs homologues français. À travers le concept de « Nach-haltigkeit », le forestier allemand Von Karlowitz pose par exemple les fondations d’une réflexion théorique sur le concept de durabilité à la même époque que Colbert[4].

Après avoir posé les bases de l’exploitation du bois, le Ministre s’est chargé de réorganiser l’industrie navale en commençant par réaliser des maquettes en bois pour industrialiser et standardiser leur construction. En s’appuyant sur des mathématiciens et géomètres pour optimiser les performances des navires, Colbert mène une véritable révolution qui donne à la France la plus forte marine de l’Europe dans les années 1670-1680. Colbert s’appuie également sur les écoles navales pour former le personnel et prend même appui sur de la main-d’œuvre étrangère pour appuyer le développement souhaité. Pour rattraper le retard pris, l’espionnage industriel est mis en œuvre pour percer les secrets de fabrication des ennemis [5].

Extrait du rapport de la MSIE 30 La question de la dépendance économique d’un pays.

par Gaëtan Clapasson, Antoine Doutremepuich, Jean-Baptiste Petiticollin

Sources

[1] Universalis‎, « Fronde ».

[2] Georges-André Morin, « La continuité de la gestion des forêts françaises de l’ancien régime à nos jours, ou comment l’Etat a-t-il pris en compte le long terme », Revue française d’administration publique, 2010.

[3] R.Georlette , « Quelques aspects de l’histoire des forêts françaises depuis la fin du moyen âge jusqu’à la promulgation de l’ordonnance de 1669 », Revue forestière française, 1957.

[4] Benoit Boutefeu, « L’aménagement forestier en France ».

[5]Jacques-Marie Vaslin, « Les chênes français, le “trésor” de Colbert », Le Monde, 27 avril 2011.

via:https://infoguerre.fr/2020/03/strategie-de-colbert-sortir-de-dependance-bois/

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